94 (Tout renoncement a pour but une joie plus grande pas encore conquise. ...)

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94 —Tout renoncement a pour but une joie plus grande pas encore conquise. Certains renoncent pour la joie du devoir accompli, d'autres pour la joie de la paix, d'autres encore pour la joie de Dieu, et certains pour la joie de se torturer eux-mêmes ; renonce plutôt pour passer au-delà, dans la liberté et le ravissement immuable


Je n'ai jamais eu beaucoup cette expérience du renoncement — pour qu'il y ait renoncement, il faut tenir aux choses, et toujours il y avait cette soif, ce besoin d'aller plus loin, d'aller plus haut, d'aller mieux, de faire mieux, d'avoir mieux. Et au lieu d'avoir une impression de renoncement, on a plutôt l'impression d'un bon débarras — quelque chose dont on se débarrasse, qui vous encombre et qui vous alourdit, qui empêche la marche. C'est ce que je disais l'autre jour : nous sommes encore tout ce que nous ne voulons plus être, et Lui, Il est tout ce que nous voulons devenir — ce que nous appelons "nous" dans notre stupidité égoïste, c'est justement tout ce que nous ne voulons plus être, et on serait si content de jeter tout cela, de se débarrasser de tout cela pour pouvoir être ce que l'on veut être.

C'est une expérience très vivante.

Le seul processus que j'aie connu, et qui s'est répété plusieurs fois dans ma vie, c'est de renoncer à une erreur. Quelque chose que l'on croit vrai — qui probablement a été vrai pendant un certain temps —, sur quoi l'on base en partie son action, et qui, en fait, n'était qu'une opinion. On pensait que c'était une constatation véridique avec toutes ses conséquences logiques, et l'action (une partie de l'action) était basée là-dessus, et tout le déroulement était automatique; et soudain, une expérience, une circonstance, ou une intuition, vous met en garde que votre constatation n'est pas aussi vraie qu'elle en avait l'air. Alors il y a toute une période d'observation, d'étude (ou quelquefois cela vient comme une révélation, une preuve massive), et ce n'est pas seulement l'idée ni la fausse connaissance, mais toutes les conséquences qui doivent être changées, peut-être toute une manière d'agir sur un point quelconque. Et à ce moment-là, il y a une sorte de sensation, quelque chose qui ressemble à une sensation de renoncement; c'est-à-dire qu'il faut défaire tout un ensemble de choses qui avaient été bâties — quelquefois ce peut être assez considérable, quelquefois c'est une toute petite chose, mais l'expérience est la même : c'est le mouvement d'une force, d'an pouvoir qui dissout, et il y a la résistance de tout ce qui est à dissoudre, de toute l'habitude passée; et c'est ce mouvement de dissolution, avec la résistance correspondante, qui doit se traduire dans la conscience ordinaire humaine par le sentiment de renoncement.

J'ai vu cela tout dernièrement — c'est insignifiant, ce sont des circonstances qui n'ont aucune importance en elles-mêmes; c'est seulement dans l'ensemble de l'étude que c'est intéressant. C'est le seul phénomène, qui s'est répété plusieurs fois dans ma vie, que je connais bien à cause de cela. Et à mesure que l'être progresse, la puissance de dissolution augmente, devient de plus en plus immédiate, et la résistance diminue. Mais j'ai le souvenir de l'époque où il a eu le maximum de résistances (c'était il y a plus d'un demi-siècle) et ce n'était jamais que cela, c'était toujours quelque chose en dehors de moi — pas en dehors de ma conscience, mais en dehors de ma volonté —, quelque chose qui résiste à la volonté. Je n'ai jamais eu l'impression d'avoir à renoncer, mais j'ai eu l'impression d'avoir à presser sur les choses pour les dissoudre. Tandis que, maintenant, de plus en plus la pression est imperceptible : c'est immédiat; dès que la force qui dissout tout un ensemble se manifeste, il n'y a pas de résistance, tout se dissout; et au contraire, il y a à peine un sentiment de libération — il y a quelque chose qui est encore amusé et qui dit : "Ah! encore! que de fois on se limite..." Que de fois on croit que l'on avance, constamment, sans heurts, sans arrêt, et que de fois on se met une petite limite devant soi. Ce n'est pas une grosse limite parce que c'est une toute petite chose dans un immense tout, mais c'est une petite limite devant son action. Et alors, quand la Force agit pour dissoudre la limite, au début on se sent libéré, on a une joie; mais maintenant, ce n'est même plus cela, c'est un sourire. Parce que ce n'est pas le sentiment d'une libération, c'est tout simplement comme on enlève une pierre sur le chemin pour pouvoir passer.

Cette idée de renoncement ne peut venir que dans une conscience égocentrique. Naturellement, les gens (que j'appelle tout à fait primaires) tiennent aux choses — quand ils ont quelque chose, ils ne veulent pas le lâcher! Cela me paraît tellement enfantin !... Ceux-là, s'ils doivent la donner, ça fait mal ! Parce qu'ils s'identifient aux choses qu'ils tiennent. Mais c'est un enfantillage. Le vrai processus derrière, c'est la quantité (the amount) de résistance dans les choses formées sur une certaine base de connaissance — qui était une connaissance à un moment donné, qui ne l'est plus à un autre —, une connaissance partielle, pas fugitive mais impermanente ; il y a tout un ensemble de choses construites sur cette connaissance et cela résiste à la force qui dit : "Non! ce n'est pas vrai, (riant) votre base n'est plus vraie, on l'enlève", et alors, ah! ça fait mal— c'est cela que les gens sentent comme un renoncement.

Ce qui est difficile, ce n'est pas vraiment de renoncer, c'est d'accepter (Mère sourit) quand on voit la vie telle qu'elle est maintenant... Mais alors, comment, si l'on accepte, comment vivre au milieu de tout cela et avoir ce "ravissement immuable" — le ravissement immuable, pas là-bas, mais ici?

C'est mon problème depuis des semaines.

J'en suis venue à cette conclusion : en principe, c'est la conscience et l'union avec le Divin qui donne le ravissement, c'est le principe; par conséquent, la conscience et l'union avec le Divin, que ce soit dans le monde tel qu'il est ou dans la construction d'un monde futur, doit être le même — en principe. C'est ce que je me dis tout le temps : "Comment se fait-il que tu n'aies pas ce ravissement?"

Je l'ai — au moment où toute la conscience est centralisée dans l'union, à n'importe quel moment, au milieu de n'importe quoi, avec ce mouvement de concentration de la conscience sur l'union, le ravissement vient. Mais je dois dire qu'il disparaît quand je suis dans le travail... C'est un monde, mais un monde très chaotique, de travail, où j'agis sur tout ce qui m'entoure; et nécessairement je suis obligée de recevoir ce qui m'entoure de façon à pouvoir agir dessus. Je suis arrivée à l'état où toutes les réceptions, même celles que l'on considère comme les plus douloureuses, me laissent absolument tranquille et indifférente — "indifférente", pas une indifférence inactive : sans réaction pénible d'aucun genre, absolument neutre (geste tourné vers l'Éternel), d'une égalité parfaite. Mais dans cette égalité, il y a la connaissance précise de ce qui est à faire, ce qui est à dire, ce qui est à écrire, ce qui est à décider, enfin tout ce que comporte l'action. Tout cela se passe dans un état de neutralité parfaite, avec le sens du Pouvoir en même temps : le Pouvoir passe, le Pouvoir agit, et la neutralité reste — mais il n'y a pas le ravissement. Je n'ai pas l'enthousiasme, la joie, la plénitude de l'action.

Et je dois dire que l'état de conscience de ce ravissement serait dangereux dans l'état du monde tel qu'il est. Parce que cela a des réactions presque absolues—je vois que cet état de ravissement a un pouvoir formidable Mais j'insiste sur le mot formidable, dans le sens que c'est intolérant, ou intolérable — plutôt intolérable — pour tout ce qui n'est pas semblable. C'est la même chose, ou presque (pas la même tout à fait, mais presque) la même chose que l'Amour divin suprême; la vibration de cette extase, ou de ce ravissement, est un petit début de la vibration de l'Amour divin, et cela, c'est absolument... oui, il n'y a pas d'autre mot, c'est intolérant dans le sens que cela n'admet pas la présence de quelque chose qui est contraire.

Alors, cela aurait des résultats effroyables, n'est-ce pas, pour la conscience ordinaire. Je le vois bien, parce que, quelquefois cette Puissance vient — cette Puissance vient, on a l'impression que tout va éclater. Parce qu'elle ne peut tolérer qu'une union, elle ne peut tolérer que la réponse qui accepte — qui reçoit et qui accepte. Et ce n'est pas une volonté arbitraire, c'est du fait même de son existence, qui est toute-puissance—"toute-puissance", pas de la façon dont on comprend la toute-puissance : une toute-puissance réellement. C'est-à-dire qu'elle existe entièrement, totalement, exclusivement. Elle contient tout, mais ce qui est contraire à sa vibration est obligé de se changer, n'est-ce pas, puisque rien ne peut disparaître; et alors, ce changement immédiat, brutal pour ainsi dire, absolu, dans le monde tel qu'il est, c'est une catastrophe.

Voilà la réponse que j'ai reçue à mon problème.

Parce que c'était cela, je me disais : "Pourquoi? Moi qui suis... à n'importe quelle seconde je n'ai qu'à faire comme cela (geste vers le haut) et c'est... il n'y a plus que le Seigneur, tout est Ça — mais d'une façon si absolue que tout ce qui n'est pas Ça disparaît! Alors la proportion maintenant, (riant) c'est qu'il y aurait trop de choses qui devraient disparaître!

J'ai compris cela.

17 et 24 août 1963

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