84-87 (Le surnaturel est un naturel que nous n'avons pas encore atteint, ...)

Nyomtatóbarát változat

84 — Le surnaturel est un naturel que nous n'avons pas encore atteint, ou que nous ne connaissons pas encore, ou dont nous n'avons pas encore conquis les moyens d'accès. Le goût du miracle, si répandu, est le signe que l'ascension de l'homme n'est pas encore terminée.

85—Il est rationnel et prudent de se méfier du surnaturel; mais y croire aussi est une sorte de sagesse.

86 — De grands saints ont accompli des miracles ; de plus grands saints les ont raillés; les plus grands d'entre eux les ont à la fois raillés et accomplis.

87 — Ouvre les yeux et vois ce qu'est réellement le monde et ce qu'est Dieu; débarrasse-toi des imaginations vaines et plaisantes.

Pourquoi Sri Aurobindo, ou toi, n'avez-vous pas utilisé davantage le miracle comme un moyen de vaincre les résistances dans les consciences humaines extérieures? Pourquoi cette espèce d'effacement vis-à-vis de l'extérieur, de non-intervention, ou de discrétion?

Pour Sri Aurobindo, je sais seulement ce qu'il m'a dit plusieurs fois. Les gens n'appellent "miracle" que des interventions dans le monde matériel ou dans le monde vital. Et ces interventions sont toujours mélangées à des mouvements d'ignorance ou d'arbitraire.

Mais le nombre de miracles dans le Mental que Sri Aurobindo a faits est incalculable; mais naturellement, c'était seulement si l'on avait une vision très droite, très sincère, très pure, qu'on pouvait le voir — quelques-uns l'ont vu. Mais il se refusait (cela, je le sais), il se refusait à faire aucun miracle vital et matériel, à cause de ce mélange.

Mon expérience est ainsi, c'est que dans l'état où le monde est maintenant, un miracle direct, matériel ou vital, doit tenir nécessairement compte d'une quantité d'éléments mensongers que l'on ne peut pas admettre — ce sont nécessairement des miracles mensongers. Et on ne peut pas l'admettre. J'ai vu ce que les gens appellent des miracles, j'en ai vu beaucoup à une époque, mais cela admettait qu'un tas de choses aient le droit d'être, qui pour moi sont inadmissibles.

Ce que les hommes appellent maintenant "miracle", c'est presque toujours fait par des êtres du vital, ou des hommes qui sont en rapport avec des êtres du vital, et c'est mélangé — cela admet la réalité de certaines choses, la vérité de certaines choses, qui ne sont pas vraies. Et c'est sur cette base que cela agit. Alors c'est inacceptable.

Je n'ai pas très bien compris ce que tu entends quand tu dis que Sri Aurobindo faisait "des miracles dans le Mental".1

C'est quand il introduisait dans la conscience mentale la Force supramentale. Il introduisait dans la conscience mentale (la conscience mentale qui régit tous les mouvements matériels) une formation, ou une puissance, ou une force supramentale, qui immédiatement changeait l'organisation. Et cela produit des effets immédiats, et en apparence illogiques, parce que cela ne suit pas le cours des mouvements selon la logique mentale.

Il le disait lui-même : c'est quand il était en possession et pouvait se servir volontairement de la Force, la Puissance supramentale, et qu'il la plaçait à un endroit donné, avec un but défini — c'était irrévocable, inévitable, l'effet était absolu. On peut appeler cela un miracle.

Par exemple, prends quelqu'un avec une maladie, une douleur; quand Sri Aurobindo était en possession de cette Puissance supramentale (il y a un moment où il disait que c'était tout à fait sous son contrôle, c'est-à-dire qu'il en faisait ce qu'il voulait, il la mettait où il voulait), alors il mettait cette Volonté, disons dans un désordre quelconque, physique ou vital, ou mental naturellement, il mettait cette Force d'harmonie supérieure, d'ordre supérieur, supramentale, la plaçait là, et elle agissait immédiatement. Et c'était un ordre — cela créait un ordre, une harmonie supérieure à l'harmonie naturelle. C'est-à-dire que s'il s'agissait d'une guérison, par exemple, la guérison était plus parfaite et plus complète qu'une guérison obtenue par les moyens ordinaires du physique et du mental.

Il y en a eu des quantités. Mais les gens sont si aveugles, n'est-ce pas, et si encroûtés dans leur conscience ordinaire, qu'ils donnent toujours des "explications"; ils peuvent toujours donner une explication. C'est seulement ceux qui ont la foi et l'aspiration, et quelque chose de très pur en eux, c'est-à-dire qui veulent vraiment savoir, ceux-là s'en apercevaient.

Quand le Pouvoir était là, il disait même que c'était sans un effort, il n'avait que cela à faire : mettre cette Puissance d'ordre, d'harmonie supramentale, et puis, instantanément, l'effet voulu était obtenu.

Qu'est-ce qu'un miracle? Parce que, souvent, Sri Aurobindo a 'dit qu'il n'y avait "pas de miracle1'1, et en même temps, dans Savitri, par exemple, il dit : "Tout est miracle ici-bas et par miracle peut changer¹."

Cela dépend comment on regarde, de ce côté-ci ou de ce côté-là.

On appelle miracle seulement les choses dont l'explication n'est pas claire, ou dont on n'a pas une explication mentale. De ce point de vue, on peut dire qu'il y a une quantité innombrable de choses qui arrivent et qui sont des miracles, parce qu'on ne peut expliquer ni le comment ni le pourquoi.

Qu'est-ce qui serait un vrai miracle?

Je ne vois pas ce qui peut être un vrai miracle, parce que, alors, qu'est-ce qu'un miracle? Un vrai miracle... ce n'est que le mental qui a la notion de miracle, parce que le mental décide, avec sa logique propre, qu'étant donné ceci et cela, telle autre chose peut ou ne peut pas être. Mais cela, ce sont toutes les limitations du mental. Parce que, au point de vue du Seigneur, comment peut-il y avoir un miracle? Tout est Lui-même qu'il objective.

Alors nous entrons dans le grand problème de la route suivie, cette Route éternelle comme l'explique Sri Aurobindo dans Savitri. Naturellement, on conçoit que ce qui s'est objectivé en premier est ce qui avait le goût de l'objectivation. La première chose à admettre, et qui paraît logique avec le principe de l'évolution, c'est que l'objectivation est progressive, elle n'est pas totale éternellement.

(Silence)

C'est très difficile à dire, parce que nous ne pouvons pas sortir de notre habitude de concevoir que c'est une quantité définie qui se déroule indéfiniment, et que ce n'est qu'avec une quantité définie qu'il peut y avoir un commencement. Nous avons toujours (au moins dans notre façon de parler) l'idée d'un "moment" (riant) où le Seigneur décide de s'objectiver. Et comme cela, l'explication est facile : Il s'objective graduellement, progressivement, ce qui donne une évolution progressive. Mais c'est seulement une façon de dire. Parce qu'il n'y a pas de commencement, il n'y a pas de fin, et, pourtant, il y a une progression. Le sens de la succession, le sens de l'évolution, le sens du progrès, n'existe qu'avec la Manifestation. C'est seulement si l'on parle de la terre que l'on peut expliquer très véridiquement et très rationnellement, parce que la terre a un commencement — pas dans son âme, mais dans sa réalité matérielle.

Probablement aussi, un univers matériel a un commencement.

(Silence)

Et si l'on regarde comme cela, un miracle serait, pour un univers, l'intrusion soudaine de quelque chose venant d'un autre univers. Et pour la terre (qui réduit le problème à quelque chose de très compréhensible), un miracle est l'intrusion subite de quelque chose qui n'appartenait pas à la terre — cela fait un changement radical et immédiat, par l'entrée d'un principe qui n'appartenait pas à ce monde physique qu'est la terre.

Mais là encore, il est dit qu'au centre même de chaque élément tout est, en principe; alors même ce miracle-là n'est pas possible.

On peut dire que le sens du miracle n'appartient qu'à un monde fini, qu'à une conscience finie, qu'à une conception finie. C'est l'entrée — l'intrusion, l'intervention, la pénétration — subite, sans préparation, de quelque chose qui n'existait pas dans ce monde physique. Alors, évidemment, toute manifestation d'une volonté ou d'une conscience qui appartient à un domaine plus infini et plus éternel que la terre, est nécessairement un miracle sur la terre. Mais si l'on sort du monde fini et de la compréhension du monde fini, le miracle n'existe pas. Le Seigneur peut jouer au miracle, si ça L'amuse, mais il n'y a pas de miracle — Il joue à tous les jeux possibles.

On ne peut commencer à le comprendre que quand on sent comme cela, qu'il joue à tous les jeux possibles, et "possible" ne veut pas dire possible selon la conception humaine, mais possible selon Sa conception à Lui!

Et là, il n'y a pas de place pour le miracle, sauf que cela a l'air d'être un miracle.

(Silence)

Si, au lieu d'une lente évolution, ce qui appartient au monde supramental apparaissait subitement, cela, l'homme, être mental, peut l'appeler miracle, parce que c'est l'intervention de quelque .chose qu'il ne porte pas consciemment en lui-même et qui intervient dans sa vie consciente. Et en fait, si l'on regarde ce goût du miracle, qui est très fort — beaucoup plus fort chez les enfants ou chez les coeurs qui sont restés enfants que chez les êtres très mentalisés —, c'est la foi dans la réalisation de l'aspiration au Merveilleux, de ce qui est supérieur à tout ce que l'on peut espérer de la vie normale.

Au fond, on devrait toujours, dans l'éducation, encourager les deux tendances parallèlement. La tendance à avoir soif du Merveilleux, de ce qui paraît irréalisable, de quelque chose qui vous remplit d'un sentiment de divinité; tout en encourageant, en même temps, dans la perception du monde tel qu'il est, l'observation exacte, correcte, sincère, l'abolition de toute imagination, le contrôle constant, le sens le plus pratique et le plus minutieux dans l'exactitude des détails. Il faudrait que les deux marchent parallèlement. Généralement, on tue l'un avec l'idée que c'est nécessaire pour faire croître l'autre — c'est tout à fait une erreur. Les deux peuvent être simultanés, et il y a un moment où la connaissance est suffisante pour savoir que ce sont les deux aspects d'une même chose, qui est la clairvoyance, un discernement supérieur. Mais au lieu d'une clairvoyance et d'un discernement limités, étroits, le discernement devient tout à fait sincère, correct, exact, mais il est immense, il inclut tout un domaine qui n'appartenait pas encore à la Manifestation concrète.

Au point de vue éducatif, ce serait très important.

Voir le monde tel qu'il est, exactement, crûment, de la façon la plus terre à terre et concrète, et voir le monde tel qu'il peut être, avec la vision la plus libre, la plus haute, la plus pleine d'espoir et d'aspiration et d'une certitude merveilleuse, comme les deux pôles du discernement. Tout ce que nous pouvons imaginer de plus splendide, de plus merveilleux, de plus puissant, de plus expressif, de plus total, n'est rien en comparaison de ce que cela peut être, et, en même temps, notre exactitude minutieuse du détail le plus minime n'est jamais suffisamment exacte. Et les deux doivent aller ensemble. Quand on sait cela (geste en bas) et qu'on connaît cela (geste en haut), on est capable de mettre les deux ensemble.

Et c'est le meilleur usage possible du besoin de miracles. Le besoin du miracle, c'est un geste d'ignorance : "Oh! je voudrais que ce soit ainsi!" c'est un geste d'ignorance et d'impuissance. Et ceux qui disent : "Vous vivez dans le miracle", ce sont ceux qui ne connaissent que le bout en bas — et encore ne le connaissent-ils qu'imparfaitement — et qui n'ont aucun contact avec autre chose.

Il faut changer ce besoin de miracle en une aspiration consciente vers quelque chose, qui est déjà, qui existe, et qui sera manifesté avec l'aide de toutes ces aspirations; toutes ces aspirations sont nécessaires, ou, si l'on regarde d'une façon plus vraie, sont un accompagnement — un accompagnement agréable — dans le déroulement éternel.

Au fond, les gens d'une logique très sévère vous disent : "Pourquoi prier? Pourquoi aspirer, pourquoi demander? Le Seigneur fait ce qu'il veut et Il fera ce qu'il veut." C'est de toute évidence, il n'est pas besoin de le dire, mais cet élan : "Seigneur, manifeste-Toi!", cela donne une vibration plus intense à Sa Manifestation.

Autrement, Il n'aurait jamais fait le monde comme il est — il y a une puissance spéciale, une joie spéciale, une vibration spéciale dans cette intensité d'aspiration du monde pour redevenir ce qu'il est.

Et c'est pour cela — "pour cela" en partie, fragmentairement — qu'il y a une évolution.

Un univers éternellement parfait, manifestant éternellement l'éternelle perfection, manquerait de la joie du progrès.

6 mars 1963

 


1 All's miracle hère and can by miracle change. (I.V.85) (En arrière)

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