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JNÂNA (La Connaissance) 3

Commentaires Troisième Période (1962-66)

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69 (Le péché et la vertu sont un jeu de résistance que nous jouons avec Dieu...)

69 — Le péché et la vertu sont un jeu de résistance que nous jouons avec Dieu tandis qu'il fait effort pour nous tirer vers la perfection. Le sens de la vertu nous aide à chérir en secret nos péchés.

Ces aphorismes 1 disent bien la futilité de nos idées de péché et de vertu. Tu avais dit aussi, à la suite de ton expérience du 3 février 1958 2: "J'ai vu que ce qui aide les gens à devenir supramentaux, ou les en empêche, est très différent de ce qu'imaginent nos notions morales habituelles." Et tu disais encore : "Ce qui est très évident, c'est que notre appréciation de ce qui est divin ou non divin n'est pas correcte... J'avais alors l'impression... que la relation entre ce monde-ci et l'autre changeait complètement le point de vue d'après lequel les choses doivent être évaluées ou appréciées. Ce point de vue n'avait rien de mental et il donnait un sentiment intérieur étrange que quantités de choses que nous considérons comme bonnes ou mauvaises ne le sont pas réellement. Il était très clair que tout dépendait de la capacité des choses, de leur aptitude à traduire le monde supramental ou à être en relation avec lui."

À quoi ressemble ce "point de vue" supramental? En quoi consiste cette "capacité'' ou cette "aptitude" à traduire le monde supramental ou à être en relation avec lui?

J'ai déjà parlé de cela, un peu, à propos de cette histoire du cerf qui passe dans la forêt. 3

Là, il y avait une indication. Puis je me suis remise en contact avec cette expérience du bateau supramental. Ma vision des choses n'a pas changé depuis ce moment-là. Et je me suis aperçue que cette expérience avait eu une action décisive dans la position; elle a établi d'une façon absolument claire, précise, définitive, les conditions requises.

Une fois pour toutes, cela a balayé non seulement toutes les notions de moralité ordinaire, mais tout ce que l'on considère, ici dans l'Inde, comme nécessaire à la vie spirituelle. À ce point de vue, c'était très instructif. Et d'abord, cette espèce de soi-disant-pureté ascétique. La pureté ascétique, c'est tout simplement le rejet de tous les mouvements du vital — au lieu de prendre ces mouvements et de les tourner vers le Divin, c'est-à-dire de voir en eux la Présence suprême et, justement, de laisser le Suprême y agir librement, on Lui dit : "Non, cela ne Te regarde pas." Il n'a pas le droit d'entrer là-dedans.

Le physique, c'est une vieille affaire, on le sait, depuis toujours les ascètes l'ont rejeté, mais on y ajoutait le vital. Il n'y avait que les choses classiquement reconnues comme sacrées ou admises par la tradition religieuse, comme, par exemple, la sainteté du mariage et les choses de ce genre, que l'on acceptait, mais la vie libre, oh-là ! c'était incompatible avec toute vie religieuse.

Alors, tout cela a été complètement balayé, une fois pour toutes.

Ce n'est pas pour dire que ce qui est demandé est plus facile. C'est probablement beaucoup plus difficile.

D'abord, au point de vue psychologique, il faut la condition dont j'ai parlé dans cette histoire du cerf : c'est l'égalité parfaite. C'est une condition absolue. Et j'ai observé depuis 56, pendant des années, qu'aucune vibration supramentale ne se transmet, excepté dans cette égalité parfaite. S'il y a la moindre contradiction de cette égalité — en fait, le moindre mouvement d'ego, de la préférence de l'ego —, ça ne passe pas, ça ne se transmet pas. Ce qui fait déjà une assez grosse difficulté.

En plus de cela, il y a deux conditions pour que la réalisation puisse être totale, et elles ne sont pas faciles. Ce n'est pas très difficile sur le plan intellectuel (je ne parle pas ici de n'importe qui, je parle de ceux qui ont fait un yoga et qui ont suivi une discipline), c'est relativement facile; sur le plan psychologique aussi, si l'on y associe cette égalité, ce n'est pas très difficile. Mais dès que l'on arrive au plan matériel, c'est-à-dire physique, puis corporel, ce n'est pas facile. Les deux conditions sont celles-ci : d'abord un pouvoir d'expansion, d'élargissement pour ainsi dire indéfini, de sorte qu'on puisse s'élargir à la dimension de la conscience supramentale, qui est totale. La conscience supramentale, c'est celle du Suprême dans Sa totalité —quand je dis "Sa totalité", je veux dire le Suprême sous Son aspect de Manifestation. Naturellement, au point de vue supérieur, de l'essence (l'essence de ce qui devient le Supramental dans la Manifestation), il faut une capacité d'identification totale avec le Suprême, non seulement sous Son aspect de Manifestation mais sous Son aspect statique ou nirvânique, en dehors de la Manifestation — le Non-Être. Mais en plus de cela, il faut être capable de s'identifier au Suprême dans le Devenir. Et ceci implique deux choses : d'abord un élargissement, au moins indéfini, comme je l'ai dit, et, en même temps, une plasticité totale afin de pouvoir suivre le Suprême dans Son Devenir — ce n'est pas à un moment donné qu'il faut être aussi vaste que l'univers, c'est indéfiniment dans le Devenir. Ce sont les deux conditions. Il faut qu'elles soient là, potentielles.

Tant qu'il n'est pas question de transformation physique, le point de vue psychologique et, en grande partie, subjectif, est suffisant. Et c'est relativement facile. Mais quand il s'agit d'incorporer dans le travail la Matière telle qu'elle est dans ce monde, où le point de départ lui-même est faux—nous partons de l'Inconscience et de l'Ignorance —, alors c'est très difficile. Parce que, justement, cette Matière, afin d'arriver à l'individualisation nécessaire pour retrouver la Conscience perdue, elle a été faite avec une certaine fixité, indispensable pour faire durer la forme et pour garder, précisément, cette possibilité d'individualité. Et c'est cela le principal obstacle à cet élargissement et à cette plasticité, à cette souplesse nécessaires pour être capable de recevoir le Supramental. Je me trouve constamment devant ce problème, qui est un problème tout à fait concret, absolument matériel, quand on a affaire à ces cellules et qu'il faut qu'elles restent des cellules, qu'elles ne se vaporisent pas dans une réalité qui n'est plus physique. Et en même temps, qu'elles aient cette souplesse, ce manque de fixité, qui fait qu'elles peuvent s'élargir indéfiniment.

(silence)

L'expérience du bateau se passait dans le physique subtil. Et les gens qui avaient des taches et qu'on était obligé de reprendre, étaient toujours ceux qui manquaient de la souplesse nécessaire pour les deux mouvements. Mais il s'agissait surtout du mouvement d'élargissement, plus que du mouvement de progression pour suivre le Devenir — ça, ça paraissait être une préoccupation ultérieure, pour ceux qui étaient débarqués, après le débarquement. Mais la préparation sur le bateau, c'était cette capacité d'élargissement.

Il y avait une chose aussi, dont je n'ai pas parlé quand j'ai raconté l'expérience : le bateau n'avait pas de machines. Tout, tout était mis en mouvement par la volonté — les individus et les choses (le costume même des gens était un effet de leur volonté). Et cela donnait à toutes ces choses et aux formes des individus une grande souplesse; parce qu'on était conscient de cette volonté — qui n'est pas une volonté mentale, qui est une volonté du Soi, ou une volonté spirituelle pourrait-on dire, une volonté de l'âme si l'on donne au mot âme ce sens-là. Mais c'est une chose dont on peut faire l'expérience ici quand on agit avec une spontanéité absolue, c'est-à-dire quand l'action — comme la parole et le mouvement — n'est pas déterminée par le mental, même pas (je ne parle pas de la pensée et de l'intellect), mais même pas par le mental qui nous fait mouvoir généralement. Généralement, au moment où nous faisons une chose, nous percevons en nous la volonté de faire cette chose (quand on est conscient et que l'on se regarde faire, on voit cela; il y à toujours — ce peut être très prompt — la volonté de faire), c'est l'intervention du mental, l'intervention habituelle, l'ordre dans lequel les choses se passent. Tandis que l'action supramentale est décidée en sautant par-dessus le mental; passer par lui n'est pas nécessaire, c'est direct. Quelque chose entre en contact direct avec les centres vitaux et les fait agir, sans passer par la pensée — mais en toute conscience. La conscience ne fonctionne pas dans l'ordre habituel, elle fonctionne directement du centre de volonté spirituelle à la Matière.

Et tant que l'on peut garder cette immobilité absolue du mental, l'inspiration est absolument pure — elle vient pure. Quand on peut attraper cela et le garder en parlant, ce qui vient aussi n'est pas mélangé, ça reste pur.

C'est un fonctionnement extrêmement délicat, probablement parce qu'il n'est pas accoutumé — un tout petit mouvement, une toute petite vibration mentale dérange tout. Mais tant que cela dure, c'est parfaitement pur. Et c'est cela qui doit être l'état constant d'une vie supramentalisée. La volonté spirituelle mentalisée ne doit plus intervenir — parce qu'on peut très bien avoir une volonté spirituelle, on peut vivre constamment en exprimant la volonté spirituelle (c'est ce qui arrive à tous ceux qui sentent qu'ils sont dirigés par le Divin en eux), mais ça passe par une transcription mentale. Eh bien, tant que c'est cela, ce n'est pas la vie supramentale. La vie supramentale ne passe plus par le mental. Le mental est une zone immobile de transmission. Un tout petit déclic suffit à déranger.

(silence)

On peut dire que l'état constant, nécessaire, pour que le Supramental puisse s'exprimer à travers une conscience terrestre, c'est l'égalité parfaite, qui provient de l'identification spirituelle avec le Suprême : tout devient le Suprême dans une égalité parfaite. Et automatique —pas une égalité qu'on obtient par la volonté consciente, par l'effort intellectuel, par une compréhension qui précède l'état; ce n'est pas cela. Il faut que ce soit spontané et automatique, que la façon de répondre à tout ce qui vient du dehors ne soit plus comme si l'on répondait à quelque chose qui vient du dehors. Il faut que cette espèce de réflexion et de réponse soient remplacées par un état de perception constant et, je ne peux pas dire identique, parce que chaque chose appelle nécessairement sa réponse spéciale, mais libre de tout rebondissement, si l'on peut dire. C'est la différence qu'il y a entre quelque chose qui vient du dehors et qui vous frappe, et à quoi vous répondez, et quelque chose qui circule et qui, tout naturellement, entraîne les vibrations nécessaires à l'action générale. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre... C'est la différence entre un mouvement vibratoire qui circule dans un champ d'action identique, et un mouvement qui vient de quelque chose en dehors et qui touche du dehors, et qui obtient une réponse (ça, c'est l'état habituel de la conscience humaine). Tandis que, quand la conscience est identifiée au Suprême, les mouvements sont pour ainsi dire intérieurs, en ce sens qu'il n'y a rien qui vienne du dehors : ce sont seulement des choses qui circulent et qui, naturellement, dans leur circulation, entraînent certaines vibrations par similitude et par nécessité, ou changent les vibrations dans le milieu circulatoire.

C'est une chose qui m'est très familière, parce que c'est mon état actuel constant — je n'ai jamais l'impression de choses qui viennent du dehors et qui cognent, mais j'ai l'impression de mouvements intérieurs, multiples, quelquefois contradictoires, et d'une circulation constante entraînant les changements intérieurs nécessaires au mouvement.

Ça, c'est la base indispensable.

L'élargissement suit presque automatiquement, avec des nécessités d'ajustement dans le corps lui-même, qui sont difficiles à résoudre. C'est un problème dans lequel je suis encore complètement plongée.

Puis cette souplesse pour suivre le mouvement du Devenir. La souplesse, c'est-à-dire une capacité de se décristalliser — toute, toute la période de la vie qui consiste à s'individualiser est une période de cristallisation consciente et volontaire qui, après, doit être défaite. Pour être un être conscient et individuel, c'est une cristallisation constante — constante — et volontaire, de toutes choses ; et après, il faut faire le mouvement contraire, constamment, et aussi, encore plus, volontairement. Et en même temps, il ne faut pas perdre le bénéfice, dans la conscience, de ce que l'on a acquis par l'individualisation.

Il faut dire que c'est difficile.

Au point de vue de la pensée, c'est élémentaire, très facile. Et même au point de vue des sentiments, ce n'est pas difficile : que le cœur, c'est-à-dire l'être affectif, s'élargisse à la dimension du Suprême, c'est relativement facile. Mais ce corps ! c'est très difficile — très difficile sans qu'il perde... comment dire... son centre de coagulation, qu'il ne se dissolve pas dans la masse environnante. Et encore, si l'on était dans un lieu de la nature, avec des montagnes, des forêts, des rivières, et puis beaucoup de beauté naturelle, beaucoup d'espace, ce serait plutôt agréable! Mais on ne peut pas faire un pas, matériellement, hors de son corps, sans rencontrer des choses pénibles — il arrive quelquefois que l'on entre en contact avec une substance qui est plaisante, qui est harmonieuse, chaleureuse, qui vibre d'une lumière supérieure. Mais c'est rare. Oui, les fleurs, quelquefois les fleurs — quelquefois, pas toujours. Mais ce monde matériel, oh !... on est cogné partout — griffé, griffé, écorché, cogné par toutes sortes de choses qui ne s'épanouissent pas — oh, comme c'est difficile! Comme la vie humaine n'est pas épanouie! recroquevillée, durcie, sans lumière, sans chaleur — et je ne parle pas de joie.

Tandis que, parfois, quand on voit de l'eau qui coule, ou un rayon de soleil dans les arbres, oh ! ça chante — des cellules qui chantent, qui sont contentes.

Mais si la difficulté de la transformation physique est si grande, est-ce qu'il n'y aurait pas avantage à agir occultement et à matérialiser quelque chose, à créer un corps nouveau par des procédés occultes?

L'idée, c'est qu'il faudrait d'abord que des êtres soient arrivés jusqu'à une certaine réalisation ici, dans le monde physique, qui leur donnerait le pouvoir de matérialiser un être supramental.

Je t'ai raconté que j'avais revêtu d'un corps un être du vital, mais je n'aurais jamais pu — il aurait été impossible de rendre ce corps matériel : il manque quelque chose, il manque quelque chose. Même si on le rendait visible, probablement on ne pourrait pas le garder permanent — à la moindre occasion il se dématérialiserait. C'est cette permanence que l'on ne peut pas obtenir.

Nous avions discuté de cela avec Sri Aurobindo (discuter, c'est une façon de parler), nous en avions parlé, et il voyait la chose comme moi, c'est-à-dire qu'il y a un pouvoir qu'on n'a pas, un pouvoir de fixer la forme ici, sur la Terre. Même ceux qui ont des capacités de matérialisation, ça ne reste pas — ça ne peut pas, ça ne peut pas rester, ça n'a pas la vertu des choses physiques.

Et alors, on ne pourrait pas assurer la continuité de la création sans quelque chose qui possède cela.

Tout le processus occulte, je le connaissais en détail, mais je n'aurais jamais pu le rendre plus matériel, même si j'avais essayé — visible oui, mais impermanent, pas capable de progression.

12 janvier 1962

 


1 Aphorismes 67, 68, 69. (En arrière)

2 Entretiens 1958, l'expérience du "bateau supramental" et de la sélection pour le débarquement dans le monde supramental. (En arrière)

3 Un cerf passe dans la foret pour aller boire, mais qu'est-ce qui prouve qu'il est passé? La plupart des gens n'y verront aucun signe; peut-être même ne savent-ils pas ce qu'est un cerf, et même ceux qui savent ne pourront pas dire qu'il est passé par là. Mais celui qui a fait des études spéciales de vénerie, un truqueur, trouvera des signes évidents et il saura non seulement dire quel genre de cerf est passé, mais sa taille, son âge, son sexe, etc. De même, il doit y avoir des gens qui ont une connaissance spirituelle analogue à celle des veneurs et qui peuvent déceler qu'une personne est en rapport avec le supramental, alors que les gens ordinaires, qui n'ont pas entraîné leur mental, ne s'en apercevront pas. Le supramental est descendu sur terre, dit-on, il s'est manifesté. J'ai lu tout ce que l'on a écrit à ce propos mais je suis parmi les ignorants qui ne voient rien et ne sentent rien. Celui qui a une perception plus entraînée pourrait-il donc me dire à quels signes je pourrais reconnaître qu'une personne est en relation avec le supramental?

Deux signes irréfutables prouvent que l'on est en relation avec le supramental :

1. une égalité parfaite et constante.

2. une certitude absolue dans la connaissance.

Pour être parfaite, l'égalité doit être invariable et spontanée, sans effort, à l'égard de toutes les circonstances, tous les événements, tous les contacts, matériels ou psychologiques, quels que soient leur caractère et le choc qu'ils donnent.

La certitude absolue et indiscutable d'une connaissance infaillible par identité. (Bulletin d'avril 1961, p. 22.) (En arrière)

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70 (Examine-toi sans pitié, alors tu seras plus charitable et plus...)

70 — Examine-toi sans pitié, alors tu seras plus charitable et plus compatissant pour les autres.

 

Très bien!

C'est très bien, très bon pour tout le monde, surtout pour les gens qui se croient très supérieurs.

Mais vraiment, cela correspond à quelque chose de très profond.

Justement, c'est une expérience que j'ai depuis quelque temps. C'est presque comme un renversement d'attitude.

Au fond, les hommes se sont toujours pris pour des espèces de victimes harcelées par les forces adverses; et ceux qui sont courageux se battent, les autres se lamentent. Mais de plus en plus, j'ai une vision très concrète du rôle que jouent les forces adverses dans la création, de leur nécessité pour ainsi dire absolue, pour qu'il puisse y avoir progrès et que la création redevienne son Origine. Et la vision si claire qu'au lieu de demander la conversion ou l'abolition des forces adverses, c'est sa propre transformation qu'il faut accomplir, pour laquelle il faut prier, qu'il faut effectuer. Ceci, au point de vue terrestre, je ne me place pas au point de vue individuel — le point de vue individuel, on le sait —, c'est au point de vue terrestre. Et c'était la vision, tout d'un coup, de toutes les erreurs, de toutes les incompréhensions, de toutes les ignorances, de toutes les obscurités, et, pire que cela, de toutes les mauvaises volontés de la conscience terrestre, qui se sont senties responsables de la prolongation de ces êtres et de ces forces adverses, et qui les ont offerts dans une grande aspiration — plus qu'une aspiration, une sorte d'holocauste — pour que les forces adverses puissent disparaître, qu'elles n'aient plus de raison d'être, qu'elles ne soient plus là comme des indicatrices de tout ce qui doit changer.

Elles étaient rendues obligatoires par toutes ces choses qui étaient des négations de la vie divine ; et ce mouvement d'offrande de la conscience terrestre au Suprême, avec une intensité extraordinaire, était comme un rachat, pour que les forces adverses puissent disparaître.

C'était une expérience très intense qui se traduisait comme cela : "Prends toutes les fautes que j'ai commises, prends toutes ces fautes, accepte-les, efface-les, pour que ces forces puissent disparaître."

Cet aphorisme, c'est ça à l'autre bout, c'est ça dans son essence. Tant qu'une conscience humaine aura en elle la possibilité de sentir, d'agir, ou de penser, ou d'être contrairement au grand Devenir divin, il est impossible d'en blâmer un autre; il est impossible de blâmer les forces adverses, qui sont maintenues dans la création comme le moyen de vous faire voir et sentir tout le chemin qui est à faire.

(silence)

L'état dans lequel je me trouvais était comme un souvenir — un souvenir qui est éternellement présent — de cette Conscience d'Amour suprême que le Seigneur a émanée sur la Terre, dans la Terre — dans la Terre — pour la ramener à Lui, parce que c'était vraiment la descente dans la Négation divine la plus totale, la négation de l'essence même de la Nature divine, par conséquent l'abandon de l'état divin pour accepter l'obscurité terrestre et ramener la Terre à l'état divin. Et à moins que cet Amour suprême ne devienne tout puissamment conscient, ici, sur la Terre, le retour ne pourra jamais être définitif.

Cette expérience est venue après la vision du grand Devenir divin,1 et je me demandais : "Puisque ce monde est progressif, puisqu'il devient de plus en plus le Divin, est-ce qu'il n'y aura pas toujours ce sentiment, si profondément douloureux, de la chose qui n'est pas divine, de l'état qui n'est pas divin par rapport à celui qui doit devenir; est-ce qu'il n'y aura pas toujours ce qu'on appelle des "forces adverses", c'est-à-dire quelque chose qui ne suit pas harmonieusement le mouvement?" Alors la réponse est venue, la vision est venue : non, c'est justement le moment de cette possibilité-là qui est proche, le moment de la manifestation de cette essence d'Amour parfait, qui peut transformer cette inconscience, cette ignorance et cette mauvaise volonté qui en est la conséquence, en une progression lumineuse, joyeuse, assoiffée de perfection, toute compréhensive.

C'était très concret.

Et cela correspond à un état où l'on s'identifie si parfaitement à tout ce qui est, que l'on devient tout ce qui est antidivin, d'une façon concrète, et qu'on peut l'offrir — qu'on peut l'offrir, qu'on peut vraiment le transformer par l'offrande.

Au fond, c'est cette espèce de volonté de pureté, de Bien, dans les hommes (qui se traduit dans la mentalité ordinaire par le besoin d'être vertueux) qui est le grand obstacle au vrai don de soi. C'est à l'origine du Mensonge, et surtout à la source même de l'hypocrisie: le refus d'accepter de prendre sur soi sa part du fardeau des difficultés. Et c'est cela que Sri Aurobindo a touché dans cet aphorisme, tout droit, d'une façon très simple.

N'essayez pas d'avoir l'air vertueux. Voyez à quel point Vous êtes uni, un avec tout ce qui est antidivin, prenez votre part du fardeau, acceptez d'être, vous-même, impur et mensonger, et comme cela vous pourrez prendre l'Ombre et la donner. Et dans la mesure où vous êtes capable de la prendre et de la donner, alors les choses changeront.

N'essayez pas d'être parmi les purs. Acceptez d'être avec ceux qui sont dans l'obscurité; et dans un amour total, donnez tout ça.

21 janvier 1962

 


1 Voir commentaires sur l'aphorisme précédent. (En arrière)

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71 (Une pensée est une flèche tirée sur la vérité ; elle peut frapper en un...)

71 — Une pensée est une flèche tirée sur la vérité ; elle peut frapper en un point mais non couvrir la cible tout entière. Mais l'archer est trop satisfait de son succès pour en demander davantage.

 

Mais c'est évident! c'est tellement évident pour nous.

Oui, mais qu'est-ce qu'il faut faire pour couvrir la cible tout entière?

Ne plus être un archer!

L'image est jolie. C'est bon pour les gens qui sont justement dans l'état où ils s'imaginent avoir découvert la Vérité.

C'est bon à dire à ceux qui croient avoir trouvé la Vérité, parce qu'ils ont touché un point.

Mais nous avons tellement dit autre chose.

On peut se demander dans quelle mesure il est possible d'agir, du jour où l'on est capable d'embrasser toute la cible, c'est-à-dire de connaître tous les points de vue et l'utilité de chaque chose, puisque l'on voit que tout est utile, que tout est à sa place. Pour agir, on a besoin d'être, en quelque sorte, exclusif ou combatif?

Tu connais l'histoire de ce philosophe qui habitait le sud de la France? Je ne me souviens plus de son nom, un homme très connu qui était professeur à l'université de Montpellier et qui habitait les environs de la ville. Et il y avait plusieurs routes qui conduisaient chez lui. Chaque jour, cet homme sortait de son université et il arrivait au carrefour d'où partaient les routes, qui toutes aboutissaient à sa maison — l'une de ce côté-ci, l'autre de ce côté-là, l'autre de ce côté. Et tous les jours, il s'arrêtait et il se demandait : "Laquelle je vais prendre?" Chacune avait son avantage et son inconvénient. Et tout cela passait dans sa tête, l'avantage et l'inconvénient, et ceci et cela, et il perdait une demi-heure à choisir son chemin pour rentrer.

Il donnait cela comme un exemple de l'incapacité de la pensée dans l'action : si l'on se met à penser, on ne peut plus agir.

C'est très bon ici, tout en bas, sur ce plan-là, tant qu'on est l'archer et qu'on touche un point. Mais ce n'est pas vrai là-haut — c'est tout le contraire! Toute l'intelligence en dessous est comme cela, elle voit toutes sortes de choses; et comme elle voit toutes sortes de choses, elle ne peut pas choisir pour agir. Mais pour voir toute la cible, pour voir la Vérité tout entière, il faut passer de l'autre côté. Et quand on passe de l'autre côté, ce n'est pas une addition de vérités multiples que l'on voit, ce n'est plus une quantité innombrable de vérités qui s'ajoutent l'une à l'autre et que l'on voit l'une après l'autre, et on ne peut pas saisir le tout d'un seul coup. Quand on passe en haut, c'est le tout que l'on voit d'abord, c'est le tout qui se présente d'un seul coup, tout entier, dans l'ensemble, sans division. Et alors, ce n'est plus un choix que l'on a à faire, c'est une vision que l'on a : c'est cela qu'il faut faire. Ce n'est pas un choix entre ceci et cela, ou cela, ou cela; parce que ce n'est plus comme cela. Ce ne sont plus des choses successives que l'on voit l'une après l'autre : c'est une vision simultanée d'un ensemble qui existe comme une unité. Alors le choix est simplement une vision.

Mais tant qu'on est dans cet état-là, comme l'archer, on ne peut pas voir le tout — on ne peut pas voir le tout d'une façon successive, on ne peut pas voir le tout en ajoutant une vérité à l'autre. C'est justement l'incapacité du mental. Le mental ne peut pas. Il verra toujours d'une façon successive, ce sera toujours une addition, et ce n'est pas ça, quelque chose échappera — le sens même de la Vérité échappera.

Ce n'est que quand on a la perception globale, simultanée, du tout, dans une unité, qu'alors on peut avoir la Vérité dans son ensemble.

Et l'action n'est plus, justement, un choix sujet à erreur, à rectification, à discussion, mais la claire vision de ce qu'il faut faire, qui est infaillible.

3 février 1962

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72 (Le signe du commencement de la Connaissance est de sentir que l'on ne...)

72 —Le signe du commencement de la Connaissance est de sentir que l'on ne sait encore rien ou peu; et pourtant, si seulement je pouvais connaître ma connaissance, je possède déjà tout.

 

Il arrive, dans le sommeil, qu'on ait une connaissance très exacte de ce qui va arriver, avec des détails matériels d'une précision surprenante, comme si tout était déjà là, accompli dans les moindres détails, sur un plan occulte. Est-ce exact? Quel est ce plan de connaissance? Y en a-t-il un ou plusieurs? Comment procéder pour y avoir accès consciemment en état de veille? Et comment se fait-il que des gens sérieux, qui ont une réalisation divine, puissent se tromper parfois grossièrement dans leurs prédictions?

Mais c'est un monde! Ce n'est pas une question, c'est vingt questions!

Il y a toutes sortes de rêves prémonitoires. Il y a des rêves prémonitoires à réalisation immédiate, c'est-à-dire rêver la nuit de ce qui arrivera le lendemain, et il y a des rêves prémonitoires à réalisation plus ou moins échelonnée dans le temps. Et suivant la place dans le temps, ces rêves ont été vus dans des domaines différents.

Plus on remonte vers une certitude absolue, plus la distance est grande, parce que ce sont des visions dans un domaine très proche de l'Origine, et que le temps entre la révélation de ce qui va être et la réalisation peut être très long. Mais la révélation est certaine, parce qu'elle est très proche de l'Origine. Il y a un endroit, quand on est identifié avec le Suprême, où l'on sait tout, d'une façon absolue, dans le passé, dans le présent, dans l'avenir et partout. Mais généralement, les gens qui vont là, quand ils reviennent, oublient ce qu'ils ont vu. Il faut une discipline particulièrement sévère pour se souvenir. Et ça, c'est le seul endroit où l'on ne se trompe pas.

Mais les mailles, ou les chaînons de communication ne sont pas toujours au complet et il est rare qu'on se souvienne.

Pour en revenir à ce que je disais, suivant le plan sur lequel on a vu, on peut plus ou moins juger du temps que la vision mettra à se réaliser; et les choses immédiates sont déjà réalisées, existantes, dans le physique subtil, et on peut les voir là — simplement, elles sont, elles existent là — et elles sont seulement la réflexion (même pas une transcription), la réflexion ou la projection de l'image dans le monde matériel, qui se produira le lendemain ou quelques heures après. Là, on voit la chose exacte et dans tous les détails, parce qu'elle est déjà; tout dépend donc de l'exactitude de la vision et du pouvoir de vision. Si vous avez un pouvoir de vision objectif et sincère, vous voyez la chose exactement; si vous y ajoutez des sentiments ou des impressions, ça colore. Donc, l'exactitude dans le physique subtil dépend exclusivement de l'instrument, c'est-à-dire de celui qui voit.

Mais dès que vous allez dans un domaine plus subtil, comme le domaine vital — et le domaine mental encore bien plus, mais déjà dans le domaine vital, il y a une petite marge de possibilités — alors, grosso modo, on peut voir ce qui va arriver, mais, dans les détails, ce peut être comme ceci ou comme cela — il y a des volontés ou des influences qui ont la possibilité d'intervenir et de créer une différence.

Et ceci, parce que la Volonté originelle est reflétée, pour ainsi dire, dans des domaines différents, et chaque domaine change l'organisation et la relation des images. Le monde dans lequel nous vivons est un monde d'images. Ce n'est pas la chose elle-même dans son essence, c'est la réflexion de cette chose. On pourrait dire que nous sommes, dans notre existence matérielle, seulement une réflexion, une image de ce que nous sommes dans notre réalité essentielle. Et ce sont les modalités de ces réflexions qui introduisent toutes les erreurs et toutes les falsifications —ce que l'on voit dans l'essence est parfaitement vrai et pur et existe de toute éternité; les images sont essentiellement variables. Et suivant le degré de mensonge introduit dans les vibrations, le degré de déformation et de transformation augmente. On pourrait dire que toute circonstance, tout événement, toute chose, a une existence pure, qui est l'existence vraie, et un nombre considérable d'existences impures ou déformées, qui sont l'existence de la même chose dans les divers domaines de l'être. Par exemple, dans le domaine intellectuel, il y a tout un commencement de déformation; le domaine mental a une quantité considérable de déformations et, à mesure que tous les domaines émotifs et sensoriels interviennent, les déformations augmentent. Et une fois qu'on arrive au plan matériel, le plus souvent c'est méconnaissable, unrecognizable. C'est complètement déformé. Au point qu'il est parfois très difficile de savoir que ceci est l'expression matérielle de cela — ça ne se ressemble plus beaucoup.

C'est une façon un peu nouvelle d'aborder le problème et qui peut donner la clef de beaucoup de choses.

Ainsi, quelqu'un que l'on connaît bien et qu'on a l'habitude de voir matériellement, si on le voit dans le physique subtil, il y a déjà des choses qui deviennent plus prononcées, plus visibles, plus importantes, et que l'on n'avait pas vues physiquement, parce que dans la grisaille matérielle elles avaient passé sur le même plan que beaucoup d'autres choses. Il y a des caractères, ou des expressions du caractère, qui deviennent suffisamment importantes pour être très visibles, et qui, physiquement, n'avaient pas paru. Quand vous regardez quelqu'un physiquement, il y a la couleur du teint, la forme des traits, l'expression — à la même minute, si vous voyez cette figure dans le physique subtil, tout d'un coup vous vous apercevez qu'une partie de la figure a une certaine couleur et une autre partie, une autre couleur; que les yeux ont au-dedans d'eux une expression et une sorte de lumière qui n'étaient pas du tout visibles; et que le tout a une apparence, et surtout donne une impression extrêmement différente, qui paraîtrait, pour nos yeux physiques, quelque peu extravagante, mais qui est très expressive pour la vision subtile, et révélatrice du caractère ou même des influences auxquelles est soumise cette personne (ce que je dis là est la notation d'une expérience que j'ai faite il y a quelques jours encore).

Donc, suivant le degré auquel on est conscient et où l'on voit, on perçoit des images, on voit des événements plus ou moins proches, et on les voit d'une façon plus ou moins exacte. La seule vision qui soit vraie et sûre, c'est la vision de la Conscience divine. Le problème est donc de devenir conscient de la Conscience divine et de garder cette Conscience dans tous les détails, tout le temps.

D'ici là, il y a toutes sortes de manières de recevoir des indications. La vision exacte et précise, familière, qu'ont certaines personnes, peut avoir plusieurs sources. Ce peut être une vision par identité avec les circonstances et les choses, quand on a pris l'habitude d'étendre sa conscience à l'entour. Ce peut être une indication donnée par un bavard du monde invisible qui s'amuse à vous prévenir de ce qui va arriver — ça arrive très souvent. Alors tout dépend de la qualité morale de votre "annonciateur"; s'il s'amuse à vos dépens, il vous raconte des histoires — c'est ce qui arrive la plupart du temps aux gens qui sont renseignés par des entités. Elles peuvent, pour amorcer les gens, leur raconter très souvent les choses telles qu'elles seront, parce qu'elles ont une vision universelle dans un domaine quelconque du vital ou du mental, et puis, quand elles sont bien sûres que vous aurez confiance en elles, elles peuvent commencer à vous raconter des blagues, et, comme on dit en anglais, you make a fool of yourself. Cela arrive très souvent. Il faudrait être soi-même dans une conscience supérieure à celle de ces individus ou de ces entités, ou de ces petites divinités comme certains les appellent, et pouvoir contrôler par en haut la valeur de leurs déclarations.

Si on a la vision mentale universelle, on peut voir toutes les formations mentales; alors on voit — et c'est très intéressant — comment le monde mental s'organise pour se réaliser sur le plan physique. On voit les diverses formations, la façon dont elles s'approchent, se combattent, se combinent, s'organisent; celles qui prennent le dessus et influencent, et qui arrivent à une réalisation plus totale. Maintenant, si l'on veut avoir vraiment une vision supérieure, il faut surgir du monde mental et voir les volontés originelles à mesure qu'elles descendent pour s'exprimer. Dans ce cas, on peut ne pas avoir tous les détails, mais le fait central, le fait dans sa vérité centrale, est indiscutable, indéniable, absolument correct.

Il y a aussi les gens qui ont la faculté de prédire des choses qui sont déjà existantes sur terre, mais à distance, une grande distance, très loin des yeux physiques — généralement, ce sont ceux qui ont la capacité d'élargir et d'étendre leur conscience. Ils ont une vision physique, mais un petit peu plus subtile, qui dépend d'un organe plus subtil que l'organe purement matériel (ce que l'on pourrait appeler la vie de cet organe) et alors, en projetant sa conscience avec la volonté de voir, on peut voir très bien, on voit les choses — elles sont déjà, seulement elles ne sont pas dans le champ de notre vision ordinaire. Ceux qui ont cette capacité et qui disent ce qu'ils voient, qui sont des gens sincères, qui ne sont pas des bluffeurs, voient d'une façon absolument précise et exacte.

Au fond, un grand facteur pour ceux qui prédisent ou qui voient, c'est leur absolue sincérité. Et malheureusement, à cause de la curiosité des gens, de leur insistance, de la pression qu'ils font — et à laquelle très peu savent résister —, ce qui arrive, quand il y a quelque chose que l'on ne voit pas d'une façon exacte ou précise, c'est qu'il y a une faculté d'imagination intérieure, presque involontaire, qui ajoute le petit élément qui manque. C'est ce qui fait les failles dans les prédictions. Il y a très peu de gens qui aient le courage de dire : "Ah, non, ça je ne sais pas; ça, ça m'échappe" —d'ailleurs, ils n'ont même pas le courage de se le dire à eux-mêmes. Et alors, un tout petit peu d'imagination, qui agit d'une façon presque subconsciente, et on complète la vision, l'information — n'importe quoi peut arriver. Il y a très peu de gens qui savent résister à cela. J'ai connu beaucoup, beaucoup de voyants, j'ai connu beaucoup d'individus qui avaient un don merveilleux — il y en avait très peu qui savaient s'arrêter juste là où ils ne savaient plus. Ou bien, pour un petit détail, on rajoute. C'est ce qui donne à ces facultés une qualité toujours un peu douteuse. Il faut être vraiment un saint — un grand saint, un grand sage — et tout à fait libre, pas du tout sous l'influence des gens (je ne parle pas, naturellement, de ceux qui veulent avoir une renommée, parce qu'alors là, ils tombent dans des pièges grossiers), mais même, il suffit d'une bonne volonté, de vouloir contenter les autres, leur faire plaisir, les aider, il suffit de cela pour que ça déforme.

Quand les événements sont prêts, déjà, dans le physique subtil, et qu'on en a la vision, est-il trop tard pour changer les choses? Est-ce qu'on peut encore agir?

Je connais un exemple très intéressant. Il y avait un temps où, dans le journal Le Matin (il y a longtemps, tu devais être bien petit), il y avait tous les jours un petit dessin représentant un garçon qui montrait du doigt quelque chose — une sorte de groom, ou de garçon d'hôtel, habillé de cette façon-là, et qui montrait toujours la date, ou je ne sais quoi, un petit dessin. Or, le monsieur à qui cette histoire est arrivée était en voyage et il habitait un grand hôtel, je ne sais plus dans quelle ville; et la nuit, ou de bonne heure le matin, de très bonne heure le matin, il avait eu un rêve : il avait vu ce garçon d'hôtel, ce groom, qui lui montrait son char funèbre (tu sais, quand on emmène les gens au cimetière, là-bas, en Europe) et qui l'invitait à monter dedans ! Il a vu cela, et puis, le matin, quand il a été prêt, il est sorti de son appartement qui était tout en haut, et là, sur le palier, le même garçon, habillé de la même manière, lui a montré l'ascenseur pour qu'il descende. Ça lui a donné un choc. Il a refusé, il a dit : "Non, merci!" L'ascenseur est tombé, il s'est écrasé, les gens dedans ont été tués.

Il m'a dit qu'après cela il croyait aux rêves!

C'était une vision. Il avait vu ce garçon, mais au lieu de l'ascenseur, c'était son corbillard qu'il lui montrait. Alors, quand il a vu le même geste, le même garçon, comme le dessin n'est-ce pas, il a dit : "Non merci, je descends à pied", et la machine (c'était un de ces ascenseurs hydrauliques), la machine s'est cassée, elle s'est effondrée. C'était tout en haut. Ça a été une bouillie.

Mon explication, c'est qu'une entité l'avait prévenu; l'image du groom laisse penser qu'une intelligence, une conscience, était intervenue — ce ne semble pas être son propre subconscient. Ou peut-être est-ce son subconscient qui était au courant et qui avait vu dans le physique subtil que ça allait arriver, mais pourquoi son subconscient lui a-t-il fait une image comme cela? Je ne sais pas. Peut-être est-ce quelque chose dans le subconscient qui savait; parce que c'était déjà là, c'était déjà dans le physique subtil. L'accident existait déjà avant d'arriver — la loi de l'accident.

Il y a évidemment, toujours, pour tout, une différence, quelquefois de quelques heures (mais ça, c'est le maximum), quelquefois de quelques secondes. Et très souvent, les choses vous disent qu'elles sont là — pour qu'elles entrent en contact avec votre conscience, cela prend quelquefois quelques minutes, quelquefois quelques secondes. Constamment, constamment je sais ce qui va arriver, et pour des choses absolument sans intérêt — il n'y a aucun intérêt à le savoir d'avance, on n'y change rien, mais ça existe et c'est autour de vous. Si votre conscience est assez large, vous savez tout cela, par exemple que telle personne va m'apporter un paquet; des choses de ce genre. Et tous les jours c'est comme cela. Ou que telle personne est en train d'arriver. C'est parce que la conscience est répandue, alors elle contacte des choses.

Mais dans ce cas, on ne peut pas dire que ce soit prémonitoire, parce que ça existe déjà; c'est seulement le contact avec nos sens qui prend quelques secondes à se réaliser, parce qu'il y a une porte ou un mur, ou quelque chose qui empêche de voir.

Mais plusieurs fois j'ai eu des expériences comme cela. Par exemple, une fois, je me promenais dans la montagne, j'étais sur un sentier où il n'y avait de place que pour un — d'un côté, le précipice, et de l'autre, le rocher à pic. J'étais avec trois enfants derrière moi, et une quatrième personne qui fermait la marche. J'étais en tête. Et le sentier suivait le rocher, on ne voyait pas où on allait (c'était d'ailleurs très dangereux; si on glissait, on était dans le trou). Je marchais en tête et, tout d'un coup, j'ai vu, avec d'autres yeux que ceux-ci (pourtant je regardais attentivement mes pas), j'ai vu un serpent, comme ça, sur le rocher, qui attendait de l'autre côté. Alors j'ai fait un pas, doucement, et, en effet, de l'autre côté, il y avait un serpent. Ça m'a évité le choc de la surprise, parce que j'avais vu et que j'avançais avec précaution; et comme il n'y avait pas le choc de la surprise, j'ai pu dire aux enfants, sans leur donner de choc : "Arrêtez, restez tranquilles, ne bougez pas." Avec le choc, il aurait pu arriver quelque chose: le serpent avait entendu du bruit, il était déjà lové et sur la défensive, devant son trou, avec sa tête qui bougeait — c'était une vipère. C'était en France. Rien n'est arrivé; tandis que s'il y avait eu de la confusion, un brouhaha, on ne sait pas ce qui aurait pu se produire.

Ce genre de choses m'est arrivé très, très souvent (pour les serpents, ça m'est arrivé quatre fois). Une fois, il faisait tout à fait nuit, c'était ici, près du village de pêcheurs d'Ariancoupom. Il y avait une rivière et c'était juste à l'endroit où elle se jette dans la mer, et il faisait nuit — la nuit était tombée très vite. On marchait sur une route et, au moment précis où j'allais baisser mon pied (j'avais déjà levé mon pied, j'allais le baisser), j'ai entendu distinctement une voix à mon oreille : "Attention!" Pourtant personne n'avait parlé. Alors j'ai regardé et j'ai vu, juste au moment où mon pied allait toucher terre, un énorme cobra noir, sur lequel j'aurais confortablement mis mon pied — ce sont des gens qui n'aiment pas ça. Il a nié, puis il a traversé l'eau — mon petit, une beauté ! Le capuchon ouvert, la tête droite, il a traversé comme un roi, tout ça dehors. Évidemment, j'aurais été punie de mon impertinence.

Des choses comme cela, j'en ai eu des centaines et des centaines —juste à la seconde (pas une seconde trop tôt) informée. Et dans des circonstances très différentes. Une fois, à Paris, j'étais en train de traverser le Boulevard Saint Michel (c'était les dernières semaines; j'avais décidé que dans un certain nombre de mois, j'aurais la jonction avec la Présence psychique, le Divin intérieur, et je ne pensais plus qu'à cela, je n'étais plus occupée que de cela). J'habitais près du Luxembourg, là-bas, et j'allais me promener au Luxembourg, le soir — mais toujours intériorisée. Il y a une espèce de carrefour, là, ce n'est pas un endroit pour traverser intériorisée, ce n'était pas très raisonnable! Et alors, j'étais comme cela, j'avançais, lorsque, tout d'un coup, j'ai reçu un choc, comme si j'avais reçu un coup, comme si quelque chose me donnait un coup, et j'ai sauté en arrière instinctivement; et quand j'ai eu sauté en arrière, un tramway a passé — c'était le tramway que j'avais senti à une distance d'un peu plus d'un bras étendu. Ça avait touché l'aura, l'aura de protection (à ce moment-là, elle était très forte; c'était en plein occultisme et je savais comment la garder), l'aura de protection avait été touchée et ça m'avait littéralement jetée en arrière, comme si j'avais reçu le choc physique. Et avec les insultes du conducteur! J'ai sauté et le tram a passé, juste à temps.

Je ne me souviens plus, mais c'est à la pelle que je pourrais en raconter.

Les raisons peuvent être très différentes. Très souvent, c'est quelqu'un qui m'informait : une petite entité, ou un être quelconque. Quelquefois, c'était l'aura qui protégeait. Pour toutes sortes de choses. C'est-à-dire que la vie était rarement limitée au corps physique — c'est commode, c'est bon. C'est nécessaire, ça augmente vos capacités. C'était ce que m'avait dit tout de suite celui qui m'enseignait l'occultisme : "Vous vous privez de sens qui sont tout ce qu'il y a de plus utile, même pour la vie la plus ordinaire." Et c'est vrai, c'est tout à fait vrai. Nous pouvons savoir infiniment plus de choses que nous n'en savons d'ordinaire, simplement en utilisant nos propres sens. Et pas seulement au point de vue mental, mais au point de vue vital et même au point de vue physique.

Mais quelle est la méthode?

Oh, la méthode est très facile. Ce sont des disciplines. Cela dépend de. ce que l'on veut faire.

Cela dépend. Pour chaque chose il y a une méthode. Et la première méthode, c'est d'abord de le vouloir, c'est-à-dire prendre une décision. Puis on vous donne la description de tous ces sens et comment ils fonctionnent — ça, c'est une longue affaire. Vous prenez un sens, ou plusieurs, ou celui pour lequel vous avez le plus de facilité pour commencer, et vous décidez. Puis vous suivez la discipline. C'est l'équivalent des exercices pour se développer les muscles. On peut même arriver à se créer une volonté.

Mais pour les choses plus subtiles, la méthode est de se faire une image exacte de ce que l'on veut, de se mettre en rapport avec la vibration correspondante, et puis de se concentrer et de faire des exercices. Comme s'exercer à voir à travers un objet, ou bien à entendre à travers un son,1 ou bien à voir à distance. Par exemple, j'ai été long-temps, pendant plusieurs mois, immobilisée dans un lit, et je trouvais cela assez ennuyeux—je voulais voir. J'habitais une chambre, et au bout de la chambre il y avait une autre petite chambre, et au bout de la petite chambre il y avait une sorte de pont, et au milieu du jardin ce pont se changeait en escalier et descendait dans un très grand et très bel atelier construit au milieu du jardin. Je voulais aller voir ce qui se passait dans l'atelier, parce que je m'ennuyais dans ma chambre. Alors je restais bien tranquille, je fermais les yeux et j'envoyais ma conscience petit à petit, petit à petit, petit à petit. Et jour après jour —je prenais une heure fixe et je faisais l'exercice, régulièrement. D'abord, on se sert de son imagination, et puis ça devient un fait. Et au bout d'un certain temps, j'avais tout à fait la sensation physique que ma vision se déplaçait : je la suivais, et puis je voyais des choses en bas, que j'ignorais tout à fait. Je vérifiais après. Le soir, je demandais: "Est-ce que ça, c'était comme cela? Et ça, c'était comme cela?"

Mais pour chacune de ces choses, il faut faire cela pendant des mois, avec patience, une sorte d'obstination. On prend les sens l'un après l'autre : l'ouïe, la vue, et même on arrive à des choses subtiles du goût, de l'odorat, du toucher.

Au point de vue mental, c'est plus facile, parce que là, on est habitué à la concentration. Quand on veut réfléchir et trouver une solution, au lieu de suivre des déductions de pensée, on arrête tout et on essaye de concentrer, concentrer, intensifier le point du problème — on arrête tout et on attend, jusqu'à ce que, par l'intensité de la concentration, on obtienne une réponse. Cela aussi demande un peu de temps. Mais quand on a été un bon élève, on a un peu l'habitude de faire cela, ce n'est pas très difficile.

Il y a une sorte de prolongation des sens physiques. Les Indiens Peaux-Rouges, par exemple, ont une ouïe et un odorat beaucoup, beaucoup plus étendus que les nôtres — et les chiens ! Je connaissais un Indien (c'était mon ami quand j'avais huit ou dix ans, il était venu avec Buffalo Bill, du temps de l'Hippodrome, il y a longtemps, j'avais huit ans) et il mettait son oreille par terre, et il était tellement calé qu'il savait la distance : suivant l'intensité de la vibration, il savait à quelle distance se trouvait le bruit de celui qui marchait. Après cela, les enfants disaient tout de suite : "Je voudrais bien savoir ça!" Et puis on essaye.

C'est comme cela qu'on se prépare. On croit qu'on s'amuse et puis on se prépare pour plus tard.

27 février 1962

 


1 "Entendre derrière un son, a précisé Mère, c'est se mettre en rapport avec la réalité subtile qui est derrière le fait matériel, derrière la parole ou le son physique, ou derrière la musique, par exemple. On se concentre, et puis on entend ce qui est derrière. C'est se mettre en contact avec la réalité vitale qui est derrière les apparences (il peut y avoir aussi une réalité mentale, mais généralement, ce qui est immédiatement derrière le bruit physique, c'est une réalité vitale)." (En arrière)

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73-75 (Quand vient la Sagesse, sa première leçon est de dire : "La...)

73 — Quand vient la Sagesse, sa première leçon est de dire : "La connaissance n'existe pas; il y a seulement des aperçus de la Divinité infinie."

 

C'est très bien.

Il n'est pas besoin de questions.

 

74 — La connaissance pratique est chose différente, c'est-à-dire qu'elle est réelle et commode, mais jamais complète. Par conséquent, la systématiser et la codifier est nécessaire, mais fatal.

75 — Systématiser, nous y sommes obligés, mais même quand nous édifions et soutenons un système, nous ne devrions jamais perdre de vue cette vérité que tous les systèmes, par nature, sont transitoires et incomplets.

 

J'ai regardé cela très, très souvent. Il y avait même un temps où je pensais que si l'on pouvait avoir une connaissance totale, complète et parfaite, de tout le fonctionnement de la Nature physique telle que nous la percevons dans le monde de l'Ignorance, ce serait peut-être le moyen de retrouver, ou d'atteindre de nouveau la Vérité des choses. Avec ma dernière expérience,1 je ne peux plus penser comme cela.

Je ne sais pas si je me fais comprendre... Il y avait un temps — pendant très longtemps — où je pensais que la Science, si elle allait jusqu'au bout de sa possibilité, mais d'une façon absolue (si c'est possible), elle rejoindrait la Connaissance vraie. Comme, par exemple, dans son étude de la composition de la Matière, à force de pousser, pousser, pousser l'investigation, il y aurait un moment où les deux se rejoindraient. Eh bien, au moment où j'ai eu cette expérience du passage de la Conscience-de-Vérité éternelle à la conscience du monde individualisé, il m'a paru que c'était impossible. Et si tu me demandes maintenant, je crois que l'une et l'autre, cette possibilité de jonction en poussant la Science à fond, et puis cette impossibilité d'aucune connexion consciente vraie avec le monde matériel, sont toutes les deux inexactes. Il y a quelque chose d'autre.

Et ces jours-ci, de plus en plus, je me trouve en présence du problème total, comme si je ne l'avais jamais vu.

Peut-être est-ce deux chemins qui mènent vers un troisième point, et que c'est, en ce moment, ce troisième point que je suis en train de... pas positivement d'étudier, mais je suis à sa recherche — où les deux se joindraient en un troisième qui serait la Vraie Chose.

Mais certainement, la connaissance objective, scientifique, poussée à son extrême, s'il lui est possible d'être absolument totale, en tout cas elle amène au seuil. C'est ce que dit Sri Aurobindo. Seulement il dit que c'est fatal, parce que tous ceux qui se sont adonnés à cette connaissance-là y ont cru comme à une vérité absolue, et cela a fermé pour eux la porte de l'autre approche. C'est en cela que c'est fatal.

Mais d'après mon expérience personnelle, je pourrais dire que, pour tous ceux qui croient à l'approche spirituelle exclusive, l'approche par l'expérience intérieure, en tout cas si c'est exclusif, c'est aussi fatal. Parce qu'elle leur révèle un aspect, une vérité du Tout, mais pas le Tout. L'autre côté m'apparaît aussi indispensable, en ce sens que quand j'étais si totalement dans cette Réalisation suprême, il était absolument incontestable que l'autre réalisation, extérieure, mensongère, était seulement une déformation (probablement accidentelle) de quelque chose qui était aussi vrai que l'autre.

Et c'est ce "quelque chose" à la recherche de quoi nous sommes. Et peut-être pas seulement la recherche, peut-être la fabrication de ça.

Nous sommes utilisés pour participer à la manifestation de ça. De "ça" qui est encore inconcevable pour tout le monde, parce que ce n'est pas encore. C'est une expression à venir.

Voilà tout ce que je peux dire.

(silence)

C'est vraiment l'état de conscience dans lequel je vis en ce moment. C'est comme si j'étais en présence de cet éternel problème, mais d'une autre position...

Ces positions, la position spirituelle et la position "matérialiste" si l'on peut dire, qui se croient exclusives (exclusives et uniques, ce qui leur fait nier la valeur de l'autre au point de vue de la Vérité). sont insuffisantes, non seulement parce qu'elles n'admettent pas l'autre, mais parce qu'admettre les deux et unir les deux ne suffit pas à résoudre le problème. C'est quelque chose d'autre — une troisième chose qui n'est pas la conséquence de ces deux, mais qui est quelque chose à découvrir, qui probablement ouvrira la porte de la Connaissance totale.

Voilà où j'en suis.

Plus, je ne peux pas dire, parce que j'en suis là.

Pratiquement, comment participer à cette...

Cette découverte?

Ça!... Au fond, c'est toujours la même chose. C'est toujours la même chose : réaliser son propre être, entrer en rapport conscient avec la Vérité suprême de son propre être, sous n'importe quelle forme, par réimporte quel chemin — cela n'a aucune importance —, mais c'est le seul moyen. Nous portons, chaque individu porte en lui une vérité, et c'est à cette vérité qu'il doit s'unir, c'est cette vérité qu'il doit vivre; et comme cela, le chemin qu'il aura à suivre pour joindre et réaliser cette vérité est le chemin qui le mènera le plus près possible de la Connaissance. C'est-à-dire que les deux sont absolument unis : cette réalisation personnelle et la Connaissance.

Qui sait, peut-être même est-ce cette multiplicité d'approches qui donnera le Secret — le Secret qui ouvrira la porte.

Je ne pense pas qu'un seul individu (sur la terre telle qu'elle est maintenant), un seul individu, si grand soit-il, si éternelles que soient sa conscience et son origine, puisse, à lui seul, changer et réaliser; changer le monde, changer la création telle qu'elle est, et réaliser cette Vérité supérieure qui sera un nouveau monde — un monde plus vrai, sinon absolument vrai. ' Il semblerait qu'un certain ensemble d'individus (jusqu'à présent cela paraît être plutôt dans le temps, comme une succession; mais c'est peut-être aussi dans l'espace; une collectivité) soit indispensable pour que cette Vérité puisse se concrétiser et se réaliser.

Pratiquement, j'en suis sûre.

C'est-à-dire que, si grand soit-il, si conscient soit-il, si puissant soit-il, un Avatar ne peut pas, tout seul, réaliser la vie supramentale sur la terre. C'est, ou un ensemble dans le temps, s'échelonnant sur un temps, ou bien un groupe se répandant sur un espace — peut-être les deux — qui sont indispensables à cette Réalisation. J'en suis convaincue.

L'individu peut donner l'impulsion, indiquer le chemin — marcher lui-même sur le chemin, c'est-à-dire montrer le chemin en le réalisant lui-même —, mais pas accomplir. L'accomplissement obéit à des lois d'ensemble qui sont l'expression d'un certain aspect de l'Éternité et de l'Infini—naturellement, c'est tout le même Être! Ce ne sont pas des individus différents ni des personnalités différentes, c'est tout le même Être. Mais c'est tout le même Être qui s'exprime d'une certaine façon qui, pour nous, se traduit par un ensemble, un groupe, une collectivité.

Voilà. Tu as une autre question sur le même sujet?

Sur quel point ta vision est-elle devenue différente depuis cette expérience (du 13 avril)?

Je répète. Pendant très longtemps, il m'a semblé que si l'on faisait une union parfaite entre l'approche scientifique, poussée à son extrême, et l'approche spirituelle, poussée à son extrême — son extrême réalisation —, si l'on joignait les deux, on trouverait, on obtiendrait naturellement la Vérité que l'on cherche, la Vérité totale. Mais avec les deux expériences que j'ai eues, l'expérience de la vie extérieure (avec l'universalisation, l'impersonnalisation, enfin toutes les expériences yoguiques que l'on peut avoir dans un corps matériel) et puis l'expérience de l'union totale et parfaite avec l'Origine, maintenant que j'ai eu ces deux expériences et qu'il est arrivé quelque chose — que je ne peux pas décrire encore —, je sais que la connaissance des deux et l'union des deux n'est pas suffisante; qu'il y a une troisième chose à laquelle elles aboutissent, et que c'est cette troisième chose qui est... in thé making, qui est en train de s'élaborer. C'est cette troisième chose qui peut mener à la Réalisation, à la Vérité que nous cherchons.

Cette fois, c'est clair?

C'est autre chose que j'avais en vue... En quoi ta vision du monde physique a-t-elle changé depuis ça (cette expérience du 13 avril) ?

On peut donner seulement une approximation de la conscience de cela.

J'étais arrivée, par le yoga, à une sorte de relation avec le monde matériel, basée sur la notion de la quatrième dimension (dimensions intérieures, qui deviennent innombrables dans le yoga) et l'utilisation de cette attitude et de cet état de conscience. J'étudiais la relation entre le monde matériel et le monde spirituel avec le sens des dimensions intérieures et par un perfectionnement de la conscience des dimensions intérieures — ça, c'était mon expérience avant la dernière.

Naturellement, depuis très longtemps, il n'était plus question des trois dimensions — ça, ça appartient absolument au monde de l'illusion et du mensonge. Mais maintenant, c'est toute l'utilisation du sens de la quatrième dimension, avec tout ce que cela comporte, qui m'est apparu comme superficiel ! Et c'est si fort que je. ne le retrouve plus. L'autre, le monde à trois dimensions, est absolument irréel ; et celui-là me paraît... comment dire... conventionnel. Comme si c'était une traduction conventionnelle pour vous permettre un certain genre d'approche.

Et quant à dire ce que c'est, l'autre, la position vraie? C'est tellement en dehors de tout état intellectuel que je n'arrive pas à le formuler.

Mais la formule viendra, je sais. Mais elle viendra dans une série d'expériences vécues, que je n'ai pas encore eues.

(silence)

Ce moyen qui m'était très utile, très commode, et à l'aide duquel je faisais mon yoga, qui me donnait une prise sur la Matière, m'est apparu comme une méthode, un moyen, un procédé, mais c'est pas ça. Voilà.

Voilà l'état dans lequel je suis.

Plus, je ne peux pas dire.

24 mai 1962

 


1 Il s'agit d'une expérience yoguique particulière qui a eu lieu le 13 avril 1962. (En arrière)

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76 ( L'Europe se vante de son organisation et de son efficacité pratiques et...)

76 — L'Europe se vante de son organisation et de son efficacité pratiques et scientifiques. J'attends que son organisation soit parfaite, alors un enfant la détruira.1

 

Quand on a publié ces aphorismes dans le "Bulletin", tu avais dit d'omettre celui-là. C'est un aphorisme assez mystérieux — que j'aimerais bien comprendre, d'ailleurs. Mais je voudrais savoir si, maintenant, nous devons le publier ou non?

Où avait-il écrit cela?

Dans les aphorismes.

Oui, mais il n'a pas écrit un livre spécial : ces textes ont été ramassés ici et là.

Non, non, pas du tout. Sri Aurobindo avait un cahier spécial dans lequel il mettait ces aphorismes au fur et à mesure. Et celui-là se trouvait au milieu d'autres.

(Après un silence)

"Un enfant"...

Qu'est-ce qu'il avait mis en anglais, au début?

"Prides herself."

Se vante...

Moi, je le mettrais.

Mais qu'est-ce qu'il a voulu dire?

Je ne sais pas.

Naturellement, ce ne peut être que le pouvoir qui est détruit, parce que la terre, on ne la détruit pas.

Oui, on ne détruit pas la terre, mais une civilisation, on peut la détruire.

Oui.

Il dit : l'Europe sera détruite.

Oui... Mais quel enfant?

J'ai l'impression que c'est venu comme quelque chose d'absolument vrai, une prédiction absolument vraie— mais je ne sais pas.

Tu avais dit qu'il valait mieux l'omettre.

Mais maintenant, au contraire, j'ai l'impression qu'il faut le dire.

Mais je ne pense pas que le temps soit encore venu — "venu", je veux dire pour la réalisation; le temps est venu de le dire mais pas pour la réalisation.

"L'enfant"... peut-être est-ce l'enfant du Nouveau Monde — avec un sourire, il va faire écrouler tout cela.

Oui, c'est possible — c'est possible.

(silence)

Ça contient une puissance effrayante... quelque chose de formidable. Tu n'imagines pas le pouvoir qu'il y a là-dedans, c'est vraiment comme si le Divin lui-même parlait : "J'attends"... I am waiting...

11 décembre 1971

 


1 La conversation qui suit a eu lieu quelque dix ans après l'époque de ces commentaires, en décembre 1971. (En arrière)

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77-78 (Le génie découvre un système; le talent moyen le stéréotype, ...)

77–Le génie découvre un système; le talent moyen le stéréotype, jusqu'au jour où il est vais en pièces par un nouveau génie. Il est dangereux pour une armée d'être conduite par les vétérans, car, de l'autre côté. Dieu peut mettre Napoléon.

78– Quand la connaissance est fraîche en nous, elle est invincible; vieille, elle perd sa vertu. Parce que Dieu va toujours de l'avant.

Sri Aurobindo parle ici d'une connaissance par inspiration ou révélation, quand quelque chose descend subitement et illumine la compréhension. Tout d'un coup, on a l'impression de savoir une certaine chose pour la première fois, parce qu'elle vient directement du domaine de la Lumière, de la Connaissance vraie, et elle arrive avec toute sa puissance innée de vérité — ça vous illumine. Et quand on vient de la recevoir, en effet, il semble que rien ne puisse résister à cette Lumière-là. Et si l'on prend soin de la laisser agir en soi, elle fait autant de transformation qu'elle est capable d'en faire dans son propre domaine.

C'est une expérience qu'on peut avoir souvent. Quand cela arrive et pour un certain temps — pas très longtemps —, tout semble s'arranger tout naturellement autour de cette Lumière. Et puis, petit à petit, elle se mélange avec le reste; la connaissance intellectuelle demeure— elle s'est formulée d'une façon ou d'une autre; cela, ça reste —, mais c'est comme si c'était vide. Cela n'a plus cette puissance de propulsion qui transforme tous les mouvements de l'être à cette image. Et c'est cela que Sri Aurobindo veut dire : le monde va vite, le Seigneur avance toujours, et tout cela, c'est une queue qu'il laisse derrière Lui, mais qui n'a plus la même puissance immédiate et toute-puissante du moment où Il l'a projetée dans le monde.

On a l'impression que c'est comme une pluie de vérité qui tombe — tous ceux qui sont capables d'en attraper, ne serait-ce qu'une goutte, reçoivent une révélation; mais à moins qu'ils n'avancent eux-mêmes avec une rapidité fantastique, le Seigneur avec Sa pluie de vérité commence à être très loin, et il faut courir beaucoup pour la rattraper!

C'est cela qu'il veut dire.

Oui, mais pour que cette connaissance ait vraiment un pouvoir de transformation...

Oui, c'est la Connaissance supérieure, la Vérité qui s'exprime, ce que Sri Aurobindo appelle "la Connaissance vraie", et c'est cette Connaissance qui transforme toute la création. Mais c'est comme s'il laissait tomber cela tout le temps, n'est-ce pas, et il faut se dépêcher beaucoup pour ne pas être en retard ! (Mère rit)

Mais tu n'as jamais eu cette sensation d'un éblouissement dans la tête? Et puis cela se traduit par : "Ah! mais oui!"—quelque chose que l'on savait intellectuellement quelquefois, mais c'était terne, c'était sans vie, et, tout d'un coup, ça vient comme une puissance formidable qui arrange tout au-dedans de la conscience autour de cette Lumière-là. Ça ne dure pas très longtemps. Quelquefois ça ne dure que quelques heures, quelquefois ça dure quelques jours, mais jamais plus longtemps que cela, à moins qu'on ne soit très lent dans son mouvement. Et pendant ce temps-là, n'est-ce pas, la Source de la vérité va, va, va...

Tout cela, ce sont des transformations psychologiques, mais quand il s'agit de la Matière et du corps, quelle connaissance faut-il?

Ça, mon petit, je ne peux rien dire pour le moment, parce que je ne le sais pas.

C'est un autre genre de connaissance?

Non, je ne pense pas.

(silence)

C'est peut-être un autre genre d'action, mais ce n'est pas un autre genre de connaissance.

(silence)

Au fond, on ne pourra parler de ce qui transforme la Matière que quand la Matière sera, au moins, un peu transformée, qu'il y aura un commencement de transformation. Alors on pourra parler du processus. Mais pour le moment...

(silence)

Mais n'importe quelle transformation dans l'être, sur n'importe quel plan, a toujours une répercussion sur les plans inférieurs. Il y a toujours une action — même pour ces choses qui semblent être purement intellectuelles, elles ont une répercussion sur la construction du cerveau, sûrement.

Et ces sortes de révélations ne se produisent que dans un mental silencieux — en tout cas au repos ; un mental tout à fait tranquille et immobile, autrement ça ne vient pas. Ou si ça vient, on ne s'en aperçoit pas avec tout le bruit qu'on fait. Et naturellement, cela aide à. établir de mieux en mieux cette. tranquillité, ce silence, cette réceptivité. Cette impression de quelque chose. de si immobile, mais pas fermé — immobile mais ouvert, immobile mais réceptif—, c'est une chose qui s'établit justement par le nombre de ces expériences. Il y a une grande différence entre un silence mort, terne, "irresponsif", et le silence réceptif d'un mental apaisé. Cela fait une grande différence. Mais cela, c'est le résultat de ces expériences-là. Tous les progrès que nous faisons sont toujours, tout naturellement, le résultat de vérités qui viennent d'en haut.

Cela a un effet, toutes ces choses ont un effet sur le fonctionnement du corps — fonctionnement des organes, fonctionnement cérébral, fonctionnement des nerfs, etc. Et cela, sûrement, se produira avant, longtemps avant un effet sur la forme extérieure.

Et au fond, quand les gens parlent de transformation, ils pensent surtout à une transformation imagée, hein? Une belle apparence! lumineuse, souple, plastique, changeant à volonté. Mais cette chose très peu esthétique de la transformation des organes, on n'y pense pas beaucoup ! Et pourtant, c'est certainement ce qui se produira en premier, longtemps avant la transformation de l'apparence.

Sri Aurobindo parlait du remplacement des organes par le fonctionnement des "chakra 1 ".

Oui, oui. Il a dit trois cents ans! (Mère rit.)

(silence)

Parce que, il suffit de réfléchir, on comprend facilement : s'il s'agissait d'arrêter quelque chose et de commencer quelque chose d'autre, cela, ça peut se faire assez rapidement. Mais tenir un corps vivant (n'est-ce pas, qu'il continue à fonctionner) et puis qu'en même temps il y ait un fonctionnement nouveau suffisant pour qu'il puisse rester vivant, et une transformation — cela fait une sorte de combinaison très difficile à réaliser. Je me rends compte de cela très bien, très bien... du temps immense qu'il faut pour que cela puisse se faire sans catastrophe.

Surtout, n'est-ce pas, si nous en venons au cœur. Le cœur remplacé par le centre de la Puissance... une puissance dynamique formidable! (Mère rit) À quel moment on va supprimer la circulation et jeter la Force?

C'est difficile.

(silence)

Dans la vie ordinaire, on pense les choses, puis on les fait—c'est juste l'opposé! Dans cette vie, il faut d'abord le faire et puis, après, on comprend, mais longtemps après. Il faut d'abord faire, sans penser. Si l'on pense, on ne fait rien de bon. C'est-à-dire que l'on retourne à la vieille manière.

6 octobre 1962

 


1 Centres de conscience situés dans le corps subtil, qui s'éveillent et deviennent actifs par la pratique du yoga. (En arrière)

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79-80 (Dieu est Possibilité infinie. C'est pourquoi la Vérité n'est jamais en...)

79 — Dieu est Possibilité infinie. C'est pourquoi la Vérité n'est jamais en repos. C'est pourquoi aussi l'Erreur est justifiée de ses enfants.

80 — Si l'on en croit certaines personnes dévotes, on pourrait s'imaginer que Dieu ne rit jamais; Heine était plus près de la vérité quand il a découvert en Lui le divin Aristophane.

Oui, ce qu'il veut dire, c'est que ce qui est vrai à un moment ne l'est plus à un autre. Et c'est cela qui justifie les enfants de l'erreur.

Il veut peut-être dire qu'il n'y a pas d'erreur!

Oui, c'est la même chose, une autre façon de dire la même chose. C'est-à-dire que ce que nous appelons erreur a été vérité à un moment donné.

L'erreur est une notion dans le temps.

Il y a certaines choses qui peuvent apparaître véritablement comme des erreurs.

Momentanément.

C'est justement cela, l'impression : tous nos jugements sont momentanés. Ils sont : à ce moment-ci, c'est comme ça; le moment suivant, ce n'est plus comme ça. Et pour nous, ce sont des erreurs, parce que nous voyons les choses l'une après l'autre; mais pour le Divin, cela ne peut pas Lui apparaître ainsi, parce que tout est en Lui.

Au fond, essaye de t'imaginer que tu es le Divin pendant un moment ! Tout est en toi; simplement tu t'amuses à le faire sortir dans un certain ordre; mais pour toi, dans ta conscience, tout est là en même temps : il n'y a ni temps, ni passé ni futur ni présent — tout est ensemble. Et toutes les combinaisons possibles. Il s'amuse à sortir une chose et puis l'autre, là, comme ça; alors les pauvres bougres qui sont en bas et qui ne voient qu'un petit morceau (ils en voient grand comme ça), ils disent : "Oh! ça, c'est une erreur." Comment est-ce une erreur? Simplement parce qu'ils ne voient qu'un petit morceau.

C'est clair, n'est-ce pas, c'est facile à comprendre. Cette notion d'erreur est une notion qui appartient au temps et à l'espace.

C'est comme l'impression qu'une chose ne peut pas être et ne pas être en même temps. Et pourtant c'est vrai, elle est et elle n'est pas. C'est la notion de temps qui amène la notion d'erreur — de temps et d'espace.

Qu'est-ce que tu veux dire, qu'une chose est et qu'elle n'est pas en même temps, comment?

Elle est, et en même temps il y a son contraire. Alors, pour nous, cela ne peut pas être à la fois oui et non. Pour le Seigneur, c'est tout le temps oui et non en même temps.

C'est comme notre notion d'espace; nous disons : "Je suis là, par conséquent tu n'es pas là." Et moi je suis là et tu es là et tout est là ! (Mère rit) Seulement, il faut être capable de sortir de la notion d'espace et de temps pour comprendre.

C'est une chose que l'on peut sentir très concrètement, mais pas avec notre façon de voir.

Certainement, beaucoup de ces aphorismes sont écrits à un moment où le mental supérieur, tout d'un coup, débouche dans le Supramental. Il n'a pas encore oublié comment c'est pour lui de la façon ordinaire, mais il voit comment c'est pour la façon supramentale; et alors, cela donne ce genre de choses, c'est cela qui donne cette forme paradoxale. Parce que l'un n'est pas oublié et l'autre est déjà perçu.

(long silence)

Au fond, si l'on regarde attentivement, on est obligé de penser que le Seigneur se joue une formidable comédie à Lui-même! que la Manifestation, c'est une comédie qu'il se joue à Lui-même avec Lui-même.

Il a pris la position du spectateur et puis Il se regarde. Et alors, pour se regarder, il faut qu'il accepte la notion de temps et d'espace, autrement Il ne peut pas se regarder! Et immédiatement, toute la comédie commence. Mais c'est une comédie, ce n'est rien de plus!

Nous, nous prenons cela sérieusement, parce que nous sommes des marionnettes, hein? Mais dès que nous cessons d'être des marionnettes, nous voyons bien que c'est une comédie.

C'est aussi une tragédie réelle, pour certains.

Oui, c'est nous qui la rendons tragique. Ça, c'est nous qui la rendons tragique.

Dernièrement, j'ai regardé avec attention. J'ai regardé la différence entre des événements similaires arrivant aux hommes et arrivant aux animaux; et en s'identifiant aux animaux, on voit bien qu'ils ne prennent pas cela tragiquement du tout — excepté ceux qui sont entrés en rapport avec l'homme (mais là, ce n'est pas leur état naturel, c'est un état de transition ; ils deviennent des êtres de transition entre l'animal et l'homme). Et la première chose qu'ils prennent naturellement de l'homme, ce sont ses défauts, c'est toujours ce qu'il y a de plus facile à prendre! Et alors ils se rendent malheureux — pour rien.

Tant de choses... Tant de choses... L'homme a fait de la mort une tragédie épouvantable. Ces jours derniers, j'ai vu, parce que la nuit dernière ou la nuit d'avant, j'ai passé au moins deux heures dans un monde qui est le physique subtil,1 où les vivants et les morts se côtoient sans sentir la différence — ça ne fait aucune différence. Là, il n'y a aucune différence. Et il y avait des vivants... il y avait ce que nous appelons des "vivants" et ce que nous appelons des "morts", ils étaient là, ensemble, et ils mangeaient ensemble, ils bougeaient ensemble, ils s'amusaient ensemble; et tout cela, c'était une jolie lumière, tranquille, enfin très agréable, c'était très agréable. Je me suis dit : "Voilà ! les hommes ont fait une coupure, comme ça, et puis ils ont dit: "Maintenant, mort." Et mort! le beau de l'affaire c'est qu'on agit avec eux comme si l'on agissait avec une chose inconsciente, et ce corps est encore conscient!

(silence)

Où, où est l'Erreur? Où est l'Erreur?

C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'erreur. Il y a seulement l'apparence de choses impossibles, parce que nous ne savons pas que le Seigneur est toute possibilité et qu'il peut faire tout ce qu'il veut, comme Il veut. Cela, ça ne peut pas entrer dans notre tête, nous disons toujours : "Oui, ceci se peut et puis cela ne se peut pas", mais ce n'est pas vrai ! C'est pour notre imbécillité que cela ne se peut pas, mais tout est possible.

(silence)

Tiens, tu vois, il n'y a que celui qui regarde la pièce qui ne se tourmente pas, parce qu'il sait tout ce qui va arriver et qu'il a la connaissance absolue de tout — de tout ce qui arrive et de tout ce qui est arrivé et de tout ce qui va arriver — et c'est tout là, une présence pour lui. Et alors, ce sont les autres, les pauvres acteurs, qui ne savent même pas — ils ne savent même pas leur rôle ! Et ils se tourmentent beaucoup, parce qu'on leur fait jouer quelque chose et ils ne savent pas ce que c'est. C'est une impression que je viens d'avoir, très forte : nous sommes tous à jouer la comédie, mais nous ne savons pas ce qu'est la comédie, ni où elle va ni d'où elle vient, ni son ensemble; nous savons juste à peine — et mal — ce qu'il faut que nous fassions sur le moment. Et nous le savons mal. Et alors on se tourmente! Mais quand on sait tout, on ne peut plus se tourmenter, on sourit — Il doit s'amuser beaucoup, mais nous... Seulement, il nous est donné le plein pouvoir de nous amuser comme Lui.

C'est simplement parce que nous n'en prenons pas la peine.

Ce n'est pas facile !

Oh ! si c'était facile... si c'était facile, on s'en fatiguerait.

On se demande parfois aussi pourquoi, pourquoi c'est si tragique, cette vie. Mais si c'était comme un enchantement perpétuel, d'abord on n'apprécierait même pas, parce que ce serait tout à fait naturel — c'est surtout cela, on n'apprécierait pas parce que ce serait tout à fait naturel—, et puis rien ne dit que l'on n'aimerait pas un petit peu de tohu-bohu pour changer. Ce n'est pas sûr.

C'est peut-être cela, l'histoire du paradis terrestre... dans le paradis, ils avaient la connaissance spontanée, c'est-à-dire qu'ils vivaient, ils avaient la même conscience que celle des animaux, juste assez pour pouvoir jouir de la vie un peu, comme ça, avoir la joie de la vie. Mais ils ont voulu commencer à savoir pourquoi, comment, où l'on va, qu'est-ce qu'il faut faire, etc., et alors tout le tourment a commencé — ils se sont fatigués d'être tranquillement heureux.

(silence)

Je pense que Sri Aurobindo a voulu dire que l'erreur est une illusion, comme le reste — qu'il n'y a pas d'erreur, qu'il y a toutes les possibilités, qui sont souvent (qui sont nécessairement} contradictoires si elles sont toutes là. Contradictoires dans leur apparence. Mais il suffit de se regarder soi-même et de se dire : "Qu'est-ce que, moi, j'appelle erreur?" Et si l'on prend la chose en face et qu'on dise : "Qu'est-ce que j'appelle erreur?", on voit immédiatement que c'est une ânerie — il n'y a pas d'erreur, ça vous échappe des doigts.

(silence)

J'ai l'impression que Sri Aurobindo était dans son ascension : le mental intuitif était en train de percer un trou et d'entrer en contact avec le Supramental, alors ça venait comme ça, ploff! comme un éclatement dans la pensée, et il écrivait ces choses-là. Et si l'on suit le mouvement, on voit l'Origine.

C'est évidemment cela qu'il voulait dire : l'Erreur est l'une des innombrables, des infinies possibilités. "Infini" veut dire qu'absolument rien n'est en dehors de la possibilité d'être. Alors, où mettre l'erreur là-dedans? L'erreur, c'est nous qui appelons cela erreur, c'est tout à fait arbitraire. Nous disons : "Ça, c'est une erreur" — par rapport à quoi? À notre jugement que "ça, c'est vrai", mais certainement pas par rapport au jugement du Seigneur, puisque c'est une partie de Lui-même!

C'est cet élargissement de la compréhension, il n'y a pas beaucoup de gens qui peuvent supporter cela.

N'est-ce pas, quand je commence à regarder comme ça (Mère ferme les yeux), il y a en même temps deux choses :justement, ce sourire, cette joie, ce rire est là, et puis... et puis une paix! n'est-ce pas, une paix! une paix si pleine, si lumineuse, si totale, où plus rien ne se bat, il n'y a plus de contradictions. Rien ne se bat plus. C'est une seule lumineuse harmonie — et pourtant, tout ce que nous appelons erreur, souffrance, misère, tout est là. Ça ne supprime rien. C'est une autre façon de voir.

(long silence)

Il n'y a pas à dire, si sincèrement on veut en sortir, au fond ce n'est pas si difficile : on n'a rien à faire, on n'a qu'à laisser le Seigneur faire tout. Et Il fait tout. Il fait tout, Il est ... c'est si merveilleux! c'est si merveilleux.

Il prend n'importe quoi, même ce que nous appelons une intelligence tout à fait ordinaire, et puis simplement, Il vous apprend à mettre cette intelligence de côté, en repos : "Là, tiens-toi tranquille, ne bouge plus, ne m'embête pas, je n'ai pas besoin de toi", alors une porte s'ouvre — on n'a même pas l'impression d'avoir à l'ouvrir : elle est toute ouverte, on vous fait passer de l'autre côté (tout cela, c'est Quelqu'un d'autre qui le fait, ce n'est pas vous). Et puis, l'autre façon devient impossible.

Tout ce... oh! ce labeur effroyable du mental qui s'efforce de comprendre, ouf! qui peine, qui se donne mal à la tête... absolument inutile, absolument inutile, ça ne sert à rien du tout, qu'à brouiller les cartes.

Vous êtes en face d'un soi-disant problème : qu'est-ce qu'il faut dire, ou qu'est-ce qu'il faut faire, ou comment agir, ou...? Il n'y a rien à faire! Rien, il n'y a qu'à dire au Seigneur : "Voilà, Tu vois, c'est comme ça", et puis c'est tout. Et puis on reste bien tranquille. Et puis, tout spontanément, sans y penser, sans réfléchir, sans calculer, rien, rien, pas le moindre travail — on fait ce qu'il faut faire. C'est-à-dire que le Seigneur le fait, ce n'est plus vous. Il le fait, Il arrange les circonstances, Il arrange les gens, Il met les mots dans votre bouche ou sur votre plume — Il fait tout, tout, tout, tout, on n'a plus rien à faire qu'à se laisser vivre béatifiquement.

J'en viens à être convaincue que les gens ne veulent vraiment pas.

Mais c'est déblayer qui est difficile, le travail de déblayage avant.

Mais on n'a même pas besoin de le faire ! Il le fait pour vous.

Mais cela envahit constamment : la vieille conscience, les vieilles pensées...

Oui, ça essaye de recommencer par habitude — il n'y a qu'à dire : "Seigneur, Tu vois. Tu vois. Tu vois, c'est comme ça", c'est tout. "Seigneur, Tu vois, Tu vois ça, Tu vois ça. Tu vois ça, Tu vois cet imbécile-là" — c'est fini. Ça, immédiatement... Mais ça change automatiquement, mon petit! Pas le moindre effort. Simplement, être sincère, c'est-à-dire vraiment vouloir que ce soit bien. On est parfaitement conscient qu'on n'y peut rien, qu'on n'a aucune capacité. Moi, j'ai de plus en plus l'impression que cet amalgame de matière, comme ça, de cellules, tout ça, c'est pitoyable! C'est pitoyable. Je ne sais pas s'il y a des conditions où les gens se sentent puissants, merveilleux, lumineux, capables; mais pour moi, c'est parce qu'ils ne savent pas vraiment comment ils sont! Quand on se voit vraiment comme on est fait — vraiment, c'est rien, c'est rien. Mais capable de tout, pourvu... pourvu qu'on laisse faire le Seigneur. Mais il y a toujours quelque chose qui a envie de faire soi-même, c'est ça l'ennui, autrement...

Non, on peut être plein d'une excellente bonne volonté, et puis on veut le faire. C'est ça qui complique tout. Ou alors on n'a pas la foi, on croit que le Seigneur ne pourra pas faire et qu'il faut faire soi-même, parce que Lui ne sait pas! (Mère rit) Ça, n'est-ce pas, ce genre de sottise est très répandu : "Comment est-ce qu'il peut voir les choses? Nous vivons dans un monde de Mensonge, comment est-ce qu'il peut voir le Mensonge et voir..." Il voit la chose comme elle est, justement!

Et je ne parle pas de gens sans intelligence, je parle de gens qui sont intelligents, et qui essayent — il y a une sorte de conviction, comme ça, quelque part, même chez ceux qui savent que nous vivons dans un monde d'Ignorance et de Mensonge et qu'il y a un Seigneur qui est Toute-Vérité, eh bien ils disent : "Justement, parce qu'il est Toute-Vérité, Il ne comprend pas (Mère rit). Il ne comprend pas notre mensonge, il faut que je m'en occupe." Ça, c'est très fort, très répandu.

Àh! nous compliquons pour rien.

C'est une chose que je me suis souvent demandée ; quand on fait une prière au Seigneur, qu'on veut Lui faire comprendre que quelque chose ne marche pas, j'ai toujours l'impression qu'il faut se concentrer très fort et que c'est quand même quelque chose de loin qu'il faut appeler. Mais est-ce exact? Ou est-ce que vraiment...

Ça dépend de nous !

Moi, n'est-ce pas, j'en suis à Le sentir partout, tout le temps, tout le temps; et jusqu'à un contact physique— c'est physique subtil, mais physique — dans les choses, dans l'air, dans les gens, dans... comme ça (Mère presse ses mains contre son visage). Et alors, ce n'est pas loin à aller, je n'ai qu'à faire ça (Mère retourne ses mains légèrement vers le dedans), une seconde de concentration — Il est là ! N'est-ce pas, Il est là, Il est partout. Il est loin seulement si nous Le pensons loin.

Naturellement, quand nous commençons à penser à toutes les zones, tous les plans de conscience universels, et que c'est tout au bout, tout au bout, tout au bout, là; alors ça devient très loin, très loin, très loin! (Mère rit) Mais quand nous pensons qu'il est partout, que c'est Lui qui est tout, et que c'est seulement notre perception qui nous empêche de Le voir et de Le sentir, mais que nous n'avons qu'à faire comme ça (Mère retourne ses mains vers le dedans); c'est un mouvement comme ça et comme ça (Mère retourne alternativement ses mains vers le dedans et vers le dehors), ça arrive à être très concret : on fait comme ça (geste vers le dehors), tout devient artificiel, dur, sec, faux, mensonger, artificiel ; on fait comme ça (vers le dedans), tout devient vaste, tranquille, lumineux, paisible, immense, joyeux. Et c'est seulement ça, ça (Mère retourne alternativement ses mains au-dedans et au-dehors). Comment? Où? Ça ne peut pas se décrire, mais c'est seulement, seulement un mouvement de conscience, pas autre chose. Un mouvement de conscience. Et la différence entre la conscience vraie et la conscience fausse devient de plus en plus... précise et en même temps mince — il n'y a pas de "grandes" choses à faire pour en sortir, de ça. Avant, on a l'impression que l'on vit dans quelque chose et qu'il faut une grande intériorisation, concentration, absorption, pour sortir de ça; mais maintenant, l'impression, c'est quelque chose qu'on accepte (Mère place sa main en écran devant son visage), qui est comme une petite pelure mince, très dure — très dure, mais malléable, mais très, très sèche, très mince, très mince, quelque chose comme si l'on se mettait un masque; et puis on fait comme ça (geste), ça disparaît.

On prévoit le moment où il ne sera pas nécessaire de prendre conscience du masque, que ce sera tellement mince, que l'on peut voir, sentir, agir au travers, sans avoir besoin de remettre le masque. Ça, c'est ce qui commence à se faire.

Mais cette Présence en toutes choses... C'est une Vibration — c'est une Vibration mais qui contient tout. Une Vibration qui contient une sorte de puissance infinie, de joie infinie et de paix infinie, et d'immensité, d'immensité, d'immensité, il n'y a pas de limites... mais c'est seulement une Vibration, ça ne... Oh ! Seigneur ! ça ne se pense pas, alors ça ne peut pas se dire. Si l'on pense, dès qu'on pense toute la bouillie recommence. C'est pour cela qu'on ne peut pas parler.

Non, Il est très loin parce que tu Le penses très loin. Même, tu sais, si tu Le penses là, comme ça (geste contre le visage) te touchant... si tu sentais. Ce n'est pas comme le contact d'une personne, ce n'est pas comme cela. C'est quelque chose qui n'est pas étranger, qui n'est pas extérieur, qui ne va pas du dehors au dedans — c'est pas ça! C'est... partout.

Et alors on sent partout, partout, partout, partout — dedans, dehors, partout, partout — Lui, rien que Lui. Lui, Sa Vibration.

Non, il faut arrêter ça (la tête), tant qu'on n'arrête pas ça, on ne peut pas voir la Chose Vraie — on cherche des comparaisons, on dit : "C'est comme ci, c'est comme ça", oh!

(silence)

Et que de fois, que de fois l'impression... Il n'y a pas de forme — il y a une forme et il n'y en a pas, et ça ne peut pas se dire. Et l'impression d'un regard, et il n'y a pas d'yeux — il n'y a pas de regard mais il y a un regard —, d'un regard et d'un sourire, et il n'y a pas de bouche, il n'y a pas de figure ! Et pourtant il y a un sourire et il y a un regard et (Mère rit) on ne peut pas s'empêcher de dire : "Oui, Seigneur, je suis stupide!" Mais Lui rit, on rit, on est content.

On ne peut pas! Ça ne peut pas s'expliquer. Ça ne peut pas se dire. On ne peut rien dire. Tout ce qu'on dit, c'est rien, rien.

12 octobre 1962

 


1 Dans la gradation continue des plans de conscience qui s'échelonnent de la Matière à l'Esprit, le physique subtil est le degré ou le plan le plus proche de la Matière. (En arrière)

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81-83 (Le rire de Dieu est parfois grossier et indécent pour des oreilles ...)

81 — Le rire de Dieu est parfois grossier et indécent pour des oreilles pudibondes; il ne Lui suffit pas d'être Molière, Il se veut aussi Aristophane et Rabelais.

82 — Si les hommes prenaient la vie moins au sérieux, ils pourraient bien vite la rendre plus parfaite. Dieu ne prend jamais Son travail au sérieux; c'est pourquoi nous avons le spectacle de cet univers prodigieux.

83 — La honte a des résultats admirables, et nous ne saurions guère nous en passer tant en morale qu'en esthétique; ceci dit, elle n'en est pas moins un signe de faiblesse et une preuve d'ignorance.

On peut se demander en quoi le fait de prendre les choses au sérieux a empêché que la vie soit plus parfaite?

La vertu a toujours passé son temps à supprimer des choses dans la vie et, si l'on avait mis ensemble toutes les vertus des différents pays du monde, il resterait fort peu de choses dans l'existence.

La vertu prétend rechercher la perfection, mais la perfection est une totalité. Alors les deux mouvements se contredisent : une vertu qui élimine, qui réduit, qui fixe des limites, et une perfection qui admet tout, qui ne rejette rien mais qui met chaque chose à sa place, ne peuvent évidemment pas s'entendre.

Prendre la vie au sérieux consiste généralement en deux mouvements; le premier est de donner de l'importance à des choses qui, probablement, n'en ont pas, et le second de vouloir que la vie soit réduite à un certain nombre de qualités qui sont considérées comme pures et dignes d'existence. Chez certains (ceux, par exemple, dont Sri Aurobindo parle ici, les "pudibonds" ou les puritains), cette vertu devient sèche, aride, grise, agressive, et elle trouve des fautes partout, dans tout ce qui est joyeux, libre et heureux.

Le seul moyen de rendre la vie parfaite (j'entends ici, la vie sur terre, bien entendu), c'est de la regarder d'assez haut pour la voir dans son ensemble; non seulement dans sa totalité présente mais dans l'ensemble du passé, du présent et de l'avenir; ce qu'elle a été, ce qu'elle est, ce qu'elle sera — il faut être capable de tout voir à la fois. Parce que c'est le seul moyen de tout mettre à sa place. Rien ne peut être supprimé, rien ne doit être supprimé, mais chaque chose doit être à sa place dans une harmonie totale avec le reste. Et là, toutes ces choses qui semblent si "mauvaises", si "répréhensibles", si "inacceptables" à l'esprit puritain, deviendraient les mouvements de joie et de liberté d'une vie totalement divine. Et alors, rien ne nous empêcherait de savoir, de comprendre, de sentir et de vivre ce rire merveilleux du Suprême, qui prend une joie infinie à se regarder vivre infiniment.

Cette joie, ce rire merveilleux qui dissout toutes les ombres, toutes les douleurs, toutes les souffrances ! Il suffit de rentrer en soi assez profondément pour trouver le Soleil intérieur, se laisser baigner par lui; et alors, tout n'est plus qu'une cascade de rire harmonieux, lumineux, solaire, qui n'admet plus nulle part l'ombre et la douleur.

En fait, même les plus grandes difficultés, même les plus grands chagrins, même les plus grandes douleurs physiques, si l'on peut les regarder de cette place-là, en se tenant là, on voit l'irréalité de la difficulté, l'irréalité du chagrin, l'irréalité de la douleur — et tout n'est plus que vibration joyeuse et lumineuse.

C'est au fond le moyen le plus puissant de dissoudre les difficultés, de surmonter les chagrins et de faire disparaître les douleurs. Les deux premiers sont relativement faciles (je dis relativement), le dernier est plus difficile parce qu'on est habitué à considérer le corps et ce qu'il sent comme extrêmement concret, positif; mais c'est la même chose, c'est simplement parce que l'on n'a pas appris et nous n'avons pas pris l'habitude de regarder notre corps comme quelque chose de fluide, de plastique, d'incertain, de malléable. Nous n'avons pas appris à y introduire ce rire lumineux qui dissout toutes les ombres, toutes les difficultés, tous les désaccords, toutes les désharmonies, tout ce qui grince, qui crie et pleure.

Et ce Soleil, ce Soleil du rire divin, il est au centre de toute chose, la vérité de toute chose — ce qu'il faut, c'est apprendre à le voir, à le sentir, à le vivre.

Et pour cela, évitons les gens qui prennent la vie au sérieux, ce sont des êtres bien ennuyeux.

Dès que l'atmosphère devient grave, on peut se dire que quelque chose ne va pas, une influence fâcheuse, une vieille habitude qui essaye de se réaffirmer et qui ne doit pas être acceptée. Tous ces regrets, tous ces remords; le sens de l'indignité, le sens de la faute, et puis, un pas de plus, et c'est le sens du péché—oh! ça... il me semble que cela appartient à un autre âge, un âge d'obscurité.

Mais tout ce qui persiste, qui essaye de s'accrocher et de durer, toutes ces interdictions — et cette façon de trancher la vie en deux : les petites choses et les grandes, le sacré et le profane... "Comment! diront ces gens qui font profession de mener une vie spirituelle, pour de si petites choses qui ont si peu d'importance, comment peut-on en faire l'objet d'une expérience spirituelle!" Et pourtant, c'est une expérience qui devient de plus en plus concrète et réelle, même matériellement : il n'y a pas "des choses" où le Seigneur est là et des choses où Il n'est pas là. Le Seigneur est toujours là — Il ne prend rien au sérieux, Il s'amuse de tout et Il joue avec vous, si vous savez jouer. Vous ne savez pas jouer, les gens ne savent pas jouer. Mais comme Il sait jouer, Lui ! Comme Il joue bien ! à tout, à de toutes petites choses. Tu as des objets à mettre sur la table? Ne crois pas qu'il faille penser et arranger, non, on va jouer : on va mettre ça ici et puis ça là, et puis ça comme cela. Et puis une autre fois c'est encore autrement... Quel beau jeu, si amusant.

Alors, c'est entendu, nous tâcherons de savoir rire avec le Seigneur.

14 janvier 1963

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84-87 (Le surnaturel est un naturel que nous n'avons pas encore atteint, ...)

84 — Le surnaturel est un naturel que nous n'avons pas encore atteint, ou que nous ne connaissons pas encore, ou dont nous n'avons pas encore conquis les moyens d'accès. Le goût du miracle, si répandu, est le signe que l'ascension de l'homme n'est pas encore terminée.

85—Il est rationnel et prudent de se méfier du surnaturel; mais y croire aussi est une sorte de sagesse.

86 — De grands saints ont accompli des miracles ; de plus grands saints les ont raillés; les plus grands d'entre eux les ont à la fois raillés et accomplis.

87 — Ouvre les yeux et vois ce qu'est réellement le monde et ce qu'est Dieu; débarrasse-toi des imaginations vaines et plaisantes.

Pourquoi Sri Aurobindo, ou toi, n'avez-vous pas utilisé davantage le miracle comme un moyen de vaincre les résistances dans les consciences humaines extérieures? Pourquoi cette espèce d'effacement vis-à-vis de l'extérieur, de non-intervention, ou de discrétion?

Pour Sri Aurobindo, je sais seulement ce qu'il m'a dit plusieurs fois. Les gens n'appellent "miracle" que des interventions dans le monde matériel ou dans le monde vital. Et ces interventions sont toujours mélangées à des mouvements d'ignorance ou d'arbitraire.

Mais le nombre de miracles dans le Mental que Sri Aurobindo a faits est incalculable; mais naturellement, c'était seulement si l'on avait une vision très droite, très sincère, très pure, qu'on pouvait le voir — quelques-uns l'ont vu. Mais il se refusait (cela, je le sais), il se refusait à faire aucun miracle vital et matériel, à cause de ce mélange.

Mon expérience est ainsi, c'est que dans l'état où le monde est maintenant, un miracle direct, matériel ou vital, doit tenir nécessairement compte d'une quantité d'éléments mensongers que l'on ne peut pas admettre — ce sont nécessairement des miracles mensongers. Et on ne peut pas l'admettre. J'ai vu ce que les gens appellent des miracles, j'en ai vu beaucoup à une époque, mais cela admettait qu'un tas de choses aient le droit d'être, qui pour moi sont inadmissibles.

Ce que les hommes appellent maintenant "miracle", c'est presque toujours fait par des êtres du vital, ou des hommes qui sont en rapport avec des êtres du vital, et c'est mélangé — cela admet la réalité de certaines choses, la vérité de certaines choses, qui ne sont pas vraies. Et c'est sur cette base que cela agit. Alors c'est inacceptable.

Je n'ai pas très bien compris ce que tu entends quand tu dis que Sri Aurobindo faisait "des miracles dans le Mental".1

C'est quand il introduisait dans la conscience mentale la Force supramentale. Il introduisait dans la conscience mentale (la conscience mentale qui régit tous les mouvements matériels) une formation, ou une puissance, ou une force supramentale, qui immédiatement changeait l'organisation. Et cela produit des effets immédiats, et en apparence illogiques, parce que cela ne suit pas le cours des mouvements selon la logique mentale.

Il le disait lui-même : c'est quand il était en possession et pouvait se servir volontairement de la Force, la Puissance supramentale, et qu'il la plaçait à un endroit donné, avec un but défini — c'était irrévocable, inévitable, l'effet était absolu. On peut appeler cela un miracle.

Par exemple, prends quelqu'un avec une maladie, une douleur; quand Sri Aurobindo était en possession de cette Puissance supramentale (il y a un moment où il disait que c'était tout à fait sous son contrôle, c'est-à-dire qu'il en faisait ce qu'il voulait, il la mettait où il voulait), alors il mettait cette Volonté, disons dans un désordre quelconque, physique ou vital, ou mental naturellement, il mettait cette Force d'harmonie supérieure, d'ordre supérieur, supramentale, la plaçait là, et elle agissait immédiatement. Et c'était un ordre — cela créait un ordre, une harmonie supérieure à l'harmonie naturelle. C'est-à-dire que s'il s'agissait d'une guérison, par exemple, la guérison était plus parfaite et plus complète qu'une guérison obtenue par les moyens ordinaires du physique et du mental.

Il y en a eu des quantités. Mais les gens sont si aveugles, n'est-ce pas, et si encroûtés dans leur conscience ordinaire, qu'ils donnent toujours des "explications"; ils peuvent toujours donner une explication. C'est seulement ceux qui ont la foi et l'aspiration, et quelque chose de très pur en eux, c'est-à-dire qui veulent vraiment savoir, ceux-là s'en apercevaient.

Quand le Pouvoir était là, il disait même que c'était sans un effort, il n'avait que cela à faire : mettre cette Puissance d'ordre, d'harmonie supramentale, et puis, instantanément, l'effet voulu était obtenu.

Qu'est-ce qu'un miracle? Parce que, souvent, Sri Aurobindo a 'dit qu'il n'y avait "pas de miracle1'1, et en même temps, dans Savitri, par exemple, il dit : "Tout est miracle ici-bas et par miracle peut changer¹."

Cela dépend comment on regarde, de ce côté-ci ou de ce côté-là.

On appelle miracle seulement les choses dont l'explication n'est pas claire, ou dont on n'a pas une explication mentale. De ce point de vue, on peut dire qu'il y a une quantité innombrable de choses qui arrivent et qui sont des miracles, parce qu'on ne peut expliquer ni le comment ni le pourquoi.

Qu'est-ce qui serait un vrai miracle?

Je ne vois pas ce qui peut être un vrai miracle, parce que, alors, qu'est-ce qu'un miracle? Un vrai miracle... ce n'est que le mental qui a la notion de miracle, parce que le mental décide, avec sa logique propre, qu'étant donné ceci et cela, telle autre chose peut ou ne peut pas être. Mais cela, ce sont toutes les limitations du mental. Parce que, au point de vue du Seigneur, comment peut-il y avoir un miracle? Tout est Lui-même qu'il objective.

Alors nous entrons dans le grand problème de la route suivie, cette Route éternelle comme l'explique Sri Aurobindo dans Savitri. Naturellement, on conçoit que ce qui s'est objectivé en premier est ce qui avait le goût de l'objectivation. La première chose à admettre, et qui paraît logique avec le principe de l'évolution, c'est que l'objectivation est progressive, elle n'est pas totale éternellement.

(Silence)

C'est très difficile à dire, parce que nous ne pouvons pas sortir de notre habitude de concevoir que c'est une quantité définie qui se déroule indéfiniment, et que ce n'est qu'avec une quantité définie qu'il peut y avoir un commencement. Nous avons toujours (au moins dans notre façon de parler) l'idée d'un "moment" (riant) où le Seigneur décide de s'objectiver. Et comme cela, l'explication est facile : Il s'objective graduellement, progressivement, ce qui donne une évolution progressive. Mais c'est seulement une façon de dire. Parce qu'il n'y a pas de commencement, il n'y a pas de fin, et, pourtant, il y a une progression. Le sens de la succession, le sens de l'évolution, le sens du progrès, n'existe qu'avec la Manifestation. C'est seulement si l'on parle de la terre que l'on peut expliquer très véridiquement et très rationnellement, parce que la terre a un commencement — pas dans son âme, mais dans sa réalité matérielle.

Probablement aussi, un univers matériel a un commencement.

(Silence)

Et si l'on regarde comme cela, un miracle serait, pour un univers, l'intrusion soudaine de quelque chose venant d'un autre univers. Et pour la terre (qui réduit le problème à quelque chose de très compréhensible), un miracle est l'intrusion subite de quelque chose qui n'appartenait pas à la terre — cela fait un changement radical et immédiat, par l'entrée d'un principe qui n'appartenait pas à ce monde physique qu'est la terre.

Mais là encore, il est dit qu'au centre même de chaque élément tout est, en principe; alors même ce miracle-là n'est pas possible.

On peut dire que le sens du miracle n'appartient qu'à un monde fini, qu'à une conscience finie, qu'à une conception finie. C'est l'entrée — l'intrusion, l'intervention, la pénétration — subite, sans préparation, de quelque chose qui n'existait pas dans ce monde physique. Alors, évidemment, toute manifestation d'une volonté ou d'une conscience qui appartient à un domaine plus infini et plus éternel que la terre, est nécessairement un miracle sur la terre. Mais si l'on sort du monde fini et de la compréhension du monde fini, le miracle n'existe pas. Le Seigneur peut jouer au miracle, si ça L'amuse, mais il n'y a pas de miracle — Il joue à tous les jeux possibles.

On ne peut commencer à le comprendre que quand on sent comme cela, qu'il joue à tous les jeux possibles, et "possible" ne veut pas dire possible selon la conception humaine, mais possible selon Sa conception à Lui!

Et là, il n'y a pas de place pour le miracle, sauf que cela a l'air d'être un miracle.

(Silence)

Si, au lieu d'une lente évolution, ce qui appartient au monde supramental apparaissait subitement, cela, l'homme, être mental, peut l'appeler miracle, parce que c'est l'intervention de quelque .chose qu'il ne porte pas consciemment en lui-même et qui intervient dans sa vie consciente. Et en fait, si l'on regarde ce goût du miracle, qui est très fort — beaucoup plus fort chez les enfants ou chez les coeurs qui sont restés enfants que chez les êtres très mentalisés —, c'est la foi dans la réalisation de l'aspiration au Merveilleux, de ce qui est supérieur à tout ce que l'on peut espérer de la vie normale.

Au fond, on devrait toujours, dans l'éducation, encourager les deux tendances parallèlement. La tendance à avoir soif du Merveilleux, de ce qui paraît irréalisable, de quelque chose qui vous remplit d'un sentiment de divinité; tout en encourageant, en même temps, dans la perception du monde tel qu'il est, l'observation exacte, correcte, sincère, l'abolition de toute imagination, le contrôle constant, le sens le plus pratique et le plus minutieux dans l'exactitude des détails. Il faudrait que les deux marchent parallèlement. Généralement, on tue l'un avec l'idée que c'est nécessaire pour faire croître l'autre — c'est tout à fait une erreur. Les deux peuvent être simultanés, et il y a un moment où la connaissance est suffisante pour savoir que ce sont les deux aspects d'une même chose, qui est la clairvoyance, un discernement supérieur. Mais au lieu d'une clairvoyance et d'un discernement limités, étroits, le discernement devient tout à fait sincère, correct, exact, mais il est immense, il inclut tout un domaine qui n'appartenait pas encore à la Manifestation concrète.

Au point de vue éducatif, ce serait très important.

Voir le monde tel qu'il est, exactement, crûment, de la façon la plus terre à terre et concrète, et voir le monde tel qu'il peut être, avec la vision la plus libre, la plus haute, la plus pleine d'espoir et d'aspiration et d'une certitude merveilleuse, comme les deux pôles du discernement. Tout ce que nous pouvons imaginer de plus splendide, de plus merveilleux, de plus puissant, de plus expressif, de plus total, n'est rien en comparaison de ce que cela peut être, et, en même temps, notre exactitude minutieuse du détail le plus minime n'est jamais suffisamment exacte. Et les deux doivent aller ensemble. Quand on sait cela (geste en bas) et qu'on connaît cela (geste en haut), on est capable de mettre les deux ensemble.

Et c'est le meilleur usage possible du besoin de miracles. Le besoin du miracle, c'est un geste d'ignorance : "Oh! je voudrais que ce soit ainsi!" c'est un geste d'ignorance et d'impuissance. Et ceux qui disent : "Vous vivez dans le miracle", ce sont ceux qui ne connaissent que le bout en bas — et encore ne le connaissent-ils qu'imparfaitement — et qui n'ont aucun contact avec autre chose.

Il faut changer ce besoin de miracle en une aspiration consciente vers quelque chose, qui est déjà, qui existe, et qui sera manifesté avec l'aide de toutes ces aspirations; toutes ces aspirations sont nécessaires, ou, si l'on regarde d'une façon plus vraie, sont un accompagnement — un accompagnement agréable — dans le déroulement éternel.

Au fond, les gens d'une logique très sévère vous disent : "Pourquoi prier? Pourquoi aspirer, pourquoi demander? Le Seigneur fait ce qu'il veut et Il fera ce qu'il veut." C'est de toute évidence, il n'est pas besoin de le dire, mais cet élan : "Seigneur, manifeste-Toi!", cela donne une vibration plus intense à Sa Manifestation.

Autrement, Il n'aurait jamais fait le monde comme il est — il y a une puissance spéciale, une joie spéciale, une vibration spéciale dans cette intensité d'aspiration du monde pour redevenir ce qu'il est.

Et c'est pour cela — "pour cela" en partie, fragmentairement — qu'il y a une évolution.

Un univers éternellement parfait, manifestant éternellement l'éternelle perfection, manquerait de la joie du progrès.

6 mars 1963

 


1 All's miracle hère and can by miracle change. (I.V.85) (En arrière)

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88-92 (Ce monde fut construit par la Mort afin qu'elle puisse vivre. ...)

88 — Ce monde fut construit par la Mort afin qu'elle puisse vivre. Voudrais-tu abolir la mort? Alors la vie périrait du même coup. Tu ne peux pas abolir la mort, mais tu peux la transformer en un mode de vie plus grand.

89 — Ce monde fut construit par la Cruauté afin qu'elle puisse aimer. Voudrais-tu abolir la cruauté? Alors l'amour périrait du même coup. Tu ne peux pas abolir la cruauté mais tu peux la transfigurer en son contraire : un Amour et un Délice ardents.

90 — Ce monde fut construit par l'Ignorance et par l'Erreur afin qu'elles puissent connaître. Voudrais-tu abolir l'ignorance et l'erreur? Alors la connaissance périrait du même coup. Tu ne peux pas abolir l'ignorance et l'erreur, mais tu peux les transmuer en ce qui dépasse la raison.

91 — Si la Vie seule existait sans la mort, il ne pourrait pas y avoir d'immortalité. Si l'amour seul existait, sans la cruauté, la joie ne serait qu'un tiède ravissement éphémère. Si la raison seule existait, sans l'ignorance, notre réalisation la plus haute ne dépasserait pas un rationalisme étroit et une sagesse mondaine.

92 — Transformée, la Mort devient la Vie qui est Immortalité; transfigurée, la Cruauté devient Amour qui est extase intolérable; transmuée, l'Ignorance devient la Lumière qui bondit par-delà la sagesse et la connaissance.

C'est la même idée, c'est-à-dire que l'opposition et les contraires sont un stimulant du progrès. Parce que, dire que sans Cruauté l'Amour serait tiède... le principe de l'Amour, tel qu'il est au-delà du Manifesté et du Non-Manifeste, n'a rien à voir avec la tiédeur ou la cruauté. Seulement, l'idée de Sri Aurobindo, semblerait-il, c'est que les opposés sont le moyen le plus efficace et le plus rapide de pétrir la Matière pour qu'elle puisse intensifier sa manifestation.

Comme expérience, c'est absolument certain, en ce sens que, d'abord, quand on entre en contact avec l'Amour éternel, l'Amour suprême, immédiatement on a une... comment appeler cela... une perception, une sensation— ce n'est pas une compréhension, c'est quelque chose de très concret : la conscience matérielle même la plus éclairée, la plus pétrie, la plus préparée est incapable de manifester Cela! La première impression, c'est cette espèce d'incapacité. Puis vient une expérience : justement, quelque chose qui manifeste une forme de... on ne peut pas dire exactement "cruauté", parce que ce n'est pas la cruauté telle que nous la connaissons, mais dans l'ensemble des circonstances, il y a une vibration qui se présente, avec une certaine intensité de refus de l'amour tel qu'il est manifesté ici. C'est exactement cela, quelque chose dans le monde matériel qui refuse la manifestation de l'amour telle qu'elle existe maintenant—je ne parle pas du monde ordinaire, je parle de la conscience à son maximum maintenant. (C'est une expérience, je parle de quelque chose qui a eu lieu.) Alors, la partie de la conscience qui a été touchée par cette opposition, fait un appel direct à l'origine de l'Amour, avec une intensité quelle Saurait pas eue sans l'expérience de ce refus. Il y a des limites qui se brisent, un flot qui descend, qui ne pouvait pas se manifester avant, et quelque chose s'exprime, qui n'était pas exprimé.

Et voyant cela, il y a évidemment une expérience analogue au point de vue de ce qu'on appelle la vie et la mort. C'est cette espèce de "surplombement" ou de présence constante de la Mort et de la possibilité de la mort, comme il est dit dans Savitri : on a un compagnon constant pendant tout le trajet entre le berceau et la tombe; on est constamment accompagné par cette menace ou cette présence de la Mort. Eh bien, il y a avec cela, dans les cellules, une intensité d'appel à une Puissance d'Éternité, qui ne serait pas là sans cette menace constante. Et on comprend, on commence à sentir d'une façon tout à fait concrète, que toutes ces choses sont seulement des moyens d'intensifier, de faire progresser et de rendre plus parfaite la Manifestation. Et si les moyens sont grossiers, c'est parce que la Manifestation est très grossière. Et à mesure qu'elle se perfectionnera et qu'elle deviendra plus propre à manifester ce qui est éternellement progressif, on passera des moyens très grossiers à des moyens plus subtils, et le monde progressera sans avoir besoin de ces oppositions si brutales. C'est seulement parce que le monde est dans l'enfance et que la conscience humaine est tout à fait dans l'enfance.

C'est une expérience très concrète.

Par conséquent, quand la terre n'aura plus besoin de mourir pour progresser, il n'y aura plus de mort. Quand la terre n'aura plus besoin de souffrir pour progresser, il n'y aura plus de souffrance. Et quand la terre n'aura plus besoin de haïr pour aimer, il n'y aura plus de haine.

(silence)

C'est le moyen le plus rapide et le plus efficace pour faire sortir la création de son inertie et la faire avancer vers son épanouissement.

(long silence)

Il y a un certain aspect de la création (qui est peut-être un aspect très moderne), c'est un besoin de sortir du désordre et de la confusion — de la désharmonie, la confusion. Une confusion, un désordre qui prend toutes les formes, qui se change en luttes, en efforts inutiles, en gaspillage. Cela dépend du domaine où l'on se trouve, mais matériellement, dans l'action, ce sont les complications inutiles, le gaspillage d'énergie et de matériel, la perte de temps, l'incompréhension, la mal-compréhension, la confusion, le désordre; c'est ce qu'autrefois on appelait crookedness dans les Véda (je ne sais pas l'équivalent de ce mot; quelque chose qui est tordu, qui, au lieu d'aller droit au but, va par des zigzags inutiles et aigus¹). C'est l'une des choses qui est le plus contraire à l'harmonie de l'action purement divine qui est d'une simplicité... qui paraît enfantine. Directe — directe, au lieu d'être en circonvolutions absurdes et complètement inutiles. Eh bien, il est évident que c'est la même chose : le désordre est une façon de stimuler le besoin de la simplicité pure et divine.

Le corps sent beaucoup, beaucoup, que tout pourrait être simple, si simple.

Et pour que l'être — cette espèce d'agglomérat individuel — puisse se transformer, il a justement besoin de se simplifier, simplifier, simplifier. Toutes ces complications de la Nature, que l'on commence a comprendre maintenant et à étudier, qui sont tellement compliquées pour la moindre chose (le moindre de nos fonctionnements est le résultat d'un système tellement compliqué que c'est presque impensable — certainement, il serait impossible à la pensée humaine de prévoir et de combiner toutes ces choses), maintenant la science les découvre, et l'on voit très clairement que pour que le fonctionnement puisse être divin, c'est-à-dire échapper à ce désordre et à cette confusion, il faut qu'il soit simplifié, simplifié, simplifié.

(long silence)

C'est-à-dire que dans la Nature... ou plutôt la Nature dans sa tentative d'expression a été obligée d'avoir recours à une complication incroyable, et presque infinie, pour reproduire la Simplicité première.

Et l'on revient à la même chose. C'est par cet excès de complication que vient la possibilité de la simplicité qui ne serait pas un vide — une simplicité pleine. Une simplicité qui contient tout; tandis que sans ces complications, la simplicité est un vide.

Ils sont en train de faire des découvertes comme cela. En anatomie, par exemple, ils font des découvertes pour les traitements par la chirurgie qui sont incroyables de complication! C'est comme leur division des éléments de la Matière — c'est d'une complexité! Effroyable. Et cela, c'est tout avec le but, dans l'effort pour exprimer l'Unité, la Simplicité une — l'état divin.

(silence)

Peut-être que cela ira vite... Mais la question se réduit à ceci, à l'aspiration suffisante, suffisamment intense et efficace, pour attirer Ce qui peut transformer cela : la complication en Simplicité, la cruauté en Amour, et ainsi de suite.

Et ce n'est pas la peine de se plaindre et de dire que c'est dommage. Parce que c'est comme cela. Pourquoi est-ce comme cela?... Probablement, quand ce ne sera plus, on saura. On pourrait dire autrement : si on le savait, ce ne serait plus.

Alors les spéculations : "Il aurait mieux valu que ce ne soit pas, etc.", tout cela, ce n'est pas pratique; cela ne sert à rien du tout, c'est inutile.

Il faut se dépêcher de faire le nécessaire pour que ce ne soit plus, c'est tout, c'est la seule chose pratique.

Pour le corps, c'est très intéressant. Mais c'est une montagne, n'est-ce pas, une montagne d'expériences, toutes petites en apparence, mais qui prennent leur place par leur multiplicité.1

1963. május 15.

 


1 Au moment de la publication de cette conversation, la Mère a fait cette remarque : 'Les savants vont nier, ils vont dire que je dis des bêtises; mais c'est parce que je n'emploie pas leurs mots, c'est seulement une question de vocabulaire.' (En arrière)

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93 (La douleur est comme la poigne de notre Mère qui nous apprend...)

93 — La douleur est comme la poigne de notre Mère qui nous apprend à supporter l'ivresse divine et à la laisser croître en nous. Sa leçon se fait en trois étapes : endurance d'abord, puis égalité d'âme, enfin l'extase.

 

Tant qu'il s'agit de choses morales, c'est absolument évident, c'est indiscutable — toutes les douleurs morales vous forment le caractère et vous conduisent tout droit à l'extase, quand on sait les prendre. Mais quand cela touche le corps...

Il est vrai que les docteurs ont dit que si l'on apprend au corps à supporter la douleur, il devient de plus en plus endurant et se désorganise moins vite — c'est un résultat concret. Les gens qui savent ne pas être complètement bouleversés dès qu'ils ont mal quelque part, qui arrivent à supporter tranquillement, à garder leur équilibre, il paraît que la capacité du corps de supporter le désordre sans se disloquer augmente. C'est une grande chose.

Je m'étais posé la question au point de vue purement pratique, extérieur, et il paraît que c'est comme cela. Intérieurement, il m'avait été dit bien des fois — dit et montré par des petites expériences — que le corps peut supporter beaucoup plus qu'on ne le croit, si à la douleur ne s'ajoutent pas la crainte ou l'anxiété; si l'on supprime ce facteur mental, le corps laissé à lui-même, qui n'a ni crainte ni peur, ni anxiété de ce qui va arriver — pas d'angoisse — peut supporter beaucoup.

Le second pas, c'est que quand le corps a décidé de supporter (n'est-ce pas, il prend la décision de supporter), immédiatement l'acuité, ce qui est aigu dans la douleur, disparaît. Je parle absolument matériellement.

Et si on a le calme (là intervient la nécessité d'un calme intérieur, qui est un autre facteur), si on a le calme intérieur, alors la douleur se change en une sensation qui est presque agréable — pas "agréable" au sens où on l'entend d'ordinaire, mais une impression presque confortable qui vient. Encore une fois, je parle purement physiquement, matériellement.

Et le dernier stade, quand les cellules ont la foi dans la Présence divine et la Volonté souveraine divine, et qu'elles ont cette confiance que c'est pour le bien que tout est, alors vient l'extase — les cellules s'ouvrent, comme cela, deviennent lumineuses et extatiques.

Cela fait quatre étapes (il n'est question que de trois ici).

La dernière n'est probablement pas à la portée de tout le monde, mais les trois premières sont tout à fait évidentes —je sais que c'est comme cela. La seule chose qui me tracassait, c'est que ce n'est pas une expérience purement psychologique et qu'il y a une usure dans le corps, du fait que l'on endure la souffrance. Mais je me suis enquise auprès des docteurs et il m'a été dit que si l'on apprend très jeune au corps à supporter la douleur, sa capacité de supporter augmente tellement qu'il peut résister vraiment à des maladies, c'est-à-dire que la maladie ne suit pas son cours, elle avorte. C'est précieux.

10 août 1963

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94 (Tout renoncement a pour but une joie plus grande pas encore conquise. ...)

94 —Tout renoncement a pour but une joie plus grande pas encore conquise. Certains renoncent pour la joie du devoir accompli, d'autres pour la joie de la paix, d'autres encore pour la joie de Dieu, et certains pour la joie de se torturer eux-mêmes ; renonce plutôt pour passer au-delà, dans la liberté et le ravissement immuable


Je n'ai jamais eu beaucoup cette expérience du renoncement — pour qu'il y ait renoncement, il faut tenir aux choses, et toujours il y avait cette soif, ce besoin d'aller plus loin, d'aller plus haut, d'aller mieux, de faire mieux, d'avoir mieux. Et au lieu d'avoir une impression de renoncement, on a plutôt l'impression d'un bon débarras — quelque chose dont on se débarrasse, qui vous encombre et qui vous alourdit, qui empêche la marche. C'est ce que je disais l'autre jour : nous sommes encore tout ce que nous ne voulons plus être, et Lui, Il est tout ce que nous voulons devenir — ce que nous appelons "nous" dans notre stupidité égoïste, c'est justement tout ce que nous ne voulons plus être, et on serait si content de jeter tout cela, de se débarrasser de tout cela pour pouvoir être ce que l'on veut être.

C'est une expérience très vivante.

Le seul processus que j'aie connu, et qui s'est répété plusieurs fois dans ma vie, c'est de renoncer à une erreur. Quelque chose que l'on croit vrai — qui probablement a été vrai pendant un certain temps —, sur quoi l'on base en partie son action, et qui, en fait, n'était qu'une opinion. On pensait que c'était une constatation véridique avec toutes ses conséquences logiques, et l'action (une partie de l'action) était basée là-dessus, et tout le déroulement était automatique; et soudain, une expérience, une circonstance, ou une intuition, vous met en garde que votre constatation n'est pas aussi vraie qu'elle en avait l'air. Alors il y a toute une période d'observation, d'étude (ou quelquefois cela vient comme une révélation, une preuve massive), et ce n'est pas seulement l'idée ni la fausse connaissance, mais toutes les conséquences qui doivent être changées, peut-être toute une manière d'agir sur un point quelconque. Et à ce moment-là, il y a une sorte de sensation, quelque chose qui ressemble à une sensation de renoncement; c'est-à-dire qu'il faut défaire tout un ensemble de choses qui avaient été bâties — quelquefois ce peut être assez considérable, quelquefois c'est une toute petite chose, mais l'expérience est la même : c'est le mouvement d'une force, d'an pouvoir qui dissout, et il y a la résistance de tout ce qui est à dissoudre, de toute l'habitude passée; et c'est ce mouvement de dissolution, avec la résistance correspondante, qui doit se traduire dans la conscience ordinaire humaine par le sentiment de renoncement.

J'ai vu cela tout dernièrement — c'est insignifiant, ce sont des circonstances qui n'ont aucune importance en elles-mêmes; c'est seulement dans l'ensemble de l'étude que c'est intéressant. C'est le seul phénomène, qui s'est répété plusieurs fois dans ma vie, que je connais bien à cause de cela. Et à mesure que l'être progresse, la puissance de dissolution augmente, devient de plus en plus immédiate, et la résistance diminue. Mais j'ai le souvenir de l'époque où il a eu le maximum de résistances (c'était il y a plus d'un demi-siècle) et ce n'était jamais que cela, c'était toujours quelque chose en dehors de moi — pas en dehors de ma conscience, mais en dehors de ma volonté —, quelque chose qui résiste à la volonté. Je n'ai jamais eu l'impression d'avoir à renoncer, mais j'ai eu l'impression d'avoir à presser sur les choses pour les dissoudre. Tandis que, maintenant, de plus en plus la pression est imperceptible : c'est immédiat; dès que la force qui dissout tout un ensemble se manifeste, il n'y a pas de résistance, tout se dissout; et au contraire, il y a à peine un sentiment de libération — il y a quelque chose qui est encore amusé et qui dit : "Ah! encore! que de fois on se limite..." Que de fois on croit que l'on avance, constamment, sans heurts, sans arrêt, et que de fois on se met une petite limite devant soi. Ce n'est pas une grosse limite parce que c'est une toute petite chose dans un immense tout, mais c'est une petite limite devant son action. Et alors, quand la Force agit pour dissoudre la limite, au début on se sent libéré, on a une joie; mais maintenant, ce n'est même plus cela, c'est un sourire. Parce que ce n'est pas le sentiment d'une libération, c'est tout simplement comme on enlève une pierre sur le chemin pour pouvoir passer.

Cette idée de renoncement ne peut venir que dans une conscience égocentrique. Naturellement, les gens (que j'appelle tout à fait primaires) tiennent aux choses — quand ils ont quelque chose, ils ne veulent pas le lâcher! Cela me paraît tellement enfantin !... Ceux-là, s'ils doivent la donner, ça fait mal ! Parce qu'ils s'identifient aux choses qu'ils tiennent. Mais c'est un enfantillage. Le vrai processus derrière, c'est la quantité (the amount) de résistance dans les choses formées sur une certaine base de connaissance — qui était une connaissance à un moment donné, qui ne l'est plus à un autre —, une connaissance partielle, pas fugitive mais impermanente ; il y a tout un ensemble de choses construites sur cette connaissance et cela résiste à la force qui dit : "Non! ce n'est pas vrai, (riant) votre base n'est plus vraie, on l'enlève", et alors, ah! ça fait mal— c'est cela que les gens sentent comme un renoncement.

Ce qui est difficile, ce n'est pas vraiment de renoncer, c'est d'accepter (Mère sourit) quand on voit la vie telle qu'elle est maintenant... Mais alors, comment, si l'on accepte, comment vivre au milieu de tout cela et avoir ce "ravissement immuable" — le ravissement immuable, pas là-bas, mais ici?

C'est mon problème depuis des semaines.

J'en suis venue à cette conclusion : en principe, c'est la conscience et l'union avec le Divin qui donne le ravissement, c'est le principe; par conséquent, la conscience et l'union avec le Divin, que ce soit dans le monde tel qu'il est ou dans la construction d'un monde futur, doit être le même — en principe. C'est ce que je me dis tout le temps : "Comment se fait-il que tu n'aies pas ce ravissement?"

Je l'ai — au moment où toute la conscience est centralisée dans l'union, à n'importe quel moment, au milieu de n'importe quoi, avec ce mouvement de concentration de la conscience sur l'union, le ravissement vient. Mais je dois dire qu'il disparaît quand je suis dans le travail... C'est un monde, mais un monde très chaotique, de travail, où j'agis sur tout ce qui m'entoure; et nécessairement je suis obligée de recevoir ce qui m'entoure de façon à pouvoir agir dessus. Je suis arrivée à l'état où toutes les réceptions, même celles que l'on considère comme les plus douloureuses, me laissent absolument tranquille et indifférente — "indifférente", pas une indifférence inactive : sans réaction pénible d'aucun genre, absolument neutre (geste tourné vers l'Éternel), d'une égalité parfaite. Mais dans cette égalité, il y a la connaissance précise de ce qui est à faire, ce qui est à dire, ce qui est à écrire, ce qui est à décider, enfin tout ce que comporte l'action. Tout cela se passe dans un état de neutralité parfaite, avec le sens du Pouvoir en même temps : le Pouvoir passe, le Pouvoir agit, et la neutralité reste — mais il n'y a pas le ravissement. Je n'ai pas l'enthousiasme, la joie, la plénitude de l'action.

Et je dois dire que l'état de conscience de ce ravissement serait dangereux dans l'état du monde tel qu'il est. Parce que cela a des réactions presque absolues—je vois que cet état de ravissement a un pouvoir formidable Mais j'insiste sur le mot formidable, dans le sens que c'est intolérant, ou intolérable — plutôt intolérable — pour tout ce qui n'est pas semblable. C'est la même chose, ou presque (pas la même tout à fait, mais presque) la même chose que l'Amour divin suprême; la vibration de cette extase, ou de ce ravissement, est un petit début de la vibration de l'Amour divin, et cela, c'est absolument... oui, il n'y a pas d'autre mot, c'est intolérant dans le sens que cela n'admet pas la présence de quelque chose qui est contraire.

Alors, cela aurait des résultats effroyables, n'est-ce pas, pour la conscience ordinaire. Je le vois bien, parce que, quelquefois cette Puissance vient — cette Puissance vient, on a l'impression que tout va éclater. Parce qu'elle ne peut tolérer qu'une union, elle ne peut tolérer que la réponse qui accepte — qui reçoit et qui accepte. Et ce n'est pas une volonté arbitraire, c'est du fait même de son existence, qui est toute-puissance—"toute-puissance", pas de la façon dont on comprend la toute-puissance : une toute-puissance réellement. C'est-à-dire qu'elle existe entièrement, totalement, exclusivement. Elle contient tout, mais ce qui est contraire à sa vibration est obligé de se changer, n'est-ce pas, puisque rien ne peut disparaître; et alors, ce changement immédiat, brutal pour ainsi dire, absolu, dans le monde tel qu'il est, c'est une catastrophe.

Voilà la réponse que j'ai reçue à mon problème.

Parce que c'était cela, je me disais : "Pourquoi? Moi qui suis... à n'importe quelle seconde je n'ai qu'à faire comme cela (geste vers le haut) et c'est... il n'y a plus que le Seigneur, tout est Ça — mais d'une façon si absolue que tout ce qui n'est pas Ça disparaît! Alors la proportion maintenant, (riant) c'est qu'il y aurait trop de choses qui devraient disparaître!

J'ai compris cela.

17 et 24 août 1963

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95 (C'est seulement en renonçant parfaitement au désir ou en le ...)

95 — C'est seulement en renonçant parfaitement au désir ou en le satisfaisant parfaitement que Dieu peut venir nous embrasser absolument, car dans les deux cas la condition première est remplie : le désir meurt.

95 — C'est seulement en renonçant parfaitement au désir ou en le satisfaisant parfaitement que Dieu peut venir nous embrasser absolument, car dans les deux cas la condition première est remplie : le désir meurt.

(long silence)

C'est dommage que je ne puisse pas noter toutes ces expériences qui viennent, parce que, justement, ces jours-ci et pendant toute une période, il y avait la perception très claire du fonctionnement vrai, qui est l'expression de la Volonté suprême qui se traduit spontanément, naturellement, automatiquement à travers l'instrument individuel; on pourrait même dire (parce que le mental est tranquille, il se tient tranquille) à travers le corps; et la perception du moment où cette expression de la Volonté divine est troublée, déformée — distorted — par l'introduction du désir, la vibration spéciale du désir, qui a une qualité tout à fait à elle, et qui vient pour beaucoup de raisons apparentes : ce n'est pas seulement la soif de quelque chose, le besoin de quelque chose ni l'attachement à quelque chose; cette même vibration peut être déclenchée par le fait, par exemple, que la volonté exprimée paraît être, ou en tout cas a été prise pour l'expression de la Volonté suprême, mais il y a eu confusion entre l'action immédiate, qui était évidemment l'expression de la Volonté suprême, et le résultat qui devait en découler — c'est une erreur que l'on fait très souvent. On a l'habitude de penser que quand on veut cela, c'est cela qui doit venir; parce que la vision est trop courte—trop courte et trop limitée —, au lieu d'avoir une vision d'ensemble qui ferait voir que cette vibration-là était nécessaire pour déclencher un certain nombre d'autres vibrations, et que c'est l'ensemble de tout cela qui produira un effet, qui n'est pas l'effet immédiat de la vibration émise. Je ne sais pas si c'est clair, mais c'est une expérience constante.

Et justement, pendant cette période, j'ai fait l'étude et l'observation du phénomène : comment la vibration de .désir s'ajoute à la vibration de la Volonté émise par le Suprême — pour les petits actes de tous les jours. Et avec la vision d'en haut (si l'on prend soin, n'est-ce pas, de garder la conscience de cette vision d'en haut), on voit comment cette vibration émise était exactement la vibration émise par le Suprême, mais au lieu d'obtenir le résultat immédiat que la conscience superficielle attendait, c'était pour déclencher tout un ensemble de vibrations et pour arriver à un autre résultat, plus lointain et plus complet. Je ne parle pas de grandes choses ni d'actions terrestres, je parle des toutes petites choses de la vie; par exemple, dire à quelqu'un : "Donne-moi cela", et ce quelqu'un, au lieu de donner cela, ne comprend pas et donne autre chose; alors, si l'on ne prend pas soin de garder une vision d'ensemble, il peut se produire une certaine vibration, mettons d'impatience, ou un manque de satisfaction, avec l'impression que la vibration du Seigneur n'est pas comprise et n'est pas reçue; eh bien, c'est cette petite vibration ajoutée, d'impatience, ou, en fait, d'incompréhension de ce qui arrive, cette impression d'un manque de réceptivité ou de réponse, qui est de la qualité du désir — on ne peut pas appeler cela un désir, mais c'est le même genre de vibration — et c'est cela qui vient compliquer les choses. Si on a la vision complète, exacte, on sait que le "donne-moi cela" produira autre chose que le résultat immédiat, et que cette autre chose amènera une autre chose qui est exactement celle qui doit être. Je ne sais pas si je suis claire, c'est un peu compliqué! Mais cela me donnait la clef de la différence de qualité entre la vibration de la Volonté et la vibration du désir. Et en même temps, la possibilité d'éliminer cette vibration de désir par une vision plus large et plus totale — plus large, plus totale et plus lointaine, c'est-à-dire d'un ensemble plus vaste.

Et j'insiste là-dessus, parce que cela élimine tout élément moral. Cela élimine cette notion péjorative du désir. De plus en plus, la vision élimine toutes les notions de bien, de mal, de bon, de mauvais, d'inférieur, de supérieur et tout cela; c'est seulement ce que l'on pourrait presque appeler une différence de qualité vibratoire — "qualité" donne encore l'idée d'une supériorité ou d'une infériorité, ce n'est pas qualité, ce n'est pas intensité; je ne sais pas le mot scientifique qu'ils emploient pour distinguer une vibration d'une autre, mais c'est cela.

Et alors, ce qui est remarquable, c'est que la vibration, ce que l'on pourrait appeler la qualité de la vibration qui vient du Seigneur, est constructrice — elle construit et elle est paisible et lumineuse; et cette autre vibration de désir et similaires complique, détruit et embrouille, tord les choses — les embrouille et les déforme, les tord —, et cela enlève la lumière; cela produit une grisaille, qui peut s'intensifier avec des mouvements violents allant jusqu'à des ombres très fortes. Mais même là où il n'y a pas de passion, où la passion n'intervient pas, c'est comme cela. N'est-ce pas, la réalité physique est devenue seulement un champ de vibrations qui s'entremêlent et qui, malheureusement, s'entrechoquent aussi, sont en conflit; et le choc, le conflit est un paroxysme de ce genre de trouble, de désordre et de confusion que créent certaines vibrations, au fond qui sont des vibrations d'ignorance — c'est parce que l'on ne sait pas. Ce sont des vibrations d'ignorance. Et trop petites, trop étroites, trop limitées — trop courtes. Ce n'est plus du tout le problème vu à un point de vue psychologique, ce sont seulement des vibrations.

Si l'on regarde à un point de vue psychologique... Sur le plan mental, c'est très facile; sur le plan vital, ce n'est pas très difficile; sur le plan physique, c'est un peu plus lourd, parce que cela prend l'allure de "besoins"; mais là aussi il y a eu un champ d'expériences ces jours-ci : l'étude des conceptions médicales et scientifiques de la construction du corps, de ses besoins et de ce qui lui est bon ou mauvais; et cela, réduit à son essence, revient encore à une même question de vibrations. C'était assez intéressant : il y a eu l'apparence (parce que toutes les choses telles que les voit la conscience ordinaire sont purement apparentes), il y a eu l'apparence d'un empoisonnement par la nourriture, et alors cela a été l'objet d'une étude particulière pour trouver s'il y avait un absolu dans l'empoisonnement, ou si c'était relatif, c'est-à-dire basé sur l'ignorance et la mauvaise réaction, et l'absence de la Vibration véritable. Et la conclusion était que c'est une question de proportion entre la quantité, la somme des vibrations qui appartiennent au Seigneur, et des vibrations qui appartiennent encore à l'obscurité; et suivant la proportion, cela prend l'allure de quelque chose de concret, de réel, ou de quelque chose qui peut être éliminé, c'est-à-dire qui ne résiste pas à l'influence de la vibration de Vérité. Et c'était très intéressant, parce que dès que la conscience a été avertie de la cause du trouble dans le fonctionnement du corps (n'est-ce pas, la conscience a perçu d'où cela venait, ce que c'était), immédiatement a commencé l'observation avec l'idée : "Voyons ce qui se passe." D'abord, mettre le corps dans un repos parfait avec cette certitude (qui est toujours là) que rien n'arrive que par la Volonté du Seigneur, et que l'effet aussi est la Volonté du Seigneur, toutes les conséquences sont la Volonté du Seigneur, et que, par conséquent, il faut être bien tranquille; alors le corps est bien tranquille : pas de trouble, il ne s'agite pas, pas vibrant, rien — très tranquille. Après cela, dans quelle mesure les effets sont-ils inévitables? Parce qu'une certaine quantité de matière, qui contenait un élément non favorable aux éléments du corps et à la vie du corps a été absorbée, quelle est la proportion entre les éléments favorables et les éléments défavorables, ou entre les vibrations favorables et les vibrations défavorables. Et alors, j'ai vu très clairement : la proportion diffère suivant la quantité de cellules du corps qui est sous l'influence directe, qui répond seulement à la Vibration suprême, et puis les autres qui appartiennent encore à la façon ordinaire de vibrer. Et c'était très clair, parce que l'on voyait tous les possibles, depuis la masse ordinaire qui est complètement bouleversée par cette intrusion et où il faut se battre avec tous les moyens ordinaires pour se débarrasser de l'indésirable élément, jusqu'à la totalité de la réponse cellulaire à la Force suprême, qui fait que cela ne peut avoir aucun effet; mais cela, c'est encore le rêve de demain — nous sommes en route. Et la proportion est devenue assez favorable—je ne peux pas dire toute-puissante, il s'en faut de beaucoup —, mais assez favorable, ce qui fait que les conséquences du malaise n'ont pas duré très longtemps et le dommage a été pour ainsi dire minime.

Mais toutes les expériences en ce moment, l'une après l'autre — toutes les expériences physiques, du corps — amènent à la même conclusion : tout dépend de la proportion entre les éléments qui répondent exclusivement à l'influence du Suprême, les éléments qui sont moitié-moitié, en cours de route de transformation, et les éléments qui sont encore dans le vieux processus de vibration de la Matière. Le nombre de ceux-là paraît diminuer; il paraît diminuer beaucoup, mais enfin il y en a encore assez pour produire des effets ou des réactions désagréables — des choses qui ne sont pas transformées, qui appartiennent encore à la vie ordinaire. Mais tous les problèmes — que ce soient des problèmes psychologiques, des problèmes — purement matériels, des problèmes chimiques —, tout le problème se réduit à cela : ce ne sont rien que des vibrations. Et il y a la perception de cet ensemble de vibrations et de ce que l'on pourrait appeler, d'une façon très grossière et très approximative, la différence entre les vibrations constructrices et les vibrations destructives. Nous pourrons (c'est une façon de parler, simplement) dire que toutes les vibrations qui viennent de l'Un et qui expriment l'Unité sont constructrices, et que toutes les complications de la conscience ordinaire séparatiste mènent à la destruction.

(long silence)

On dit toujours que c'est le désir qui crée les difficultés, et c'est comme cela, n'est-ce pas. Le désir peut être simplement quelque chose d'ajouté à une vibration de volonté. La volonté — quand c'est la Volonté une, la Volonté suprême qui s'exprime — est directe, immédiate, il n'y a pas d'obstacles possibles; alors tout ce qui retarde, empêche, complique, ou même fait échouer, est nécessairement le mélange du désir.

On voit cela pour tout. Par exemple, prenons un champ d'action extérieur, avec le monde extérieur, les choses extérieures. Naturellement, dire que c'est "extérieur", c'est simplement se mettre dans une position fausse mais, par exemple, on dit à quelqu'un, dans la conscience la plus haute, celle de la Vérité : "Va (je donne un exemple parmi des millions), va, vois celui-ci, dis-lui cela pour obtenir cela." Si la personne est réceptive, immobile intérieurement et surrendered, elle va, elle voit celui-ci, lui dit cela, et la chose se fait — sans aucune complication, comme cela. Si la personne a une conscience mentale active, n'a pas la foi totale et a tout le mélange de ce qu'apportent l'ego et l'Ignorance, elle voit les difficultés, elle voit les problèmes à résoudre, elle voit toutes les complications — naturellement, tout cela se produit; et alors, suivant la proportion (toujours, tout est une question de proportion), suivant la proportion, cela crée des complications, cela prend du temps, la chose est retardée, ou, un peu plus mal, elle est déformée, elle ne se produit pas exactement comme elle doit se produire, elle est changée, elle est diminuée, elle est déformée, ou, finalement, elle ne se fait pas du tout — il y a beaucoup, beaucoup de degrés, mais tout cela appartient au domaine des complications (des complications mentales) et du désir. Tandis que l'autre manière est immédiate. Des exemples de ces cas sont innombrables (de tous les cas) et aussi du cas immédiat. Alors les gens vous disent: "Oh! vous avez fait un miracle" — il n'y a pas de miracle fait : c'est comme cela que ça doit être toujours. C'est que l'intermédiaire ne s'est pas ajouté à l'action.

Je ne sais pas si c'est clair, mais enfin...

Alors, cela peut aller depuis la plus petite chose jusqu'à une action terrestre. Et il y a l'exemple, dans l'action terrestre, de choses qui ont été faites ainsi — si on a le bon intermédiaire. Personne n'a compris comment cela s'est fait, pourquoi cela s'est fait—comme cela, tout simplement, tout simplement, tout s'est arrangé. Et dans d'autres cas, pour obtenir un visa ou un permis, il faut soulever des montagnes. Alors, depuis la plus petite chose, le plus petit malaise physique, jusqu'à l'action la plus mondiale, c'est tout le même principe, tout se réduit au même principe.

4 novembre 1963

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96 - 100 (Que ton âme fasse l'expérience de la vérité des Écritures, puis, si...)

96 — Que ton âme fasse l'expérience de la vérité des Écritures, puis, si tu le veux, raisonne ton expérience et donne-lui une expression intellectuelle, et même alors méfie-toi de tes formules, mais ne doute jamais de ton expérience.

Cela ne demande pas d'explications.

C'est-à-dire qu'il faudrait expliquer, pour les enfants, que la formule, quelle qu'elle soit, les Écritures, quelles qu'elles soient, sont toujours une diminution de l'expérience, inférieures à l'expérience.

Il y a peut-être des gens qui ont besoin de le savoir.

97 — Quand tu affirmes l'expérience de ton âme et que tu nies, parce qu'elle est différente, l'expérience d'une autre âme, sache que Dieu se moque de toi. N'entends-tu pas son rire amusé derrière le rideau de ton âme?

Oh! c'est charmant.

On peut seulement faire une réflexion souriante : ne doute jamais de ton expérience, parce que ton expérience est la vérité de ton être, mais n'imagine pas que cette vérité soit universelle; et sur la base de cette vérité-là, ne nie pas la vérité des autres, parce que, pour chacun, son expérience est la vérité de son être. Et une Vérité totale ne serait que l'ensemble de toutes ces vérités individuelles... plus, l'expérience du Seigneur Lui-même!

98 — La révélation est une vision directe de la Vérité, une audition directe ou un souvenir inspiré, drishti, shrouti, smriti ; c'est l'expérience la plus haute et toujours susceptible d'un renouveau d'expérience. La parole des Écritures est la suprême autorité, non parce que Dieu l'a prononcée, mais parce que l'âme l'a vue.

Je suppose que c'est la réponse à la croyance biblique des "commandements de Dieu" reçus par Moïse, que le Seigneur aurait prononcés Lui-même et que Moïse aurait entendus — c'est une façon détournée de dire (Mère rit) que ce n'est pas possible.

"La suprême autorité parce que l'âme l'a vue" — mais ce ne peut être une suprême autorité que pour l'âme qui l'a vue, pas pour toutes les âmes. L'âme qui a eu cette expérience et qui a vu, pour elle c'est une suprême autorité, mais pas pour les autres.

C'était l'une des choses qui me faisait réfléchir quand j'étais tout enfant, ces dix "commandements", qui sont d'ailleurs d'une banalité extraordinaire. "Aime ton père et ta mère... ne tue pas..." c'est d'une écœurante banalité. Et Moïse est monté sur le Sinaï pour entendre cela.

Maintenant, je ne sais pas si Sri Aurobindo pensait aux Écritures indiennes... Il y a eu des Écritures chinoises aussi...

(silence)

De plus en plus, mon expérience est que la révélation (cela vient, n'est-ce pas), la révélation peut s'appliquer universellement, mais, dans sa forme, elle est toujours personnelle — toujours personnelle.

C'est comme si l'on avait un angle de vision de la Vérité. C'est forcément, forcément un angle, de la minute où c'est mis en mots.

On a l'expérience, sans mots et sans pensée, d'une espèce de vibration qui vous donne la sensation d'une vérité absolue, et puis, si l'on reste très immobile, sans rien chercher à savoir, au bout d'un certain temps c'est comme si cela passait à travers un filtre, et cela se traduit par une sorte d'idée. Puis cette idée... c'est une idée encore un peu floue, c'est-à-dire très générale, mais si l'on reste encore très immobile, attentif et silencieux, cela passe par un autre filtre, et alors c'est une sorte de condensation qui se produit, comme des gouttes, et cela devient des mots.

Mais cela, quand on a eu l'expérience tout à fait sincèrement (n'est-ce pas, que l'on ne se "monte pas le coup"), c'est nécessairement seulement un point, une façon de dire la chose, c'est tout. Et ce ne peut être que cela. Il y a, d'ailleurs, une observation très évidente, c'est que quand on se sert habituellement d'une certaine langue, cela vient dans cette langue; pour moi, cela vient toujours en anglais ou en français — cela ne vient pas en chinois, cela ne vient pas en japonais ! Les mots sont nécessairement anglais ou français; et quelquefois un mot sanskrit, mais parce que, physiquement, j'ai appris le sanskrit; il est arrivé que j'entende (pas physiquement) du sanskrit prononcé par un autre être, mais cela ne se cristallise pas, cela reste dans le flou; et quand je reviens à une conscience tout à fait matérielle, je me souviens d'un certain son vague, mais pas d'un mot précis. Par conséquent, c'est toujours un angle individuel, de la minute où cela se formule.

Il faut avoir une sorte de sincérité très austère. On est pris par un enthousiasme, parce que l'expérience apporte une puissance extraordinaire, la Puissance est là — elle est là avant les mots, elle diminue avec les mots — mais la Puissance est là, et avec cette Puissance on se sent très universel, on a l'impression : "C'est une Révélation universelle" — oui, c'est une révélation universelle, mais quand tu dis cela avec des mots, ce n'est plus universel; cela ne s'applique plus qu'aux cerveaux qui sont construits pour comprendre cette façon de dire. La Force est derrière, mais il faut dépasser les mots.

(silence)

De plus en plus me viennent ces sortes de choses que je griffonne sur un bout de papier, et c'est toujours le même processus : toujours, d'abord, une sorte d'éclatement — c'est comme un éclatement de puissance de vérité, cela fait comme un grand feu d'artifice bien blanc... (Mère sourit) beaucoup plus qu'un feu d'artifice! Et puis ça roule et ça roule (geste au-dessus de la tête), ça travaille et ça •travaille; puis l'impression d'une idée (mais l'idée est dessous, l'idée est comme un revêtement) et l'idée contient sa sensation, elle amène aussi la sensation — la sensation était avant, mais sans idée, alors on ne pouvait pas définir la sensation. Il n'y a qu'une chose : c'est toujours un éclatement de Pouvoir lumineux. Et puis, après, si l'on regarde cela et que l'on reste bien tranquille, que la tête se taise surtout — tout se tait (geste immobile tourné vers le haut), alors, tout d'un coup, quelqu'un parle dans la tête — quelqu'un parle. Et c'est cet éclatement qui parle. Alors je prends un crayon, un papier et j'écris. Mais entre ce qui parle et ce qui écrit, il y a encore un petit passage, là, qui fait que quand c'est écrit, il y a quelque chose là-haut qui n'est pas satisfait; alors je me tiens encore tranquille : "Non, pas ce mot-là, celui-ci" — quelquefois il faut deux jours pour que ce soit tout à fait définitif. Mais ceux qui se satisfont de la puissance de l'expérience, ils vous bâclent cela et ils vous envoient dans le monde des révélations sensationnelles qui sont des déformations de la Vérité.

Il faut être très pondéré, très tranquille, très critique — surtout très tranquille, silencieux, silencieux, silencieux; pas chercher à empoigner l'expérience : "Ah! qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que c'est?", alors on abîme tout— mais regarder, regarder très attentivement. Et dans les mots, il y a un restant, quelque chose qui reste de la vibration première (si peu!), mais il y a quelque chose, quelque chose qui vous fait sourire, qui est agréable, qui pétille comme un vin mousseux, et puis ici (Mère montre un mot ou un passage d'une note imaginaire) c'est terne; alors on regarde avec sa connaissance de la langue, ou avec le sens du rythme des mots : "Là, il y a un caillou", il faut enlever le caillou; puis on attend, et tout d'un coup cela vient, poff! cela tombe à sa place, le vrai mot. Si l'on est patient, au bout d'un ou deux jours, cela devient tout à fait exact.

3 février 1964

99 —La parole de l'Écriture est infaillible; c'est dans l'interprétation qu'y ajoutent le cœur et la raison que se glisse l'erreur.

Je ne suis pas tout à fait sûre que ce ne soit pas ironique... Aux gens qui disent "L'Écriture est infaillible", il répond : "Oui, oui, c'est entendu, les Écritures sont infaillibles, mais méfie-toi de ta propre compréhension!"

Mais voici la parole de Vérité :

100 — Jette loin de toi toute bassesse, toute étroitesse, toute superficialité dans ta pensée et ton expérience religieuses. Sois plus vaste que les plus vastes horizons, plus élevé que les plus hauts Kanchanjanghâ, plus profond que les plus profonds océans.

5 février 1964

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101.-102. (Dans la vision de Dieu, il n'y a ni près ni loin, ni présent,...)

101 — Dans la vision de Dieu, il n'y a ni près ni loin, ni présent, ni passé, ni futur. Ces choses ne sont qu'une perspective commode pour son tableau du inonde.

102 — Pour les sens, il est toujours vrai que le soleil tourne autour de la terre; mais c'est faux pour la raison. Pour la raison, il est toujours vrai que la terre tourne autour du soleil; mais c'est faux pour la vision suprême. Ni la terre ni le soleil ne bougent; il y a seulement un changement dans la relation de la conscience du soleil et de la conscience de la terre.

(long silence)

Impossible, je ne peux rien dire.

Cela voudrait dire que notre perception habituelle du monde physique est une perception fausse.

Oui, naturellement.

Mais alors, à quoi ressemblerait la perception vraie...

Eh bien oui, voilà !

... La perception vraie du monde physique — des arbres, des gens, des pierres — à quoi cela ressemble pour un œil supramental?

C'est justement ce que l'on ne peut pas dire ! Quand on a la vision et la conscience de l'Ordre de Vérité, de ce qui est direct, l'expression directe de la Vérité, on a immédiatement l'impression de quelque chose d'inexprimable, parce que tous les mots appartiennent à l'autre domaine; toutes les images, toutes les comparaisons, toutes les expressions appartiennent à l'autre domaine.

J'ai eu cette grosse difficulté précisément (c'était le 29 février) ; pendant tout le temps que je vivais dans cette conscience de la manifestation directe de la Vérité, j'ai essayé de formuler ce que je sentais, ce que je voyais — c'était impossible. Il n'y avait pas de mots. Et immédiatement, rien que la formule faisait retomber instantanément dans l'autre conscience.

À cette occasion, le souvenir de cet aphorisme du soleil et de la terre m'était revenu... même dire : "changement de conscience" — changement de conscience, c'est encore un mouvement.

Je crois que l'on ne peut rien dire. Je ne me sens pas capable de dire, parce que tout ce que l'on dit, ce sont des approximations pas intéressantes.

Mais quand tu es dans cette Conscience de Vérité, est-ce une expérience "subjective" ou est-ce que la Matière elle-même change d'aspect?

Oui, tout — le monde tout entier est différent ! Tout est différent. Et l'expérience m'a convaincue d'une chose, que je continue à sentir constamment, c'est que les deux états (de Vérité et de Mensonge) sont simultanés, concomitants, et que c'est seulement... oui, ce qu'il appelle un "changement de conscience", c'est-à-dire que l'on est dans cette conscience-ci ou l'on est dans cette conscience-là, mais on ne bouge pas pour autant.

Nous sommes obligés d'employer des mots qui bougent, parce que, pour nous, tout bouge, mais ce changement de conscience n'est pas un mouvement — ce n'est pas un mouvement. Et alors, comment pouvons-nous parler de cela, décrire cela?...

Même si nous disons "un état qui prend la place d'un autre", prendre la place de... immédiatement nous introduisons le mouvement — tous nos mots sont comme cela, qu'est-ce que nous pouvons dire?

Encore hier, l'expérience était tout à fait concrète et puissante, qu'il n'est pas besoin de se déplacer ou de déplacer quoi que ce soit pour que cette Conscience de Vérité remplace la conscience de déformation ou de distorsion. C'est-à-dire que la capacité de vivre et d'être cette Vibration vraie — essentielle et vraie — paraît avoir le pouvoir de substituer cette Vibration à la vibration de Mensonge et de Déformation, au point que... Par exemple, le résultat de la Déformation ou de la vibration de Déformation, devait être naturellement un accident, ou une catastrophe ; mais si, au sein de ces vibrations, il y a une conscience qui a le pouvoir de devenir consciente de la Vibration de Vérité, et par conséquent de manifester la Vibration de Vérité, cela peut — et cela doit — annuler l'autre; ce qui se traduirait dans le phénomène extérieur par une intervention qui arrêterait la catastrophe.

C'est une impression qui vient grandissante, que le Vrai est le seul moyen de changer le monde; que tous les autres procédés de lente transformation sont toujours en tangente (on approche de plus en plus, mais on n'arrive jamais) et que le dernier pas, ce doit être cela, cette substitution de la Vibration vraie.

On a des preuves partielles. Mais comme elles sont partielles, elles ne sont pas probantes; parce que, pour la vision et la compréhension ordinaires, on peut toujours trouver des explications, dire que c'était "prévu" et "prédestiné" que l'accident avorterait, par exemple, et, par conséquent, que ce n'est pas du tout cette intervention qui l'a fait avorter, mais le "Déterminisme" qui l'avait décidé. Et comment prouver? Comment même se prouver à soi-même qu'il en est autrement? Ce n'est pas possible.

N'est-ce pas, dès que l'on exprime, on entre dans le mental, et dès que l'on entre dans le mental, il y a cette espèce de logique, qui est effroyable parce qu'elle est toute-puissante : si tout est déjà existant, coexistant, de toute éternité, comment peut-on changer une chose en une autre?... Comment quoi que ce soit peut-il "changer"?

On vous dit (Sri Aurobindo vient de le dire lui-même) que pour la conscience du Seigneur, il n'y a ni passé ni temps, ni mouvement, ni rien — tout est. Pour traduire, nous disons "de toute éternité", ce qui est une ânerie, mais enfin tout est. Alors tout est (Mère se croise les bras) et puis c'est fini, il n'y a rien à faire. N'est-ce pas, cette conception-là, ou plutôt cette façon de dire (parce que c'est seulement une façon de dire) annule le sens du progrès, annule l'évolution, annule... On vous dit : il fait partie du Déterminisme que vous devez faire l'effort de progrès — oui, tout cela, c'est de la rhétorique.

Et notez que cette façon de dire, c'est une minute d'expérience, mais ce n'est pas l'expérience totale. Il y a un moment où l'on sent comme cela, mais ce n'est pas total, c'est partiel. C'est seulement une façon de sentir, ce n'est pas tout. Il y a quelque chose de beaucoup plus profond et de beaucoup plus inexprimable, dans la conscience éternelle, que cela — beaucoup plus. Cela, c'est seulement le premier ahurissement que l'on a quand on sort de la conscience ordinaire, mais ce n'est pas tout. Ce n'est pas tout. Quand le souvenir de cet aphorisme m'est revenu, ces jours-ci, j'avais l'impression que c'était seulement juste un petit aperçu que l'on a tout d'un coup et une sensation d'opposition entre les deux états, mais ce n'est pas tout — ce n'est pas tout. Il y a autre chose que cela.

Il y a autre chose, qui est tout autre chose que ce que nous comprenons, mais qui se traduit par ce que nous comprenons.

Et cela, on ne peut pas le dire. On ne peut pas le dire parce que c'est inexprimable, inexprimable.

Ceci revient à sentir que tout ce qui, dans notre conscience ordinaire, devient faux, mensonger, déformé, tortueux, tout est essentiellement vrai pour la Conscience de Vérité. Mais de quelle manière est-ce vrai? C'est justement quelque chose qui ne peut pas se dire avec des mots, parce que les mots appartiennent au Mensonge.

C'est-à-dire que la matérialité du monde ne serait pas annulée par cette Conscience, elle serait transfigurée?... Ou est-ce que ce serait un tout autre monde?

(silence)

Il faudrait s'entendre... J'ai peur que ce que nous appelons "la Matière" ne soit justement l'apparence mensongère du monde.

Il y a quelque chose qui correspond, mais...

N'est-ce pas, cet aphorisme aboutirait à une subjectivité absolue, et ce serait seulement cette subjectivité absolue qui serait vraie—eh bien, ce n'est pas comme cela. Parce que c'est le pralaya, c'est le Nirvana. Eh bien, il n'y a pas que le Nirvana, il y a une objectivité qui est réelle, qui n'est pas mensongère — mais comment dire!... C'est une chose que j'ai sentie plusieurs fois — plusieurs fois, pas seulement en un éclair—la réalité de... comment s'exprimer? on est toujours trompé par ses mots... Dans le parfait sens de l'Unité et dans la conscience de l'Unité, il y a place pour l'objectif, l'objectivité — l'un ne détruit pas l'autre, du tout; on peut avoir la sensation d'une différenciation; non pas que ce ne soit pas soi, mais c'est une vision différente... Je vous l'ai dit, tout ce que l'on peut dire n'est rien, ce sont des âneries, parce que les mots sont faits pour exprimer le monde irréel, mais... Oui, c'est peut-être ce que Sri Aurobindo appelle le sens de la "Multiplicité dans l'Unité", cela correspond peut-être un peu; de même que l'on sent la multiplicité interne de son être, quelque chose comme cela... Je n'ai plus du tout la sensation du moi séparé, plus du tout, du tout, même dans le corps, et cela ne m'empêche pas d'avoir un certain sens du rapport objectif— oui, tiens, cela revient à sa "relation de conscience entre la terre et le soleil", qui change. (Riant) C'est vrai que c'est peut-être la meilleure façon de dire ! C'est une relation de conscience. Ce n'est pas du tout la relation de soi et "d'autres" — du tout, c'est complètement annulé —, mais cela pourrait ressembler à la relation de conscience entre les différentes parties de son être. Et cela donne de l'objectivité aux différentes parties, évidemment.

(long silence)

Pour en revenir à cet exemple très facilement compréhensible de l'accident qui avorte, on peut très bien concevoir que l'intervention de la Conscience de Vérité était décidée "de toute éternité" et qu'il n'y a aucun élément "nouveau", mais cela n'empêche pas que c'est cette intervention qui a arrêté l'accident (ce qui donne une image exacte du pouvoir de cette Conscience vraie sur l'autre). Si l'on projette sa manière d'être sur le Suprême, on peut concevoir qu'il s'amuse à faire beaucoup d'expériences, pour voir comment cela joue (c'est autre chose, cela n'empêche pas qu'il y ait une Toute-Conscience qui sache de toute éternité toutes choses — tout cela avec des mots absolument inadéquats), mais cela n'empêche pas que quand on regarde le procédé, c'est cette intervention qui a pu faire avorter l'accident : la substitution d'une conscience vraie à une conscience mensongère a arrêté le processus de la conscience mensongère.

Et cela me paraît se passer assez souvent — beaucoup plus souvent qu'on ne le croit. Par exemple, chaque fois qu'une maladie est guérie, chaque fois qu'un accident est évité, chaque fois qu'une catastrophe, même terrestre, est évitée, tout cela, c'est toujours l'intervention de la Vibration d'Harmonie dans la vibration de Désordre qui permet que le Désordre cesse.

Alors les gens, les fidèles qui disent toujours : "Par la grâce de Dieu, ceci est arrivé", ce n'est pas si faux.

Je constate seulement un fait, que c'est cette Vibration d'Ordre et d'Harmonie qui est intervenue (les raisons de son intervention n'ont rien à voir, c'est seulement une constatation scientifique), et cela, j'en ai eu un assez grand nombre d'expériences.

Ce serait le processus de transformation du monde?

Oui.

Une incarnation de plus en plus constante de cette Vibration d'Harmonie.

C'est cela, oui, exactement. Exactement.

Et même, à ce point de vue, j'ai vu... N'est-ce pas, l'idée ordinaire que c'est nécessairement dans le corps, où la Conscience s'exprime d'une façon plus constante, que le phénomène [de transformation] doit se produire en premier, cela paraît tout à fait inutile et secondaire; au contraire, cela se produit partout en même temps où cela peut se produire le plus facilement et le plus totalement, et ce n'est pas nécessairement cet agglomérat de cellules (Mère désigne son propre corps) qui est le plus prêt à cette opération. Par conséquent, il peut rester pendant très longtemps apparemment ce qu'il est, même si sa compréhension et sa réceptivité sont particulières. Je veux dire que la conscience (awareness), la perception consciente de ce corps est infiniment supérieure à celle que peuvent avoir tous ceux avec lesquels il est mis en rapport, excepté à des minutes — des minutes — où d'autres corps ont, comme une grâce, la Perception; tandis que, pour lui, c'est un état naturel et constant; c'est le résultat effectif du fait que cette Conscience de Vérité est plus constamment concentrée sur cet ensemble de cellules que sur les autres — plus directement; mais le remplacement d'une vibration par l'autre, dans les faits, dans l'action, dans l'objet, cela vient à l'endroit où c'est le plus frappant et le plus efficace au point de vue des résultats.

C'est une chose que j'ai sentie d'une façon très, très claire, et que l'on ne peut pas sentir tant que l'ego physique est là, parce que l'ego physique a le sens de son importance, et cela disparaît tout à fait avec l'ego physique; quand il disparaît, on a la perception exacte que l'intervention ou la manifestation de la Vibration vraie ne dépend pas des ego ni des individualités (individualités humaines ou individualités nationales, ou même individualité de la Nature : animaux, plantes, etc.), cela dépend d'un certain jeu des cellules et de la Matière où il y a des agglomérations qui sont particulièrement favorables pour produire la transformation—pas "transformation", la substitution, pour être exact, la substitution de la Vibration de Vérité à la vibration de Mensonge. Et le phénomène peut être très indépendant des groupements et des individualités (ce peut être un morceau ici, un morceau là, une chose là, une chose là) ; et cela correspond toujours à une certaine qualité de vibration, qui produit comme un gonflement — un gonflement réceptif —, alors là, le phénomène peut se produire.

Malheureusement, je le disais au début, tous les mots appartiennent au monde de l'apparence.

(silence)

Et c'est mon expérience de tous ces temps-ci, avec une vision et une conviction (la conviction d'une expérience) : les deux vibrations sont comme cela (geste indiquant une superposition et une infiltration), tout le temps. Tout le temps, tout le temps.

Peut-être que l'émerveillement vient quand la quantité infiltrée est suffisamment grande pour être perceptible. Mais j'ai l'impression — et une impression très aiguë — que c'est un phénomène qui se produit tout le temps, tout le temps, partout, d'une façon minuscule (geste d'infiltration en pointillement), infinitésimale; et que dans certaines circonstances, conditions, qui sont visibles — visibles pour cette vision-là (c'est une sorte de gonflement lumineux, je ne peux pas expliquer) — là, la masse de l'infiltration est suffisante pour donner l'impression du miracle. Mais autrement, c'est quelque chose qui se produit tout le temps, tout le temps, sans arrêt, dans le monde (même geste de pointillement), comme une quantité infinitésimale de Mensonge remplacée par la Lumière, Mensonge remplacé par la Lumière... constamment.

Et cette Vibration (que je sens et que je vois), cela donne l'impression d'un feu. C'est cela que les rishi védiques devaient traduire par cette "Flamme"—dans la conscience humaine, dans l'homme, dans la Matière. Ils parlaient toujours d'une "Flamme".1 C'est en effet une vibration de l'intensité d'un feu supérieur.

Même le corps a senti, plusieurs fois, quand le Travail était très concentré ou condensé, que c'est l'équivalent d'une fièvre.

Il y a deux ou trois nuits, quelque chose comme cela s'est passé : il y a eu cette descente de Force, descente de cette Puissance de Vérité avec une intensité particulière... Eh bien, c'est ce qui se passe — qui se passe partout, tout le temps. Alors, si c'est dans un agglomérat assez considérable, cela donne l'apparence d'un miracle — mais c'est le miracle de la terre tout entière.

Et il faut tenir bon, parce que cela a des conséquences, cela amène une sensation de Pouvoir, et très peu de gens peuvent le sentir, l'éprouver sans être plus ou moins dérangés dans leur équilibre, parce qu'ils n'ont pas une base de paix suffisante — de paix vaste et très, très tranquille. Maintes fois j'ai dit : "Il n'y a qu'une réponse, une seule réponse. Il faut être tranquille, tranquille, et encore plus tranquille, et de plus en plus tranquille; et ne pas essayer avec votre tête de trouver une solution, parce qu'elle ne peut pas. Il faut seulement être tranquille — tranquille, tranquille, immuablement tranquille. Le calme et la paix, le calme et la paix... Et c'est la seule réponse."

Je ne dis pas que ce soit la guérison, mais c'est la seule réponse : durer dans le calme et la paix, durer dans le calme et la paix....

Alors il se passera quelque chose.

25 mars 1964

 


1 Agni, le feu védique. (En arrière)

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103 -107 (Vivékânanda, exaltant le sannyâsa1 , disait que dans toute...)

103 — Vivékânanda, exaltant le sannyâsa,1 disait que dans toute l'histoire de l'Inde, il n'y avait qu'un Janaka.2 Il n'en est rien, car Janaka n'est pas le nom d'un seul individu, c'est une dynastie de rois maîtres d'eux-mêmes et le cri de triomphe d'un idéal.

104 — Parmi les milliers et les milliers de sannyâsin vêtus d'ocré, combien sont parfaits? C'est le petit nombre des accomplissements et le grand nombre des approximations qui justifient un idéal.

105 — S'il y a eu des centaines de sannyâsin parfaits, c'est parce que le sannyâsa a été partout prêché et abondamment pratiqué; qu'il en soit de même pour la liberté idéale, et nous aurons des centaines de Janaka.

106 — Le sannyâsa a une robe officielle et des signes extérieurs, c'est pourquoi les hommes se figurent le reconnaître aisément; mais la liberté d'un Janaka ne s'affiche pas, elle porte la robe du monde; Nârada 3 lui-même était aveugle à sa présence.

107 — Il est dur d'être homme libre dans le monde, tout en vivant la vie ordinaire des hommes; mais justement parce que c'est dur, il faut tenter de l'accomplir.

Cela paraît tellement évident!

C'est évident, mais c'est difficile.

N'est-ce pas, être libre de tout attachement, cela ne veut pas dire fuir les occasions d'attachement. Tous ces gens qui affirment leur ascétisme, non seulement fuient mais préviennent les autres qu'ils ne doivent pas essayer !

Cela me paraît tellement évident. Quand on a besoin de fuir une chose pour ne pas l'éprouver, cela veut dire que l'on n'est pas au-dessus, on est encore à ce niveau-là.

Tout ce qui supprime et diminue, ou amoindrit, ne libère pas. La liberté doit être éprouvée dans la totalité de la vie et des sensations.

Justement, j'ai fait toute une série d'études à ce sujet, sur le plan purement physique... Pour être au-dessus de toute erreur possible, on a tendance à supprimer les occasions d'erreur. Par exemple, si l'on ne veut pas dire de paroles inutiles, on ne parle plus; les gens qui se vouent au silence s'imaginent que c'est contrôler la parole — ce n'est pas vrai! c'est seulement supprimer l'occasion de parler, et par conséquent de dire des choses inutiles. Pour la nourriture, c'est la même chose: ne manger que juste ce qu'il faut. Dans l'état transitoire où nous nous trouvons, nous ne voulons plus vivre cette vie entièrement animale fondée sur les échanges matériels et la nourriture, mais ce serait folie de croire que l'on est arrivé à l'état où le corps peut subsister absolument sans nourriture (pourtant, il y a déjà une grande différence puisque l'on est en train d'essayer de trouver l'essence nutritive des choses, pour diminuer le volume), mais la tendance naturelle, c'est le jeûne—c'est une erreur!

De crainte de nous tromper dans nos actions, nous ne faisons plus rien; de crainte de nous tromper dans nos paroles, nous ne disons plus rien; de crainte de manger pour le plaisir de manger, on ne mange plus rien — ce n'est pas la liberté, c'est tout simplement réduire la manifestation à son minimum. Et l'aboutissement naturel, c'est le Nirvana. Mais si le Seigneur voulait seulement le Nirvana, il n'y aurait que le Nirvana! Il est évident qu'il conçoit la coexistence de tous les contraires, et que, pour Lui, ce doit être le commencement d'une totalité. Alors on peut, évidemment, si l'on se sent fait pour cela, choisir une seule de Ses manifestations, c'est-à-dire l'absence de manifestation. Mais c'est encore une limitation. Et ce n'est pas la seule manière de Le trouver, il s'en faut!

C'est une tendance très répandue, qui provient probablement d'une suggestion ancienne, ou peut-être d'une pauvreté, d'une incapacité — réduire, réduire, réduire ses besoins, réduire ses activités, réduire ses paroles, réduire sa nourriture, réduire sa vie active, et tout cela devient si étriqué. Dans l'aspiration de ne plus faire de fautes, on supprime l'occasion de les faire — ce n'est pas une guérison.

Mais l'autre chemin est beaucoup, beaucoup plus difficile.

(silence)

Non, la solution, c'est de n'agir que sous l'impulsion divine, de ne parler que sous l'impulsion divine, de ne manger que sous l'impulsion divine. C'est cela qui est difficile, parce que, naturellement, on confond immédiatement l'impulsion divine avec les impulsions personnelles.

C'était cela l'idée, je crois, de tous les apôtres du renoncement : supprimer tout ce qui vient du dehors ou d'en bas, de façon que si quelque chose d'en haut se manifeste, on soit en état de le recevoir. Mais au point de vue collectif, c'est un processus qui peut prendre des milliers d'années. Au point de vue individuel, c'est possible; mais alors il faut garder intacte l'aspiration à recevoir la vraie impulsion — pas l'aspiration à la "libération" complète, mais l'aspiration à l'identification active avec le Suprême, c'est-à-dire ne vouloir que ce qu'il veut, ne faire que ce qu'il veut, n'exister que par Lui, en Lui.

Alors on peut essayer la méthode du renoncement, mais c'est la méthode de celui qui veut se couper des autres. Et peut-il y avoir une intégralité dans ce cas-là?... Cela ne me paraît pas possible.

Afficher publiquement ce que l'on veut faire, cela aide considérablement. Cela peut susciter des objections, des mépris, des conflits, mais c'est largement compensé par l'"attente" publique, si l'on peut dire, par ce que les autres attendent de vous. C'était certainement la raison de ces robes : prévenir les gens. Évidemment, cela peut attirer sur vous le mépris de certaines personnes et des mauvaises volontés, mais il y a tous ceux qui sentent qu'il ne faut pas toucher cela, ne pas s'en occuper, que ça ne les regarde pas.

Je ne sais pour quelle raison, mais cela m'a toujours paru un cabotinage — ce peut ne pas l'être, et dans certains cas ce ne l'est pas, mais c'est tout de même une façon de dire aux gens : "Ah! voilà ce que je suis." Et je dis que cela peut aider, mais il y a des inconvénients.

C'est encore un enfantillage.

Tout cela, ce sont des moyens, des étapes, des marches, mais... la vraie liberté, c'est d'être libre de tout — de tous les moyens aussi.

(silence)

C'est une restriction, un resserrement, tandis que la Vraie Chose, c'est l'épanouissement, l'élargissement, l'identification avec le tout.

Quand on se réduit, se réduit, se réduit, on n'a pas le sentiment de se perdre, cela vous enlève la crainte de vous perdre — on devient quelque chose de solide et de compact. Mais si l'on choisit la méthode de l'élargissement — l'élargissement maximum —, il ne faut pas avoir peur de se perdre.

C'est beaucoup plus difficile.

Justement, comment est-ce possible dans un monde extérieur qui vous absorbe constamment? Je pense, par exemple, à ceux qui vivent en Occident; ils sont constamment avalés par le travail, les rendez-vous, les téléphones, ils n'ont pas une minute pour purifier ce qui tombe sans arrêt sur eux et se ressaisir. Dans ces conditions, comment est-ce possible?

Ah! il faut en prendre et en laisser.

C'est l'autre extrême... Il est certain que les monastères, les retraites, la fuite dans les forêts ou les cavernes, sont nécessaires pour contrebalancer la suractivité moderne, et pourtant cela existe moins maintenant qu'il y a mille ou deux mille ans. Mais il me semble que c'était une incompréhension — cela n'a pas duré.

C'est évidemment l'excès d'activité qui rend nécessaire l'excès d'immobilité.

Mais comment trouver le moyen d'être ce qu'il faut dans les conditions ordinaires?

Comment ne tomber ni dans un excès, ni dans l'autre?

Oui, vivre normalement, et être libre.

Mon petit, c'est pour cela que l'on a fait l'Ashram! C'était cela, l'idée. Parce que, en France, j'étais tout le temps à me demander : "Comment a-t-on le temps de se trouver? Comment a-t-on même le temps de comprendre le moyen de se libérer" Alors j'avais pensé : un endroit où les besoins matériels seront suffisamment satisfaits pour que si, vraiment, on veut se libérer, on puisse se libérer. Et c'est sur cette idée que l'Ashram a été fondé, non sur une autre — un endroit où les gens auraient des moyens d'existence suffisants pour avoir le temps de penser à la Vraie Chose.

(Mère sourit) La nature humaine est telle que la paresse a pris la place de l'aspiration (pas pour tous, mais enfin d'une façon assez générale) et la licence ou le libertinage, la place de la liberté. Ce qui tendrait à prouver que l'espèce humaine doit passer par une période de manipulation brutale afin d'être prête à se retirer plus sincèrement de l'esclavage à l'activité.

Le premier mouvement est bien celui-ci : "Enfin! trouver l'endroit où l'on puisse se concentrer, se trouver soi-même, vivre vraiment sans avoir la préoccupation des choses matérielles", c'est la première aspiration (c'est même là-dessus — en tout cas au début — que les disciples étaient choisis), mais ça ne dure pas ! Les choses deviennent faciles, alors on se laisse aller. On n'a pas de contraintes morales, alors on fait des bêtises.

Mais on ne peut même pas dire que ce soit une erreur de recrutement — on serait tenté de le croire, mais ce n'est pas vrai; parce que le recrutement s'est fait sur un signe intérieur, assez précis et clair... C'est probablement une difficulté de garder sans mélange l'attitude intérieure. C'est justement cela que Sri Aurobindo voulait, essayait; il disait : "Si je trouve cent personnes, cela me suffit."

Mais ce n'était pas cent pendant longtemps, et je dois dire que quand c'était cent, c'était déjà mélangé.

Beaucoup de gens sont venus, attirés par la Vraie Chose, mais... on se relâche. C'est-à-dire une impossibilité de se maintenir ferme dans sa position vraie.

Oui, j'ai remarqué que dans l'extrême difficulté des conditions extérieures du monde, V aspiration était beaucoup plus intense.

Mais oui!

C'est beaucoup plus intense, c'est presque une question de vie ou de mort.

Oui, c'est cela! C'est-à-dire que l'homme est encore si fruste qu'il a besoin des extrêmes. C'est ce que Sri Aurobindo disait : pour que l'Amour soit vrai, il fallait la Haine; l'Amour vrai ne pouvait naître que sous la pression de la haine.4 C'est cela. Eh bien, il faut accepter les choses telles qu'elles sont et tâcher d'aller plus loin, c'est tout.

C'est probablement pour cela qu'il y a tant de difficultés — les difficultés s'accumulent ici : difficultés de caractère, difficultés de santé et difficultés de circonstances — c'est parce que la conscience s'éveille sous l'impulsion des difficultés.

Si tout est facile et paisible, on s'endort.

C'est comme cela aussi que Sri Aurobindo expliquait la nécessité de la guerre. Dans la paix, on s'avachit. C'est dommage.

Je ne peux pas dire que je trouve cela très joli, mais cela paraît être ainsi.

Au fond, c'est ce que Sri Aurobindo disait dans The Hour of God : si vous avez la Force et la Connaissance, et que vous ne profitiez pas de l'occasion, eh bien, malheur à vous. Ce n'est pas du tout une vengeance, ce n'est pas du tout une punition, mais vous attirez une nécessité, la nécessité d'une impulsion violente — réagir contre une violence.

(silence)

C'est une expérience que j'ai de plus en plus : le contact avec cet Amour Divin véritable, pour qu'il puisse se manifester, c'est-à-dire s'exprimer librement, cela demande une puissance extraordinaire dans les êtres et dans les choses! qui n'existe pas encore. Autrement, tout se disloque.

Il y a des tas de détails très probants, mais naturellement, comme ce sont des "détails" ou des choses très personnelles, on ne peut pas en parler; mais sur la preuve ou les preuves d'expériences répétées, je suis obligée de dire ceci : quand cette Puissance d'Amour pur, merveilleuse n'est-ce pas, qui dépasse toute expression, dès qu'elle commence à se manifester amplement, librement, c'est comme si des quantités de choses s'écroulaient tout de suite — elles ne peuvent pas tenir. Elles ne peuvent pas tenir, c'est dissous. Alors... alors tout s'arrête. Et cet arrêt, que l'on pourrait croire une disgrâce, c'est le contraire! C'est une Grâce infinie.

Rien que la perception, un tout petit peu concrète et tangible, de la différence entre la vibration dans laquelle on vit d'une façon normale et presque continue, et cette Vibration-là, rien que la constatation de cette infirmité, que j'appelle nauséeuse — vraiment, cela donne la nausée —, cela suffit à tout arrêter.

Pas plus tard qu'hier, ce matin, il y a de longs moments où cette Puissance se manifeste, puis, tout d'un coup, il y a comme une Sagesse — une Sagesse incommensurable — qui fait que tout se détend dans une tranquillité parfaite : ce qui doit être sera, cela prendra le temps qu'il faudra. Et alors tout va bien. Comme cela, tout va bien, immédiatement. Mais la Splendeur s'éteint.

Il n'y a qu'à être patient.

Sri Aurobindo l'a écrit aussi : "Aspire intensément, mais sans impatience"... La différence entre l'intensité et l'impatience est très subtile — tout est une différence de vibration; c'est subtil, mais cela fait toute la différence.

Intensément, mais sans impatience. C'est cela, il faut être dans cet état-là.

Et pendant très longtemps, très longtemps, se contenter des résultats intérieurs, c'est-à-dire des résultats de réactions personnelles et individuelles, de contacts intérieurs avec le reste du monde — ne pas espérer, ou vouloir trop tôt, que les choses se matérialisent. Parce que l'on a une hâte qui généralement retarde les choses.

Si c'est comme cela, c'est comme cela.

Nous vivons — les hommes, je veux dire, vivent harcelés. C'est une espèce de sentiment semi-conscient de la durée si courte de leur vie; ils n'y pensent pas, mais ils le sentent d'une façon semi-consciente; et alors ils sont tout le temps à vouloir — vite, vite, vite — se précipiter d'une chose à l'autre, faire une chose vite pour passer à la suivante, au lieu que chaque chose vive dans son éternité propre. On est toujours à vouloir : en avant, en avant, en avant... Et on gâte le travail.

C'est pour cela que d'aucuns ont prêché : le seul moment important est le moment présent — pratiquement ce n'est pas vrai, mais au point de vue psychologique ce devrait être vrai. C'est-à-dire, vivre au maximum de sa possibilité, à chaque minute, sans prévoir ou vouloir ou attendre ou préparer la suivante. Parce que l'on est tout le temps pressé, pressé, pressé... et on ne fait rien de bien. Et on est dans une tension intérieure qui est tout à fait fausse — tout à fait fausse.

Tous ceux qui ont essayé d'être sages l'ont toujours dit (les Chinois l'ont prêché, les Indiens l'ont prêché) : vivre dans le sens de l'Éternité. En Europe aussi, on a dit qu'il faudrait contempler le ciel, les astres, et s'identifier à leur infinitude — toutes choses qui vous élargissent et vous apaisent.

Ce sont des moyens, mais c'est indispensable.

Et j'ai observé cela dans les cellules du corps : on dirait qu'elles sont toujours en hâte de faire ce qu'elles ont à faire, de peur qu'elles n'aient pas le temps de le faire. Alors elles ne font rien convenablement. Les gens brouillons (il y a des gens qui bousculent tout, leurs mouvements sont brusques et brouillons) ont cela à un grand degré, cette espèce de hâte—faire vite, faire vite, faire vite... Hier, quelqu'un se plaignait de douleurs rhumatismales et il disait : "Oh! cela fait perdre tant de temps, je fais les choses si lentement!" J'ai dit (Mère rit) : "Et puis après!" Il n'était pas content. N'est-ce pas, se plaindre quand on a mal, cela veut dire que l'on est douillet, et puis c'est tout, mais dire: "Je perds tant de temps, je fais les choses si lentement!" C'était le tableau très clair de cette hâte où sont les hommes — on traverse la vie en bolide... pour aller où?... patatras au bout!

À quoi cela sert?

(silence)

Au fond, la morale de tous ces aphorismes est qu'il est bien plus important d'être que de paraître — il faut vivre et non prétendre; et qu'il est beaucoup plus important de réaliser une chose entièrement, sincèrement, parfaitement, que de faire savoir aux autres qu'on la réalise.

C'est encore la même chose; quand on est dans la nécessité de dire ce que l'on fait, on abîme la moitié de son action.

Et pourtant, en même temps, cela vous aide à faire le point, à savoir exactement où vous en êtes.

C'était la sagesse du Bouddha quand il disait "le chemin du milieu", pas trop comme ceci, pas trop comme cela, pas tomber dans ceci, pas tomber dans cela — un peu de tout et un chemin équilibré... mais pur.

La pureté et la sincérité, c'est la même chose.

16 septembre 1964

 


1 Renoncement à la vie du monde et aux œuvres. (En arrière)

2 Roi de Mithilâ et père de Sîtâ, l'épouse de Rama. Il figure non seulement dans le Râmâyana, mais dans les Oupanishad. Il était célèbre pour sa connaissance spirituelle et sa réalisation divine bien qu'il menât la vie ordinaire du monde. (En arrière)

3 Sage errant qui va en jouant de la vînâ. Immortel comme les dieux dont il est le messager, il apparaît sur la terre quand il veut. On en parle dès le temps des Oupanishad. (En arrière)

4 Voir aphorismes 88 à 92. (En arrière)

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108 ( Quand il observait les actes de Janaka, Nârada lui-même, le sage ...)

108 — Quand il observait les actes de Janaka, Nârada lui-même, le sage divin, pensait que c'était un mondain adonné au luxe et un libertin. Si tu ne vois pas l'âme, comment peux-tu dire qu'un homme est libre ou esclave?

Cela soulève toutes sortes de questions. Par exemple, comment se fait-il que Nârada ne pouvait pas voir l'âme?

Pour moi, c'est très simple. Nârada était un demi-dieu, n'est-ce pas, il appartenait au monde surmental et il avait la possibilité de se matérialiser, et ces êtres-là n'ont pas de psychique. Les dieux n'ont pas en eux l'étincelle divine qui est le centre du psychique, puisque c'est seulement sur la terre (je ne parle même pas de l'univers matériel), seulement sur la terre qu'il y a eu cette Descente de l'Amour Divin qui a été à l'origine de la Présence divine au centre de la Matière. Et naturellement, comme ils n'ont pas d'être psychique, ils ne connaissent pas l'être psychique. Il y a même de ces Êtres qui ont voulu prendre un corps physique afin d'avoir l'expérience de l'être psychique — il n'y en a pas beaucoup.

Généralement, ils ne l'ont fait que partiellement, par une "émanation", mais pas une descente totale. On dit, par exemple, que Vivékânanda était une incarnation (une vibhoûti) de Shiva; mais Shiva lui-même a clairement exprimé la volonté de ne venir sur la terre qu'avec le monde supramental. Quand la terre sera prête pour la vie supramentale, il viendra. Et presque tous ces êtres se manifesteront — ils attendent ce moment, ils ne veulent pas de la lutte et de l'obscurité de maintenant.

Et certainement, Nârada faisait partie de ceux qui venaient ici... au fond, c'était par amusement! Il jouait beaucoup avec les circonstances. Mais il n'avait pas la connaissance de l'être psychique et cela devait l'empêcher de reconnaître l'être psychique là où il était.

Mais toutes ces choses ne peuvent pas s'expliquer : ce sont des notions, des expériences personnelles, ce n'est pas une connaissance suffisamment objective pour être enseignée. On ne peut rien dire d'un phénomène qui dépend d'une expérience personnelle et qui n'a d'autre valeur que pour celui qui a l'expérience.

Ce que Sri Aurobindo a dit était fondé sur l'érudition de la tradition de l'Inde et il disait ce qui concordait avec son expérience propre.

Pour voir l'âme, il faut donc soi-même connaître sa propre âme?

Oui, pour être en rapport avec l'âme, c'est-à-dire l'être psychique, il faut porter soi-même un être psychique, et il n'y a que les hommes — les hommes de l'évolution, ceux qui sont issus de la création terrestre — qui possèdent un être psychique.

Tous ces dieux n'ont pas d'être psychique, c'est seulement en descendant, en s'unissant à l'être psychique d'un homme, qu'ils peuvent en avoir, mais eux-mêmes n'en ont pas.

12 janvier 1965

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109 (Tout ce qui dépasse son niveau semble dur à l'homme, et...)

109 – Tout ce qui dépasse son niveau semble dur à l'homme, et c'est dur, en effet, pour son seul effort et sans aide; mais la même chose devient facile aussitôt, et simple, quand Dieu en l'homme prend le travail en main.

C'est parfait.

Justement, j'écrivais quelque chose il y a deux ou trois jours, en réponse à une question, et je disais à peu près ceci : Sri Aurobindo est le Seigneur, mais seulement une partie du Seigneur, pas le Seigneur dans Sa totalité, parce que le Seigneur est tout — tout ce qui est manifesté et tout ce qui n'est pas manifesté. Puis j'ai mis : il n'y a rien qui ne soit le Seigneur, rien — there is nothing —, il n'y a rien qui ne soit le Seigneur, mais très rares sont ceux qui sont conscients du Seigneur. Et c'est cette inconscience de la création qui constitue son Mensonge.

C'était tout d'un coup si évident : "Voilà! voilà!" Comment est venu le Mensonge? Mais c'est cela, c'est l'inconscience de la création qui constitue le Mensonge de la création. Et dès que la création redeviendra consciente d'être le Seigneur, le Mensonge cessera.

Et c'est cela, n'est-ce pas : tout est difficile, tout est laborieux, tout est pénible, tout est douloureux, parce que tout est fait en dehors de la conscience du Seigneur. Mais quand Il reprendra possession de Son domaine (ou plutôt qu'on Lui laissera reprendre possession de Son domaine) et que ce sera dans Sa conscience, avec Sa conscience que les choses seront faites, tout deviendra, non seulement facile, mais merveilleux, glorieux — et dans une joie inexprimable.

C'est venu comme une évidence. On dit : "Qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que l'on appelle le Mensonge? Pourquoi la création est-elle mensongère?" Ce n'est pas une illusion au sens où ce serait inexistant — c'est tout à fait existant, mais... ce n'est pas conscient de ce que c'est! Non seulement pas conscient de son origine, mais pas conscient de son essence, de sa vérité — ce n'est pas conscient de sa vérité. Et c'est pour cela que ça vit dans le Mensonge.

Cet aphorisme est magnifique. Il n'y a rien à dire, n'est-ce pas, ça dit tout.

3 mars 1965

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110 (Voir la composition du soleil ou les lignes de Mars est sans...)

110 — Voir la composition du soleil ou les lignes de Mars est sans doute un grand exploit, mais quand tu auras l'instrument qui te fera voir l'âme de l'homme comme tu vois un tableau, alors tu souriras des merveilles de la science physique comme d'un jouet pour les bébés.

C'est la continuation de ce que nous disions tout à l'heure à propos de ceux qui veulent "voir". Il paraît que Râmakrishna avait dit à Vivékânanda : "Vous pouvez voir le Seigneur comme vous me voyez et entendre Sa voix comme vous entendez ma voix." Il y a des gens qui ont pris cela pour une déclaration que le Seigneur était en chair et en os sur la terre. J'ai dit : "Non, ce n'est pas cela! Ce qu'il voulait dire, c'est que si vous entrez dans la vraie conscience, vous pouvez L'entendre (moi, je dis : entendre beaucoup plus clairement que l'on n'entend physiquement, et voir beaucoup plus clairement qu'on ne voit physiquement)." —"Ah! mais..." Tout de suite, on ouvre de grands yeux, cela devient quelque chose d'irréel!

Est-ce que les merveilles de la science physique te font sourire?

Les "merveilles", c'est très bien, c'est leur affaire. Mais c'est leur assurance outrecuidante qui me fait sourire. Ils s'imaginent qu'ils savent. Ils s'imaginent qu'ils ont la clef, c'est cela qui fait sourire. Ils s'imaginent qu'avec tout ce qu'ils ont appris, ils sont les maîtres de la Nature — c'est un enfantillage. Il y aura toujours quelque chose qui leur échappera tant qu'ils ne seront pas en rapport avec la Force créatrice et la Volonté créatrice.

C'est une expérience que l'on peut faire facilement. Un savant peut expliquer tous les phénomènes que l'on voit, il peut même se servir des forces physiques et leur faire faire ce qu'il veut, et ils sont arrivés à des résultats stupéfiants au point de vue matériel; mais si on leur pose seulement cette question, cette simple question : "Qu'est-ce que la mort?" au fond, ils n'en savent rien. Ils vous décrivent le phénomène tel qu'il se produit matériellement, mais, s'ils sont sincères, ils sont obligés de dire que cela n'explique rien.

Il y a toujours un moment où cela n'explique plus rien. Parce que savoir... savoir, c'est pouvoir.

(silence)

En définitive, ce qui est le plus accessible à la pensée matérialiste, la pensée scientifique, c'est le fait qu'ils ne peuvent pas prévoir. Ils prévoient beaucoup de choses, mais le déroulement des événements terrestres est au-delà de leurs prévisions. Je crois que c'est la seule chose qu'ils peuvent admettre — il y a un aléatoire, il y a un champ d'imprévu qui échappe à tous leurs calculs.

Je n'ai jamais parlé avec le savant type ayant la connaissance la plus moderne, alors je ne suis pas tout à fait sûre, je ne sais pas dans quelle mesure ils admettent un imprévu ou un incalculable.

Ce que Sri Aurobindo veut dire, je crois, c'est que quand on est en communion avec l'âme et que l'on a la connaissance de l'âme, c'est une connaissance tellement plus merveilleuse que la connaissance matérielle, que c'est presque un sourire de dédain. Je ne pense pas qu'il veuille dire que la connaissance de l'âme vous apprenne sur la vie matérielle des choses que l'on n'apprend pas avec la science.

Le seul point (je ne sais pas si la science y est arrivée), c'est l'imprévisible de l'avenir. Mais il se peut qu'ils disent que c'est parce qu'ils ne sont pas encore arrivés à la perfection des instruments et des méthodes. Par exemple, ils pensent peut-être qu'au moment où l'homme a fait son apparition sur la terre, s'ils avaient eu les instruments qu'ils ont maintenant, ils auraient été capables de prévoir la transformation de l'animal en homme ou l'apparition de l'homme à la suite de "quelque chose" dans l'animal —je ne suis pas au courant (Mère sourit) de leurs prétentions les plus modernes. En ce cas, ils devraient être capables de mesurer ou de percevoir la différence de l'atmosphère, maintenant, avec l'intrusion de quelque chose qui n'y était pas, parce que cela appartient encore au domaine matériel.1 Mais je ne pense pas que ce soit cela que Sri Aurobindo voulait dire; je crois qu'il voulait dire que le monde de l'âme et les réalités intérieures sont tellement plus merveilleuses que les réalités physiques, que toutes les "merveilles" physiques vous font sourire — c'est plutôt cela.

Mais la clef dont tu parles, cette clef qu'ils n'ont pas, est-ce que ce n'est pas justement l'âme? Un pouvoir de l'âme sur la matière, de changer la matière — de faire aussi des merveilles physiques. L'âme n'a-t-elle pas ce pouvoir?

Elle a ce pouvoir et elle l'exerce constamment, mais la conscience humaine n'en est pas consciente; et la grande différence, c'est qu'elle devient consciente. Mais elle devient consciente de quelque chose qui est toujours là! Et que les autres nient parce qu'ils ne l'aperçoivent pas.

Par exemple, j'ai eu l'occasion d'étudier cela. Pour moi, les circonstances, les caractères, tous les événements et tous les êtres se meuvent selon certaines "lois", si l'on peut dire, qui ne sont pas rigides mais que je perçois et qui font que je vois : ceci mènera à cela, et cela mènera là, et celui-ci étant comme cela, il lui arrivera cela. C'est de plus en plus précis. Je pourrais, si c'était nécessaire, faire des prédictions à cause de cela. Mais cette relation de cause à effet dans ce domaine-là, pour moi, est tout à fait évidente et corroborée par les faits — pour eux, qui n'ont pas cette vision et cette conscience de l'âme, comme dit Sri Aurobindo, les circonstances se déroulent selon d'autres lois, superficielles, qu'ils considèrent comme les conséquences naturelles des choses — des lois tout à fait superficielles et qui ne résistent pas à l'analyse profonde; mais ils n'ont pas la capacité intérieure, par conséquent cela ne les gêne pas, cela leur paraît évident.

Je veux dire que cette connaissance intérieure n'a pas le pouvoir de les convaincre. Si bien que quand moi, à propos d'un événement quelconque, je vois : "Oh! mais c'est tout à fait (pour moi), tout à fait évident : j'ai vu la Force du Seigneur agir là, j'ai vu telle chose se produire, et tout naturellement c'est cela qui doit arriver" — pour moi, c'est de toute évidence; mais je ne dis pas ce que je sais, parce que cela ne correspond à rien dans leur expérience; ça leur paraîtrait des divagations ou des prétentions. C'est-à-dire que quand on n'a pas soi-même l'expérience, l'expérience d'un autre n'est pas convaincante, elle ne peut pas convaincre.

Le pouvoir n'est pas tant d'agir sur la matière — c'est une chose qui se produit constamment —, mais (à moins que l'on n'use de moyens hypnotiques qui ne valent rien, qui ne mènent à rien) c'est d'ouvrir la compréhension (geste de percée au sommet du crâne) c'est cela qui est si difficile... La chose dont on n'a pas l'expérience est inexistante.

Même si, devant eux, une espèce de miracle se produisait, ils en auraient l'explication matérielle, ce ne serait pas, pour eux, un miracle, au sens d'une intervention d'une autre force et d'une autre puissance que les forces et les puissances matérielles. Pour eux, ils auraient leur explication matérielle, ce ne serait pas convaincant.

On ne peut comprendre que si, soi-même, on a touché ce domaine dans son expérience.

Et on voit bien — on voit bien : c'est dans la mesure où quelque chose est éveillé qu'il y a une possibilité de compréhension. C'est là-dessus que l'on s'appuie, c'est la base.

En somme, il ne s'agirait peut-être pas tellement d'une "transformation de la matière" que d'une prise de conscience du vrai déroulement.

C'est justement ce que je veux dire. La transformation peut avoir lieu jusqu'à un certain point sans même que l'on en soit conscient.

On dit, n'est-ce pas, qu'il y a une grande différence : quand l'homme est venu, l'animal n'avait pas les moyens de s'en apercevoir. Eh bien, je dis que c'est exactement la même chose; en dépit de tout ce que l'homme a réalisé, l'homme n'a pas le moyen — certaines choses peuvent se produire, il ne le saura que beaucoup plus tard, quand "quelque chose" en lui sera suffisamment développé pour qu'il s'en aperçoive.

Même le développement scientifique poussé à l'extrême, là où, vraiment, on a l'impression qu'il n'y a presque plus de différence, quand ils sont arrivés à cette unité de la substance, par exemple, et qu'il semble qu'il n'y ait plus qu'un passage, presque insensible ou imperceptible, entre une condition et l'autre (matérielle et spirituelle), eh bien, non, ce n'est pas comme cela. Pour percevoir cette sorte d'unité, il faut déjà porter en soi l'expérience de Vautre chose, autrement on ne peut pas.

Et justement, parce qu'ils ont acquis la capacité d'expliquer", ils expliquent, pour eux-mêmes, les phénomènes extérieurs de telle façon qu'ils restent dans leur négation de la réalité des phénomènes intérieurs—ils disent que ce sont comme des continuations de ce qu'ils ont étudié.

Seulement, à cause même de sa constitution, parce qu'il n'y a pour ainsi dire pas d'être humain qui n'ait au moins la réflexion ou l'ombre, ou le commencement d'une relation avec son être subtil, son être interne, son "âme", à cause de cela il y a toujours une faille dans leur négation. Mais ils considèrent cela comme une faiblesse — c'est leur seule force.

(silence)

C'est vraiment quand on a l'expérience — l'expérience et la connaissance et l'identité avec les forces supérieures — que l'on voit la relativité des connaissances extérieures; mais jusque-là, non, on ne peut pas, on nie les autres réalités.

Je pense que c'est cela que Sri Aurobindo voulait dire; c'est seulement quand l'autre conscience sera développée que le savant sourira — il dira : "Oui, c'était très bien, mais..."

Au fond, l'un ne peut pas mener à l'autre — excepté par un phénomène de grâce; s'il y a intérieurement une sincérité absolue qui fait que le savant voit, a la prescience, la perception du point où cela lui échappe, alors cela peut le mener à l'autre état de conscience, mais pas par ses procédés. Il faut... il faut que quelque chose abdique et accepte les moyens nouveaux, les perceptions nouvelles, la vibration nouvelle, l'état d'âme nouveau.

Alors, c'est une question individuelle. Ce n'est pas une question de classe ou de catégorie — c'est le savant qui est prêt à être... autre chose.

(silence)

On peut seulement poser une affirmation : tout ce que vous savez, si beau que ce soit, n'est rien en comparaison de ce que vous pouvez savoir si vous pouvez employer les autres méthodes. Voilà.

(silence)

C'était tout l'objet de mon travail ces temps derniers : comment toucher ce refus de savoir?... Il y a long-temps que c'est là. Et c'est la continuation de ce que Sri Aurobindo disait dans l'une de ses lettres : il dit que l'Inde avec ses méthodes a fait beaucoup plus pour la vie spirituelle que l'Europe avec tous ses doutes et ses questions. C'est tout à fait cela. C'est une espèce de refus — un refus d'accepter une certaine méthode de savoir qui n'est pas la méthode purement matérielle, et la négation de l'expérience, de la réalité de l'expérience. Comment les convaincre de cela?... Et alors, il y a la méthode de Kâlî, qui est de flanquer une bonne tripotée. Mais c'est beaucoup de dégâts pour peu de résultats, selon moi.

C'est encore un grand problème.

Il semble que la seule méthode qui puisse avoir raison de toutes les résistances soit la méthode de l'Amour; mais justement, les forces adverses ont perverti cela de telle façon qu'une quantité de gens très sincères, de chercheurs sincères, sont comme cuirassés contre cette méthode, à cause de sa déformation. C'est cela, la difficulté. C'est pour cela que ça prend du temps. Enfin....

29 mai 1965

 


1 Le disciple ayant demandé à Mère si ce "quelque chose" était bien la force supramentale. Mère répondit ceci : "J'aime mieux ne pas le nommer, parce que l'on en fera un dogme. C'est ce qui s'est passé quand il y a eu ce que l'on a appelé la "première manifestation supramentale", en 56. J'ai essayé de mon mieux que l'on n'en fasse pas un dogme. Mais si je dis : "À telle date, telle chose s'est passée", ce sera écrit en gros caractères, puis, si quelqu'un dit autre chose, on lui déclarera : "Vous êtes un hérétique." Alors je ne veux pas. Mais il est incontestable que l'atmosphère a changé : il y a quelque chose de nouveau dans l'atmosphère —on peut appeler cela la "descente de la vérité supramentale", parce que, pour nous, ces mots ont un sens, mais je ne veux pas en faire une déclaration, parce que je ne veux pas que ce soit la façon classique ou "vraie" de dire l'événement. C'est pourquoi je laisse ma phrase dans le vague, exprès." (En arrière)

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111.-112. (La connaissance est comme un enfant avec ses exploits;...)

111 — La connaissance est comme un enfant avec ses exploits; dès qu'elle a découvert quelque chose, elle court les rues ça et là, criant et s'exclamant; la Sagesse cache les siens longtemps dans un silence pensif et puissant.

112 — La science pérore et se conduit comme si elle avait conquis toute la connaissance. La Sagesse chemine, et elle entend l'écho de son pas solitaire au bord des océans immenses.

Le silence... oh! il vaut mieux le pratiquer que d'en parler.

C'est une expérience que j'ai eue ici, il y a longtemps : la différence entre vouloir répandre et utiliser ce que l'on a appris, immédiatement, et puis le contact avec les connaissances supérieures où l'on reste aussi tranquille que l'on peut pour que cela ait un effet transformateur. J'en ai eu l'expérience vivante — une demi-journée d'expérience vivante —, mais maintenant cela me paraît vieux, vieux, loin derrière.

Quel est le pouvoir de ce Silence? Quand on monte au-dessus, on entre dans une espèce de grand silence, qui est gelé, qui est partout, mais quel est le pouvoir de ce Silence? Est-ce que cela fait quelque chose?

C'est ce que les gens cherchaient autrefois quand ils voulaient sortir de la vie. Ils se mettaient en transe, ils laissaient leur corps immobile, et puis ils entraient là-dedans, et puis ils étaient parfaitement heureux. Et les sannyâsins qui se faisaient enterrer vivants, c'était comme cela. Ils disaient : "Maintenant, j'ai fini mon travail (ils faisaient de belles phrases), j'ai fini, j'entre en samâdhi", et ils se faisaient enterrer vivants. Ils entraient dans une chambre, ou n'importe, puis on fermait, et puis c'était fini. Et c'est ce qui arrivait : ils entraient en transe, et leur corps, au bout d'un certain temps, naturellement se dissolvait, et eux, ils étaient dans la Paix.

Mais Sri Aurobindo dit que ce Silence est puissant.

Puissant, oui.

NEh bien, je voudrais savoir comment il est puissant, justement? Parce qu'on a l'impression que l' on pourrait rester là-dedans une éternité...

Pas une éternité — l'Éternité.

... sans que ça change rien.

Non, parce que ce n'est pas manifesté, c'est en dehors de la Manifestation. Mais ce que Sri Aurobindo veut, c'est qu'on le fasse descendre ici. C'est ça, c'est ça la difficulté. Et il faut accepter l'infirmité et l'apparence même de l'imbécillité, tout, et il n'y a pas un être sur cinquante millions qui ait le courage de cela.

Il y a des millions de manières de s'enfuir. Il n'y en a qu'une de rester, c'est vraiment d'avoir du courage et de l'endurance, d'accepter toutes les apparences de l'infirmité, les apparences de l'impuissance, les apparences de l'incompréhension, l'apparence, oui, d'une négation de la Vérité. Mais si l'on n'accepte pas, ce ne sera jamais changé. Ceux qui veulent rester grands, lumineux, forts, puissants, et patati-patata, eh bien, qu'ils restent là-bas, ils ne peuvent rien faire pour la terre.

Et cette incompréhension est une toute petite chose (une toute petite chose parce que la conscience est suffisante pour ne pas en être le moins du monde affectée), mais c'est une incompréhension générale et totale ! C'est-à-dire que l'on reçoit des insultes, des expressions de mépris et tout, justement à cause de ce que l'on fait, parce que, selon eux (toutes les "grandes intelligences" de la terre) on a renoncé à sa divinité. Ils ne le disent pas comme cela, ils disent : "Quoi? vous prétendez avoir une conscience divine, et puis..." Et on retrouve cela dans tous les gens et toutes les circonstances. De temps en temps, quelqu'un pour un instant a un éclair, mais c'est tout à fait exceptionnel, tandis que : "Eh bien, montrez votre pouvoir", c'est partout.

Pour eux, le Divin sur terre doit être tout-puissant, évidemment.

C'est cela : "Montrez votre pouvoir, changez le monde. Et pour commencer, faites ce que je veux." N'est-ce pas, la première chose la plus importante, c'est de faire ce que je veux. "Montrez votre pouvoir!" Voilà ce qu'ils disent constamment.

25 septembre 1965

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117-121 ("Il n'est pas vrai qu'il y ait eu un temps ou Je n'étais point, ni toi ...)

117 — "Il n'est pas vrai qu'il y ait eu un temps ou Je n'étais point, ni toi ni ces rois; il n'est pas vrai non plus qu'aucun de nous doive jamais cesser d'être." Non seulement le Brahman est éternel, mais les êtres et les choses dans le Brahman sont éternels; leur création et leur destruction sont un jeu de cache-cache avec notre conscience extérieure.

118 — L'amour de la solitude est le signe d'une disposition à la connaissance; mais on ne parvient à la connaissance que quand on perçoit la solitude invariablement et partout, dans la foule et dans la bataille, et sur la place du marché.

119 — Si tu peux percevoir que tu ne fais rien, alors même que tu accomplis de grandes actions et que tu mets en mouvement des résultats formidables, sache que Dieu a retiré son sceau de tes paupières.

120 — Si tu peux percevoir que tu conduis des révolutions, alors même que tu es assis tout seul, immobile et sans paroles au sommet de la montagne, tu as la vision divine et tu es libre des apparences.

121 —L'amour de l'inaction est sottise, et sottise le mépris de l'inaction — il n'y a pas d'inaction. La pierre inerte sur le sable, que tu envoies promener d'un coup de pied distrait, a produit son effet sur les hémisphères.

C'est l'expérience que j'ai eue ces jours-ci, hier ou avant-hier. Le sentiment d'une Puissance irrésistible qui gouverne tout : le monde, les choses, les gens, tout, tout, sans que l'on ait besoin de bouger matériellement, et que cette suractivité matérielle est seulement comme l'écume qui se forme quand l'eau court très vite — l'écume de la surface —, mais que la Force court dessous comme un flot tout-puissant.

Il n'y a rien d'autre à dire.

On en revient toujours à cela : savoir, ça va bien; dire, c'est bon; faire, c'est bien; mais être, c'est la seule chose qui ait du pouvoir.

N'est-ce pas, les gens sont à s'agiter parce que cela ne va "pas vite"; alors j'avais cette vision de la formation, de la création divine qui se fait, en dessous, toute-puissante, irrésistible, et en dépit de tout, tout ce brouhaha extérieur.

Mais ce grand courant de Puissance, pour s'exprimer, il a besoin d'instruments?

Un cerveau.

Mais justement, pas seulement d'un cerveau. Cette Puissance peut s'exprimer, comme dans le passé, d'une façon mentale ou surmentale ; elle peut s'exprimer vitalement par la force ; elle peut s'exprimer par des muscles ; mais comment peut-elle s'exprimer physiquement, purement, directement (parce que tu parles souvent du "pouvoir matériel") ? Quelle différence y a-t-il entre l'Action là-haut et l'Action vraie ici?

Chaque fois que j'ai été consciente du Pouvoir, l'expérience a été similaire. La Volonté d'en haut se traduit par une vibration, qui certainement se revêt de puissance vitale, mais agit dans un physique subtil. On a la perception d'une certaine qualité de vibration, qu'il est difficile de décrire mais qui donne l'impression d'une chose coagulée (pas morcelée), quelque chose qui semble plus dense que l'air, qui est extrêmement homogène, d'une luminosité dorée, avec une puissance de propulsion formidable, et qui exprime une certaine volonté (qui n'a pas la nature de la volonté humaine, qui a plutôt la nature de la vision que celle de la pensée; c'est comme une vision qui s'impose pour être réalisée) dans un domaine très proche de la Matière matérielle, mais invisible, excepté pour la vision intérieure; et ça, cette Vibration-là, exerce une pression sur les gens, les choses, les circonstances, pour les mouler selon sa vision. Et c'est irrésistible. Même les gens qui pensent le contraire, qui veulent le contraire, font ce qui est voulu sans le vouloir; même les choses qui s'opposent par leur nature même sont retournées.

Pour les événements nationaux, les rapports entre les nations, les circonstances terrestres, ça agit comme cela, constamment, constamment, comme une Puissance formidable. Et alors, si l'on est soi-même en état d'union avec la Volonté divine, sans intervention de la pensée et de toutes les conceptions ou les idées, on suit, on voit et on sait 1

Les résistances de l'inertie dans les consciences et dans la Matière font que cette Action, au lieu d'être directe et parfaitement harmonieuse, devient confuse, pleine de contradictions, de chocs et de conflits; au lieu que tout s'arrange, on pourrait dire "normalement", sans heurts (comme cela devrait être), toute cette inertie qui résiste, qui s'oppose, fait que cela commence à avoir un mouvement entremêlé où les choses s'entrechoquent et où il y a des désordres et des destructions, qui ne sont rendus nécessaires que par la résistance, mais qui n'étaient pas indispensables, qui auraient pu ne pas être — qui n'auraient pas dû être, pour dire la vérité. Parce que cette Volonté, ce Pouvoir, est un Pouvoir de parfaite harmonie, où chaque chose est à sa place, et il organise merveilleusement : ça vient comme une organisation absolument lumineuse et parfaite, que l'on peut voir quand on a la vision, mais quand ça descend et que ça presse sur la Matière, tout commence à bouillonner et à résister. Par conséquent, vouloir imputer à l'Action divine, au Pouvoir divin, les désordres et les confusions et les destructions, c'est encore une sornette humaine. C'est l'inertie (sans parler de la mauvaise volonté), l'inertie qui produit la catastrophe. Ce n'est pas que la catastrophe soit voulue, ce n'est même pas qu'elle soit prévue : elle est produite par la résistance.

Et alors, s'ajoute à cela la vision de l'action de la Grâce, qui vient atténuer les résultats partout où c'est possible, c'est-à-dire partout où elle est acceptée. Et c'est cela qui explique que l'aspiration, la foi, la confiance totale de l'élément terrestre, humain, ont un pouvoir d'harmonisation, parce qu'elles permettent à la Grâce de venir réparer les conséquences de la résistance aveugle.

C'est une vision claire, claire, même claire dans les détails.

On pourrait, si l'on voulait, prophétiser en disant ce qui est vu. Mais il y a une sorte de super-compassion qui empêche cette prophétie, parce que la Parole de Vérité a un pouvoir de manifestation, et que d'exprimer le résultat de la résistance concrétiserait cet état et diminuerait l'action de la Grâce. Et c'est pourquoi, même quand on voit, on ne peut pas dire, on ne doit pas dire.

Mais certainement, Sri Aurobindo voulait dire que c'est ce Pouvoir ou cette Force qui fait tout — qui fait tout. Quand on la voit ou que l'on est un avec elle, en même temps on sait, et on sait que ça, c'est vraiment la seule chose qui agit et qui crée; le reste, c'est le résultat du domaine ou du monde ou de la matière ou de la substance dans laquelle ça agit — c'est le résultat de la résistance, mais ce n'est pas l'Action. Et s'unir avec ça veut dire que l'on s'unit avec l'Action; s'unir avec ce qui est en bas veut dire que l'on s'unit avec la résistance.

Et alors, parce que ça frétille, ça bouge, ça s'agite, ça veut, ça pense, ça fait des plans... ça s'imagine que ça fait quelque chose — ça résiste.

Plus tard (un peu plus tard) je pourrai donner des exemples pour de toutes petites choses, montrant comment la Force agit et ce qui intervient et qui se mélange, ou qui est mû par cette Force et qui déforme son mouvement, et le résultat, c'est-à-dire l'apparence physique telle que nous la voyons. Même un exemple pour une toute petite chose absolument sans importance mondiale donne une claire notion de la façon dont tout se produit et se déforme ici.

Et c'est pour tout, pour tout, tout le temps, tout le temps. Et alors, quand on fait le yoga des cellules, on s'aperçoit que c'est la même chose: il y a la Force qui agit, et puis (Mère rit) ce que le corps fait de cette Action !...

(silence)

Tout de suite vient le pourquoi et le comment. Mais c'est du domaine des curiosités mentales, parce que le fait important, c'est de faire cesser la résistance. Ça, c'est la chose importante, c'est de faire cesser la résistance afin que l'univers devienne ce qu'il doit être : l'expression d'une puissance harmonieuse, lumineuse, merveilleuse, d'une beauté sans pareille. Après, quand la résistance aura cessé, si par curiosité on veut savoir pourquoi elle s'est produite... cela n'aura plus d'importance. Mais maintenant, ce n'est pas en cherchant le pourquoi que l'on peut amener le remède, c'est en prenant la position véritable. C'est la seule chose qui importe.

Faire cesser la résistance par l'abandon total, le don de soi total, dans toutes les cellules si l'on peut le faire.

Elles commencent à avoir cette joie intense de ne plus être que par le Seigneur, pour le Seigneur, dans le Seigneur.

Quand ce sera établi partout, ce sera bien. .

6 juillet 1966

 


1 Il est intéressant de noter que, peu avant cette conversation, Mère avait reçu la question suivante :

La présence et l'intervention des Américains au Vietnam sont-elles justifiables?

À quoi Mère avait répondu :

À quel point de vue poses-tu cette question?

Si c'est au point de vue politique — la politique est en plein mensonge et je ne m'en occupe pas.

Si c'est au point de vue moral — la morale est le bouclier que les hommes ordinaires brandissent pour se protéger de la Vérité.

Si c'est au point de vue spirituel — seule la Volonté Divine est justifiable et c'est Elle que les hommes travestissent et déforment dans toutes leurs actions. (En arrière)

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122-124 (Si tu ne veux pas être le jouet des opinions, vois d'abord en quoi ...)

122 — Si tu ne veux pas être le jouet des opinions, vois d'abord en quoi ta pensée est vraie, puis étudie en quoi son contraire est vrai; enfin découvre la cause de ces différences et la clef de l'harmonie de Dieu.

122 — Si tu ne veux pas être le jouet des opinions, vois d'abord en quoi ta pensée est vraie, puis étudie en quoi son contraire est vrai; enfin découvre la cause de ces différences et la clef de l'harmonie de Dieu.

124 — Sers-toi des opinions dans la vie, mais ne les laisse pas enchaîner ton âme dans leurs fers.

(après un silence)

J'étais en train d'essayer de trouver en quoi les opinions étaient utiles... Sri Aurobindo dit qu'elles sont "utiles ou inutiles" — en quoi une opinion peut-elle être utile?

Elles aident momentanément dans l'action.

Non, c'est justement cela que je déplore; les gens agissent d'après leur opinion, et ça n'a aucune valeur. Tout le temps, je reçois des lettres de gens qui veulent ou ne veulent pas faire quelque chose et qui me disent : "C'est mon opinion, ceci est vrai, cela ne l'est pas", et toujours, plus de quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, c'est faux, c'est une sottise.

On a l'impression très claire — enfin, c'est visible — que l'opinion opposée a autant de valeur, que c'est simplement une question d'attitude, c'est tout. Et naturellement, il s'y mêle toujours les préférences de l'ego : on aime mieux que ce soit comme cela, alors on a l'opinion que c'est comme cela.

Mais tant que l'on n'a pas la lumière supérieure pour agir, on a besoin de se servir des opinions.

Il vaudrait mieux avoir une sagesse qu'une opinion, c'est-à-dire, justement, considérer toutes les possibilités, tous les aspects de la question, et alors essayer d'être aussi peu égoïste que possible et voir, par exemple, pour une action, celle qui peut être utile au plus grand nombre de gens ou qui démolit le moins de choses, qui est la plus constructrice. Enfin, même en se plaçant à un point de vue qui n'est pas spirituel, qui est seulement utilitaire et non égoïste, il vaut mieux agir selon la sagesse que selon son opinion.

Oui, mais quelle serait la bonne façon de procéder quand on n'a pas la lumière, sans y mêler son opinion ou son ego ?

Je crois que c'est de considérer tous les aspects du problème, de les mettre d'une façon aussi désintéressée que possible devant sa conscience et de voir ce qui est le meilleur (si c'est possible) ou ce qui est le moins mauvais si cela a des conséquences fâcheuses.

Je voulais demander quelle est la meilleure attitude? Est-ce une attitude d'intervention ou une attitude de laisser-faire ? Quel est le meilleur?

Ah! justement, pour intervenir il faut être sûr que l'on a raison; il faut être sûr que votre vision des choses est supérieure, préférable ou plus vraie que celle des autres ou de l'autre. Ça, il est toujours plus sage de ne pas intervenir — les gens interviennent sans rime ni raison, simplement parce qu'ils ont l'habitude de donner leur opinion aux autres.

Même lorsqu'on a la vision de la vraie chose, il est rarement sage d'intervenir. Cela ne devient indispensable que si quelqu'un veut faire quelque chose qui, nécessairement, se terminera par une catastrophe. Et même là, l'intervention (souriant) n'est pas toujours très efficace.

Au fond, il n'est légitime d'intervenir que lorsqu'on est absolument sûr d'avoir la vision de vérité. Non seulement cela, mais aussi la vision claire des conséquences. Pour intervenir dans les actions d'un autre, il faut être un prophète — un prophète. Et un prophète avec une bienveillance et une compassion totales. Il faut même avoir la vision de la conséquence qu'aura l'intervention dans la destinée de l'autre. Les gens sont tout le temps à se donner des conseils : "Fais ceci, ne fais pas cela"; je vois, ils n'imaginent pas à quel point ils créent une confusion, ils augmentent la confusion, le désordre. Et quelquefois ils nuisent au développement normal de l'individu.

Je considère que les opinions sont des choses toujours dangereuses et, la plupart du temps, absolument sans valeur.

On ne devrait se mêler des affaires d'autrui que, d'abord, si l'on est infiniment plus sage que l'autre —naturellement, on se croit toujours plus sage !... mais je veux dire d'une façon objective et non selon sa propre opinion—, si l'on voit plus, mieux, et si l'on est soi-même en dehors des passions, des désirs, des réactions aveugles. Il faut être soi-même au-dessus de toutes ces choses pour avoir le droit d'intervenir dans la vie d'un autre — même quand il vous le demande. Et quand il ne vous le demande pas, c'est simplement se mêler de ce qui ne vous regarde pas.

(Mère entre dans une longue contemplation, puis reprend)

Je viens de voir une drôle d'image! C'était comme le versant d'une montagne, très abrupte, et quelqu'un (comme le symbole de l'homme) qui grimpait. Un être... c'est curieux, j'ai vu cela plusieurs fois, des êtres qui sont sans vêtements et qui ne sont pas nus! C'est-à-dire qu'ils ont une espèce de vêtement de lumière. Mais cela ne donne pas l'impression d'une lumière qui irradie ni rien de ce genre. C'est comme une atmosphère. Ce serait plutôt l'aura, l'aura devenue visible; alors cette transparence ne cache pas la forme, et en même temps la forme n'est pas nue... Et alors, du ciel — il y avait un grand ciel qui allait d'en bas jusqu'en haut (c'était comme un tableau), un ciel très clair, très lumineux, très pur — il y avait d'innombrables... des centaines de choses comme des oiseaux qui volaient vers lui et il les attirait d'un geste. Et c'était généralement bleu pâle, blanc; de temps en temps, il y avait comme un bout d'aile ou comme un haut de crête un petit peu sombre, mais c'était accidentel. Et ça venait et ça venait par centaines, et il les rassemblait d'un geste, puis il les envoyait sur la terre (il était debout sur une pente abrupte), il les envoyait en bas, dans la vallée. Et alors, là ça devenait... (Mère rit) c'étaient des opinions! Ça devenait des opinions! Il y en avait des foncées, des claires, des brunes, des bleues...

C'étaient comme des espèces d'oiseaux qui s'en allaient vers la terre, comme ça. Mais c'était une image — ce n'était pas une image puisque ça bougeait. C'était très amusant.

Et il a dit : "Voilà comment se forment les opinions." Ça venait du ciel, un ciel immense, immense et lumineux, clair, qui n'était ni bleu ni blanc ni rosé ni... c'était lumineux, c'était simplement lumineux; et de ce ciel, c'était par... je dis centaines, c'était par milliers qu'ils arrivaient, et lui il était là et il recevait ça, puis il faisait un mouvement des mains et il les envoyait sur la terre, et... ça devenait des opinions! Je crois que j'ai commencé à rire, ça m'a amusée.

C'est curieux.

Et il y avait tout ça qui descendait, qui descendait — le bas, on ne le voyait pas —, ça descendait.

Bon. Alors il se peut que les opinions viennent d'un ciel de lumière! (Mère rit)

Au fond, c'est beaucoup plus expressif par des images que par des mots.

14 septembre 1966

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