71 (Une pensée est une flèche tirée sur la vérité ; elle peut frapper en un...)

Nyomtatóbarát változat

71 — Une pensée est une flèche tirée sur la vérité ; elle peut frapper en un point mais non couvrir la cible tout entière. Mais l'archer est trop satisfait de son succès pour en demander davantage.

 

Mais c'est évident! c'est tellement évident pour nous.

Oui, mais qu'est-ce qu'il faut faire pour couvrir la cible tout entière?

Ne plus être un archer!

L'image est jolie. C'est bon pour les gens qui sont justement dans l'état où ils s'imaginent avoir découvert la Vérité.

C'est bon à dire à ceux qui croient avoir trouvé la Vérité, parce qu'ils ont touché un point.

Mais nous avons tellement dit autre chose.

On peut se demander dans quelle mesure il est possible d'agir, du jour où l'on est capable d'embrasser toute la cible, c'est-à-dire de connaître tous les points de vue et l'utilité de chaque chose, puisque l'on voit que tout est utile, que tout est à sa place. Pour agir, on a besoin d'être, en quelque sorte, exclusif ou combatif?

Tu connais l'histoire de ce philosophe qui habitait le sud de la France? Je ne me souviens plus de son nom, un homme très connu qui était professeur à l'université de Montpellier et qui habitait les environs de la ville. Et il y avait plusieurs routes qui conduisaient chez lui. Chaque jour, cet homme sortait de son université et il arrivait au carrefour d'où partaient les routes, qui toutes aboutissaient à sa maison — l'une de ce côté-ci, l'autre de ce côté-là, l'autre de ce côté. Et tous les jours, il s'arrêtait et il se demandait : "Laquelle je vais prendre?" Chacune avait son avantage et son inconvénient. Et tout cela passait dans sa tête, l'avantage et l'inconvénient, et ceci et cela, et il perdait une demi-heure à choisir son chemin pour rentrer.

Il donnait cela comme un exemple de l'incapacité de la pensée dans l'action : si l'on se met à penser, on ne peut plus agir.

C'est très bon ici, tout en bas, sur ce plan-là, tant qu'on est l'archer et qu'on touche un point. Mais ce n'est pas vrai là-haut — c'est tout le contraire! Toute l'intelligence en dessous est comme cela, elle voit toutes sortes de choses; et comme elle voit toutes sortes de choses, elle ne peut pas choisir pour agir. Mais pour voir toute la cible, pour voir la Vérité tout entière, il faut passer de l'autre côté. Et quand on passe de l'autre côté, ce n'est pas une addition de vérités multiples que l'on voit, ce n'est plus une quantité innombrable de vérités qui s'ajoutent l'une à l'autre et que l'on voit l'une après l'autre, et on ne peut pas saisir le tout d'un seul coup. Quand on passe en haut, c'est le tout que l'on voit d'abord, c'est le tout qui se présente d'un seul coup, tout entier, dans l'ensemble, sans division. Et alors, ce n'est plus un choix que l'on a à faire, c'est une vision que l'on a : c'est cela qu'il faut faire. Ce n'est pas un choix entre ceci et cela, ou cela, ou cela; parce que ce n'est plus comme cela. Ce ne sont plus des choses successives que l'on voit l'une après l'autre : c'est une vision simultanée d'un ensemble qui existe comme une unité. Alors le choix est simplement une vision.

Mais tant qu'on est dans cet état-là, comme l'archer, on ne peut pas voir le tout — on ne peut pas voir le tout d'une façon successive, on ne peut pas voir le tout en ajoutant une vérité à l'autre. C'est justement l'incapacité du mental. Le mental ne peut pas. Il verra toujours d'une façon successive, ce sera toujours une addition, et ce n'est pas ça, quelque chose échappera — le sens même de la Vérité échappera.

Ce n'est que quand on a la perception globale, simultanée, du tout, dans une unité, qu'alors on peut avoir la Vérité dans son ensemble.

Et l'action n'est plus, justement, un choix sujet à erreur, à rectification, à discussion, mais la claire vision de ce qu'il faut faire, qui est infaillible.

3 février 1962

Français