Supramental
Published on Supramental (https://mother.supramental.hu)

Accueil > ÉDUCATION > Première Partie

Première Partie

ARTICLES

 

  • Identifiez-vous pour poster des commentaires
  • Magyar
  • English
Français

Les Quatre Austérités et Les Quatre Libérations 1

 Pour suivre l'éducation intégrale qui mène à la réalisation supramentale, quatre austérités sont nécessaires et quatre libérations aussi.

Généralement on confond austérité avec mortification, et, quand on parle d'austérités, cela fait penser à la discipline de l'ascète qui, pour éviter la tâche ardue de la spiritualisation de la vie physique, vitale et mentale, la déclare intransformable et la rejette loin de lui, sans merci, comme un objet encombrant et ; inutile, un esclavage et une entrave à tout progrès spirituel ; en  tout cas, comme quelque chose d'incorrigible, un poids qu'il faut porter plus ou moins allègrement jusqu'à ce que la nature, ou la Grâce divine vous en libère par la mort. Au mieux, la vie terrestre est un champ de progrès dont il faut profiter le mieux qu'on peut, afin d'atteindre le plus tôt possible le degré de perfection qui mettra fin à l'épreuve en la rendant inutile.

Pour nous le problème est tout différent. La vie terrestre n'est pas un passage, ni un moyen ; elle doit devenir par la transformation, un but et une réalisation. Quand donc nous parlons d'austérités, ce n'est pas par mépris du corps, pour nous . détacher de lui, mais par nécessité de contrôle et de maîtrise.  Car il y a une austérité bien plus grande, plus complète et plus difficile que toutes les austérités ascétiques, c'est l'austérité nécessaire à la transformation intégrale, la quadruple austérité préparant l'individu pour la manifestation de la vérité supramentale. Par exemple, on peut dire qu'il y a peu d'austérités aussi sévères que celles exigées par la culture physique en vue du perfectionnement corporel. Mais nous reviendrons sur ce point en temps voulu.

Avant d'aborder la description des quatre genres d'austérités requises, il est nécessaire d'éclaircir une question qui est la source de bien des malentendus et des confusions dans l'esprit de la plupart des gens ; c'est celle des pratiques ascétiques qu'ils méprennent pour des disciplines spirituelles. Ces pratiques, qui consistent à maltraiter le corps afin, disent-ils, d'en libérer l'esprit, sont, en fait, une déformation sensuelle de la discipline spirituelle ; c'est une sorte de besoin pervers de la souffrance qui pousse l'ascète aux macérations. L'emploi de la planche à clous du "sâdhou" ou des verges et du cilice de l'anachorète chrétien, est l'effet d'un sadisme plus ou moins voilé, inavouable et inavoué ; c'est la recherche maladive ou le besoin subconscient de sensations violentes. En vérité, ces choses sont fort loin de toute vie spirituelle ; car elles sont laides et basses, sombres et malsaines ; et la vie spirituelle, tout au contraire, est une vie de lumière, d'équilibre, de beauté et de joie. Elles sont inventées et préconisées par une sorte de cruauté mentale et vitale s'exerçant sur le corps. Mais la cruauté, même à l'égard de son propre corps, n'en est pas moins de la cruauté ; et toute cruauté est le signe d'une grande inconscience. Les natures inconscientes ont besoin de sensations très fortes, car, sans cela, elles ne sentent rien ; et la cruauté, qui est une des formes du sadisme, procure des sensations très fortes. La raison avouée de semblables pratiques est d'abolir toute sensation, afin que le corps ne fasse plus obstacle à l'élan vers l'esprit ; on peut douter de l'efficacité d'un tel moyen. C'est un fait reconnu que pour progresser rapidement, il ne faut pas craindre les difficultés ; au contraire, c'est en choisissant à chaque occasion de faire la chose difficile que l'on augmente sa volonté et que l'on fortifie ses nerfs. Or, il est beaucoup plus difficile de vivre avec mesure et équilibre, dans l'égalité d'âme et la sérénité, que de vouloir lutter contre les abus de la jouissance et leurs conséquences obscurcissantes, par les abus de l'ascétisme et de leurs conséquences dissolvantes. Il est beaucoup plus difficile d'obtenir de son être physique un développement harmonieux et progressif dans le calme et la simplicité, que de le maltraiter au point de le réduire à néant. Il est beaucoup plus difficile de mener une existence sobre et sans désir que de priver son corps de la nourriture et de la propreté indispensables en se glorifiant orgueilleusement de son abstinence. Il est beaucoup plus difficile d'éviter ou de surmonter et de vaincre la maladie par l'harmonie, la pureté et l'équilibre intérieurs et extérieurs, que de la mépriser, de l'ignorer et de la laisser libre de faire son œuvre de destruction. Et le plus difficile de tout est de toujours maintenir sa conscience au sommet de sa capacité, sans jamais permettre à son corps d'agir sous l'effet d'une impulsion inférieure.

C'est dans ce but que nous aurons recours aux quatre austérités qui auront pour résultat en nous quatre libérations. La pratique de ces austérités constituera quatre disciplines ou "tapasyâs", qui peuvent être définies comme suit :

1  —  tapasyâ de l'amour
2  —  tapasyâ de la connaissance
3  —  tapasyâ du pouvoir
4  —  tapasyâ de la beauté

Cet énoncé est, pour ainsi dire, fait de haut en bas ; mais il ne faut pas prendre ces termes dans le sens de supérieur et d'inférieur, ni de plus ou moins difficile, ni dans l'ordre où ces disciplines peuvent et doivent être pratiquées. L'ordre, l'importance, la difficulté varient suivant les individus et nulle règle absolue ne peut être formulée. Chacun doit trouver et élaborer son propre système, d'après ses capacités et ses besoins personnels.

Il ne sera donc exprimé, ici, qu'une vue d'ensemble exposant un procédé idéal aussi complet que possible. Chacun aura ensuite à en appliquer ce qu'il pourra et de la meilleure façon qu'il le pourra.

La tapasyâ ou discipline de la beauté nous conduira par l'austérité de l'existence physique à la liberté dans l'action. Son programme de base sera la construction d'un corps beau dans ses formes, harmonieux dans ses postures, souple et agile dans ses mouvements, fort dans ses activités, résistant dans son fonctionnement organique et sa santé.

Pour obtenir ces résultats il sera bon, d'une façon générale, de se servir des habitudes comme aides dans l'organisation matérielle,  car le corps fonctionne plus facilement dans le cadre d'une routine régulière. Mais il faut savoir ne pas devenir l'esclave de ses habitudes, quelque bonnes qu'elles puissent être ; il faut garder la plus grande souplesse pour pouvoir en changer chaque fois que cela devient nécessaire.

On doit se construire des nerfs d'acier dans des muscles élastiques et puissants pour pouvoir tout endurer lorsque c'est indispensable. Mais en même temps, il faut prendre grand soin de ne demander à son corps que l'effort strictement nécessaire, la dépense d'énergie qui favorise le progrès et la croissance en interdisant catégoriquement tout ce qui produit la fatigue épuisante et finalement mène à la déchéance et à la décomposition matérielles.

La culture physique en vue de construire un corps capable de servir d'instrument approprié à une conscience supérieure exige des habitudes très austères. Une grande régularité dans le sommeil, l'alimentation, l'exercice et toutes les activités. Par une étude scrupuleuse des besoins particuliers de son corps, car ils varient suivant les individus, un programme général sera établi ; et une fois ce programme bien établi, il faut s'y tenir rigoureusement, sans fantaisies et sans relâchement : pas de ces petits accrocs à la règle que l'on ne se permet "qu'une fois", mais qui se répètent très souvent, car dès que l'on cède à la tentation, ne serait-ce "qu'une fois", on amoindrit la résistance de la volonté et on ouvre la porte à toutes les défaites. Il faut donc s'interdire toute faiblesse : plus de sorties nocturnes dont on revient éreinté, plus de festins et de bombances qui dérangent le fonctionnement normal de l'estomac, plus de distractions, d'amusements et de jouissances qui gaspillent l'énergie et vous laissent sans vigueur pour l'entraînement quotidien. Il faudra se soumettre à l'austérité d'une vie sage et régulière où toute l'attention physique est concentrée sur la construction d'un corps s'approchant de la perfection autant qu'il le peut. Pour atteindre ce but idéal, on s'interdira strictement tous les excès et tous les vices, petits ou grands ; on se refusera à l'usage de ces poisons lents, tabac, alcool, etc., dont les hommes ont coutume de faire des besoins indispensables et qui abolissent peu à peu la volonté et la mémoire. Cet intérêt si absorbant, que la presque totalité des êtres humains, même les plus intellectuels, prennent dans la nourriture, sa préparation et son absorption, doit faire place à une connaissance presque chimique des besoins du corps et à une austérité toute scientifique dans les moyens de les satisfaire. A cette austérité dans l'alimentation, il faut en ajouter une autre, celle du sommeil ; elle ne consiste pas à se priver de sommeil mais à savoir comment dormir. Le sommeil ne doit pas être une chute dans l'inconscience, qui alourdit le corps plutôt que de le "rafraîchir". Le fait de manger modérément et de s'abstenir de tout excès, diminue beaucoup la nécessité de passer de nombreuses heures à dormir ; mais la qualité du sommeil est encore plus importante que sa quantité. Pour que le sommeil procure un repos et une détente vraiment efficaces, il est généralement bon de prendre quelque chose, une tasse de lait ou de soupe, un jus de fruit par exemple, avant d'aller se coucher ; une nourriture légère rend le sommeil tranquille ; il faut cependant s'abstenir de tout repas copieux, car alors le sommeil devient agité et troublé par des cauchemars, ou bien épais et lourd, abrutissant. Mais le plus important de tout est de se clarifier l'esprit, de se tranquilliser les sentiments et d'apaiser l'effervescence des désirs et des préoccupations qui les accompagnent. Si avant de se retirer pour dormir, on a beaucoup parlé ou eu une conversation animée, si on a lu un livre excitant ou d'un intérêt intense, il faut prendre quelque temps de repos sans dormir, afin de calmer l'activité mentale, pour que le cerveau ne se livre pas à des mouvements désordonnés tandis que les membres seuls seront endormis. Ceux qui pratiquent la méditation feront bien de se concentrer pendant quelques minutes sur une idée élevée et calmante, dans une aspiration vers une conscience plus haute et plus vaste. Leur sommeil en bénéficiera grandement et ils éviteront dans une large mesure le risque de tomber dans l'inconscience pendant qu'ils dorment.  

Après l'austérité d'une nuit passée exclusivement à se reposer dans un sommeil calme et paisible, viendra l'austérité d'une journée organisée avec sagesse et dont l'activité sera partagée entre les exercices progressifs et savamment gradués nécessaires à la culture du corps et le travail, de quelque nature qu'il soit. Car les deux peuvent et doivent faire partie de la tapasyâ physique. En ce qui concerne les exercices, chacun choisira ceux qui conviennent le mieux à son corps et, si possible, se fera guider par un expert en la matière, qui saura combiner et graduer les exercices en vue d'un maximum d'effet. Aucune fantaisie ne présidera à leur choix, ni à leur exécution. Il ne faudra pas faire ceci ou cela parce que cela paraît plus facile ou plus amusant ; on ne changera d'entraînement que lorsque l'instructeur jugera que le changement est nécessaire. Chaque corps, pour être perfectionné, ou même seulement amélioré, est un problème à résoudre dont la solution exige beaucoup de patience, de persévérance et de régularité. En dépit de ce que beaucoup de gens pensent, la vie de l'athlète n'est pas une vie d'amusement ou de distraction ; au contraire c'est une vie toute faite d'efforts méthodiques et d'habitudes austères, ne laissant aucune place aux fantaisies inutiles et nuisibles au résultat que l'on veut obtenir.

Dans le travail aussi il y a une austérité ; elle consiste à ne pas avoir de préférence et à faire avec intérêt tout ce que l'on fait. Pour celui qui veut se perfectionner, il n'y a pas de grands et de petits travaux, des travaux importants et d'autres qui ne le sont pas; tous sont également utiles pour celui qui aspire à être maître de lui-même et à progresser. Il est dit qu'on ne fait bien que ce que l'on fait avec intérêt ; cela est vrai. Mais ce qui est plus vrai encore, c'est que l'on peut apprendre à trouver de l'intérêt dans tout ce que l'on fait, même les besognes les plus insignifiantes en apparence. Le secret de cet accomplissement se trouve dans l'élan de perfectionnement. Quelle que soit l'occupation ou la tâche qui vous est échue, il faut la remplir avec une volonté de progrès ; quoi que ce soit que l'on fasse, il faut non seulement le faire aussi bien que l'on peut, mais s'appliquer à le faire de mieux en mieux dans un effort constant vers la perfection. De la sorte tout devient intéressant, tout sans exception, la besogne la plus matérielle aussi bien que les travaux les plus artistiques et les plus intellectuels ; le champ de progrès est infini et peut s'appliquer à la moindre chose.

Ceci nous mène tout naturellement à la libération de l'action ; car on doit être, dans son action, libre de toutes les conventions sociales, de tous les préjugés moraux ; mais ce n'est pas pour mener une vie de licence et de dérèglement. Tout au contraire, la règle à laquelle on se soumet est beaucoup plus sévère que toutes les règles des sociétés ; car elle ne tolère aucune hypocrisie ; elle exige une sincérité parfaite. Toute l'activité physique doit être organisée en vue de faire croître l'équilibre, la force et la beauté du corps. Dans ce but on doit s'abstenir de toute recherche de plaisir, y compris le plaisir sexuel. Car tout acte sexuel est un acheminement vers la mort. C'est pourquoi depuis les temps les plus anciens, dans les collèges les plus sacrés et les plus secrets, cet acte était interdit à tout aspirant à l'immortalité. L'acte sexuel est toujours suivi d'un moment plus ou moins long d'inconscience, qui ouvre la porte à toutes les influences et produit une chute de conscience. Or, si l'on veut se préparer à la vie supramentale, il ne faut jamais permettre à sa conscience de glisser vers le relâchement et l'inconscience, sous prétexte de jouissance ou même de repos et de délassement. C'est dans la force et la lumière que doit se produire la détente, non dans l'obscurité et la faiblesse. Pour tous ceux qui aspirent au progrès la continence est donc de règle. Mais spécialement pour ceux qui veulent se préparer à la manifestation supramentale, cette continence doit être remplacée par une abstinence totale, obtenue non par coercition et suppression, mais par une sorte d'alchimie intérieure, grâce à laquelle les énergies généralement utilisées dans l'acte procréateur sont transmuées en énergies de progrès et de transformation intégrale.

 H va de soi que pour que le résultat soit total et vraiment bienfaisant, toute impulsion et tout désir sexuels doivent être éliminés de la conscience mentale et vitale aussi bien que de la volonté physique. C'est du dedans au dehors que se produit toute transformation radicale et durable, de sorte que la transformation extérieure en est la conséquence normale et, pour ainsi dire, inévitable.

Il y a un choix décisif à faire entre prêter son corps en obéissance aux fins de la nature, qui veut perpétuer l'espèce telle qu'elle est, ou préparer ce même corps à devenir un échelon dans la création de la race nouvelle. Car les deux ne peuvent se faire à la fois, et c'est à chaque minute qu'il faut opter entre demeurer dans l'humanité d'hier ou appartenir à la surhumanité de demain.

Il faut renoncer à être adapté à la vie telle qu'elle est et à y réussir, si on veut se préparer à la vie telle qu'elle sera et en être un membre actif et efficient.

Il faut refuser le plaisir, si on veut s'ouvrir à la joie d'être dans la beauté et l'harmonie totales.

Ceci nous mène tout naturellement à l'austérité vitale, celle des sensations, à la tapasyâ du pouvoir ; car l'être vital est le siège du pouvoir, de l'enthousiasme réalisateur. C'est dans le vital que la pensée se change en volonté et devient un dynamisme d'action. Il est vrai aussi qu'il est le siège des désirs et des passions, des impulsions violentes et des réactions également violentes, des révoltes et des dépressions. Le remède ordinaire est de juguler l'être vital, de l'affamer en le privant de toutes sensations ; en effet c'est par les sensations qu'il se nourrit principalement et sans elles il s'endort, s'engourdit jusqu'à l'inanition.

A dire vrai, le vital a trois sources de subsistance. Celle qui lui est la plus facilement accessible vient d'en bas, des énergies physiques, par l'intermédiaire des sensations.

La seconde se trouve dans son propre plan, quand il est suffisamment vaste et réceptif, par le contact avec les forces vitales universelles.

La troisième, celle à laquelle il ne s'ouvre généralement que dans une grande aspiration de progrès,  

lui vient d'en haut par l'infusion et l'absorption des forces et de l'inspiration spirituelles.

Les hommes essayent toujours plus ou moins d'ajouter à celles-là une autre source qui est, en même temps, pour eux la source de la plupart de leurs tourments et de leurs infortunes. C'est l'échange de forces vitales avec leurs congénères, généralement en groupements par deux, que, le plus souvent, ils méprennent pour de l'amour, mais qui n'est que l'attraction de deux forces qui ont du plaisir à s'échanger.

Ainsi, si nous ne voulons pas affamer notre vital, les sensations ne doivent pas être rejetées, ni diminuées dans leur nombre et leur intensité ; il ne faut pas les éviter non plus, mais s'en servir avec sagesse et discernement. La sensation est un excellent moyen de connaissance et d'éducation ; mais pour servir ces fins, elle ne doit pas être utilisée égoïstement dans un  but de jouissance, dans une recherche aveugle et ignorante de ^ satisfaction propre et de plaisir.

Les sens doivent être capables de tout supporter sans dégoût î ni déplaisir, mais en même temps, il leur faut acquérir et développer de plus en plus le pouvoir de discerner la qualité, l'origine et l'effet des vibrations vitales variées, afin de savoir si elles sont favorables à l'harmonie, la beauté et la bonne santé, ou si elles sont nuisibles à l'équilibre et au progrès de l'être physique et du vital. De plus, les sens doivent être utilisés comme instruments d'approche et d'étude des mondes physique et vital, dans toute leur complexité ; ainsi ils prendront leur place véritable dans le grand effort vers la transformation.

C'est en éclairant, en fortifiant et en purifiant le vital, non en l'affaiblissant, qu'on peut aider au vrai progrès de l'être. Se priver de sensations est donc aussi pernicieux que de se priver de nourriture. Mais de même que le choix de la nourriture doit être fait savamment et seulement en vue de la croissance et du bon fonctionnement du corps, de même, le choix des sensations et leur contrôle doit aussi être fait avec une austérité toute scientifique, en vue seulement de la croissance et du perfectionnement du vital, cet instrument supérieurement dynamique, qui est aussi essentiel au progrès que toutes les autres parties de l'être.

C'est en éduquant le vital, en le rendant plus raffiné, plus sensible, plus subtil, on devrait presque dire, plus élégant, dans le meilleur sens du mot, qu'on peut avoir raison de ses violences et de ses brutalités, qui sont, en somme, des crudités et des ignorances, des manquements au goût.

En vérité, le vital cultivé et illuminé peut être aussi noble, héroïque et désintéressé, qu'il est, spontanément et livré à lui-même, sans éducation, vulgaire, égoïste et perverti. Il suffit à chacun de savoir transformer en lui-même la recherche de la jouissance en aspiration vers la plénitude supramentale. Pour cela, si l'éducation du vital est poursuivie assez loin, avec persévérance et sincérité, il arrive un moment où, convaincu de la grandeur et de la beauté du but, le vital renonce aux mesquines et illusoires satisfactions sensorielles pour conquérir la joie divine.

Bulletin, février 1953

 

  • Identifiez-vous pour poster des commentaires
  • Magyar
  • English
Français

L'éducation psychique et l'éducation spirituelle

Jusqu'à présent il n'a été question que de l'éducation qui peut être donnée à tout enfant naissant sur terre, et qui ne s'occupe que des facultés purement humaines. Mais il n'est pas inévitable de s'en tenir là. Tout être humain porte, cachée au-dedans de lui, la possibilité d'une conscience supérieure qui dépasse les cadres de sa vie actuelle et le fait participer à une vie plus haute et plus vaste. En fait, chez tout être d'élite, c'est cette conscience qui gouverne sa vie et organise à la fois les circonstances de son existence et sa réaction individuelle à ces circonstances. Ce que la conscience mentale de l'homme ne sait pas et ne peut pas, cette conscience-là le sait et le fait. Elle est comme une lumière qui brille au centre de l'être et rayonne à travers les couches épaisses de la conscience extérieure. Certains ont une vague prescience de sa présence ; un grand nombre d'enfants sont soumis à son influence qui parfois se fait sentir très distinctement dans leurs actions spontanées et même dans leurs paroles. Malheureusement, comme le plus souvent les parents ne savent pas ce que c'est et ne comprennent pas ce qui se passe dans leur enfant, leur réaction à l'égard de ces phénomènes n'est pas bonne, et toute leur éducation consiste à rendre l'enfant aussi inconscient que possible dans ce domaine pour concentrer toute son attention sur les choses extérieures, lui donnant ainsi l'habitude de les considérer comme les seules importantes. Il est vrai que cette concentration sur les choses extérieures est très utile, pourvu qu'elle soit faite de la bonne manière. Les trois éducations, physique, vitale et mentale s'occupent de cela, et on pourrait les définir comme le moyen de construire la personnalité, de faire surgir l'individu de la masse amorphe et subconsciente pour en faire une entité bien définie et consciente d'elle-même. Avec l'éducation psychique, nous abordons le problème du vrai mobile de l'existence, de la raison d'être de la vie sur terre, de la découverte à laquelle cette vie doit mener et du résultat de cette découverte : la consécration de l'individu à son principe éternel. D'une façon assez générale on associe cette découverte à un sentiment mystique et à une vie religieuse, parce que ce sont surtout les religions qui se sont occupées de cet aspect de la vie. Mais il n'en est pas nécessairement ainsi ; et si l'on remplace la notion mystique de Dieu par la notion plus philosophique de Vérité, la découverte restera essentiellement la même, mais la route pour y arriver pourra être parcourue par le positiviste le plus intransigeant. Car, pour se préparer à une vie psychique, les notions et idées mentales n'ont qu'une importance très secondaire. La chose importante, c'est l'expérience vécue ; elle porte sa réalité et sa force en elle-même, indépendante de toute théorie qui peut la précéder, l'accompagner ou la suivre. Car le plus souvent les théories ne sont que des explications que l'on se donne à soi-même pour avoir plus ou moins l'illusion de la connaissance, Suivant le milieu dans lequel il est né et l'éducation qu'il a reçue, l'homme revêt de noms différents l'idéal ou l'absolu qu'il s'efforce d'atteindre. L'expérience, si elle est sincère, est essentiellement la même ; ce sont seulement les mots et les phrases dans lesquels elle se formule qui diffèrent suivant la conviction et l'éducation mentale de celui qui a l'expérience. Toute formulation n'est donc qu'une approximation qui doit progresser »> et se préciser à mesure que l'expérience devient de plus en plus précise et coordonnée. Cependant, pour tracer les grandes lignes de l'éducation psychique, il faut donner une idée, si relative soit-elle, de ce que l'on veut dire par être psychique. On pourrait dire, par exemple, que la création d'un être individuel provient de la projection, dans l'espace et le temps, d'un des innombrables possibles latents dans l'origine suprême de toute manifestation qui, par l'intermédiaire de la conscience unique et universelle, se concrétise en la loi ou la vérité d'un individu et devient ainsi, par un développement progressif, son âme ou être psychique.

J'insiste sur le fait que ce qui est dit ici brièvement n'a pas la prétention d'être un exposé complet de la réalité et n'épuise pas le sujet, il s'en faut même de beaucoup. C'est seulement une explication très succincte donnée dans un but pratique, afin qu'elle serve de base à l'éducation dont nous voulons nous occuper.

C'est par l'intermédiaire de cette présence psychique que la vérité d'un être individuel entre en contact avec lui et les circonstances de son existence. Dans la plupart des cas, cette présence agit de derrière un voile, pour ainsi dire, méconnue et ignorée ; mais pour certains elle est perceptible et son action est reconnaissable ; chez quelques-uns même, un très petit nombre, la présence devient tangible et son action tout à fait effective. Ceux-là avancent dans la vie avec une assurance et une certitude particulières, ils sont les maîtres de leur destinée. C'est dans le but d'obtenir cette maîtrise et de devenir conscient de la présence psychique que l'éducation psychique doit être pratiquée. Mais pour cela un facteur spécial est requis, c'est la volonté personnelle. Car, jusqu'à présent, la découverte de l'être psychique et l'identification avec lui ne font pas partie des sujets d'éducation reconnus, et quoique dans des ouvrages spéciaux on puisse trouver des indications utiles pour la pratique et que dans des cas exceptionnels on puisse avoir la bonne fortune de rencontrer quelqu'un qui est capable de montrer le chemin et d'aider à le parcourir, le plus souvent la tentative est laissée à l'initiative privée ; la découverte est une affaire personnelle et une grande détermination, une forte volonté et une persévérance inlassable sont indispensables pour atteindre le but. Chacun doit, pour ainsi dire, tracer sa propre route à travers ses propres difficultés. Le but est en quelque sorte connu, car la plupart de ceux qui l'ont atteint, l'ont décrit plus ou moins clairement. Mais la plus grande valeur de la découverte vient de sa spontanéité, de son ingénuité et elle échappe aux lois mentales ordinaires. C'est pourquoi, le plus souvent, celui qui veut s'engager dans cette aventure va d'abord à la recherche de quelqu'un qui l'a entreprise avec succès et qui pourra le soutenir et l'éclairer sur la route. Pourtant il est des voyageurs solitaires et pour eux quelques indications générales peuvent être utiles.

Le point de départ est la recherche en soi de ce qui est indépendant du corps et des circonstances de la vie, de ce qui ne provient pas de la formation mentale que l'on a reçue, de la langue que l'on parle, des habitudes et des coutumes du milieu dans lequel on vit, du pays où l'on est né ou de l'époque à laquelle on appartient. Il faut trouver, dans les profondeurs de son être, ce qui porte en soi un sens d'universalité, d'expansion sans limites, de durée sans interruption. Alors on se décentralise, on se répand, on s'élargit, on commence à vivre en toute chose et en tous les êtres ; les barrières qui séparent les individus les uns des autres, tombent ; on pense dans leurs pensées, on vibre dans leurs sensations, on sent dans leurs sentiments, on vit dans la vie du tout ; ce qui paraissait inerte soudain s'anime, les pierres vibrent, les plantes sentent, veulent et souffrent, les animaux parlent un langage plus ou moins muet mais clair et expressif, tout s'anime d'une conscience merveilleuse qui n'a plus de temps ni de limites. Et ceci n'est qu'un aspect de la réalisation psychique. Il y en a d'autres, beaucoup d'autres. Tous contribuent à vous faire sortir des barrières de votre égoïsme et des murs de votre personnalité extérieure, de l'impuissance de vos réactions et de l'incapacité de votre volonté.

Mais, ainsi que je l'ai déjà dit, pour en arriver là le chemin est long et difficile, semé d'embûches et de problèmes à résoudre, qui exigent une détermination à toute épreuve. Cela ressemble à la marche de l'explorateur à travers la forêt vierge, en quête d'une terre inconnue, d'une grande découverte. L'être psychique aussi est une grande découverte, demandant, pour être faite, au moins autant d'intrépidité et d'endurance que la découverte de continents nouveaux. Pour celui qui est résolu à l'entreprendre, un nombre de simples conseils pourront être utiles. En voici quelques-uns :

Le premier point, et peut-être le plus important, est que le mental est incapable de juger des choses spirituelles. Tous ceux qui ont écrit sur le sujet l'ont dit ; mais très peu nombreux sont ceux qui l'ont mis en pratique, et pourtant pour avancer sur le chemin il est absolument indispensable de s'abstenir de toute opinion et de toute réaction mentales.

Renonce à toute recherche personnelle de confort, de satisfaction, de jouissance ou de bonheur; sois seulement un feu brûlant pour le progrès et prends tout ce qui vient à toi comme une aide pour progresser et accomplis immédiatement le progrès requis.

Tâche de prendre plaisir à tout ce que tu fais, mais le plaisir ne doit jamais être le mobile de ton action.

Ne deviens jamais excité, nerveux ni agité. Reste parfaitement calme en face de toutes circonstances. Et pourtant sois toujours en éveil pour trouver le progrès qu'il te reste à faire et pour le faire sans perdre de temps.

Ne prends jamais les événements physiques pour ce qu'ils semblent être. Ils sont toujours des essais maladroits pour exprimer quelque chose d'autre qui est la vraie chose et échappe à notre compréhension superficielle.

Ne te plains jamais de la conduite de quelqu'un à moins que tu n'aies le pouvoir de changer dans sa nature ce qui le fait agir ainsi ; et si tu as ce pouvoir, accomplis le changement au lieu de te plaindre.

Quoi que ce soit que tu fasses, n'oublie jamais le but que tu t'es proposé. Dans l'entreprise de cette grande découverte il n'y a pas de petites et de grandes choses ; toutes sont également importantes et peuvent contribuer à son succès, ou bien le retarder. Ainsi, avant de manger, concentre-toi quelques secondes dans l'aspiration que cette nourriture que tu vas absorber, apporte à ton corps la substance nécessaire pour servir de base solide à ton effort vers la grande découverte, et lui confère l'énergie de la persistance et de la persévérance dans l'effort.

Avant de t'endormir, concentre-toi quelques secondes dans l'aspiration que le sommeil répare la fatigue de tes nerfs, apporte à ton cerveau le calme et la tranquillité, afin qu'après avoir dormi, tu puisses reprendre avec une ardeur renouvelée ta marche sur le chemin de la grande découverte.

Avant d'agir, concentre-toi dans la volonté que ton action aide et en tout cas n'entrave en rien ta marche en avant vers la grande découverte.

Quand tu parles, avant que les mots ne sortent de ta bouche, concentre-toi juste assez de temps pour contrôler tes paroles et ne laisser passer que celles qui sont absolument nécessaires, et seulement celles-là qui ne peuvent en rien nuire à ton progrès sur le chemin de la grande découverte.

En résumé, n'oublie jamais la raison et le but de ta vie. Laisse la volonté de la grande découverte planer constamment au-dessus de toi, de ce que tu fais et de ce que tu es, comme un immense oiseau de lumière dominant tous les mouvements de ton être.

Devant l'inlassable persistance de ton effort, une porte intérieure s'ouvrira soudain et tu surgiras dans une splendeur éblouissante qui t'apportera la certitude de l'immortalité, l'expérience concrète que tu as toujours vécu et que tu vivras toujours, que les formes extérieures seules sont périssables et que, par rapport à ce que tu es en réalité, ces formes sont semblables à des habits que l'on rejette quand ils sont usés. Alors tu te dresseras libre de toutes chaînes, et au lieu d'avancer péniblement sous le poids des circonstances que la nature t'imposait et que tu devais subir et porter si tu ne voulais pas être écrasé par elles, tu pourras marcher droit et ferme, conscient de ton destin, maître de ta vie.

Et pourtant ce détachement de tout esclavage à la chair, cette libération de tout attachement personnel, n'est pas l'accomplissement suprême. Il est d'autres pas à franchir avant d'atteindre au sommet ; et ces pas eux-mêmes pourront et devront être suivis d'autres qui ouvriront les portes de l'avenir. Ce sont ces prochains pas qui vont faire l'objet de ce que j'appelle l'éducation spirituelle.

Mais avant d'aborder cette nouvelle étape et de traiter la question en détails, une explication devient nécessaire. Pourquoi une distinction est-elle faite entre l'éducation psychique, dont nous venons de parler, et l'éducation spirituelle dont nous allons nous occuper maintenant ? Car les deux sont généralement confondues sous le terme global de discipline yoguique, quoique les buts auxquels elles tendent soient très différents, l'un étant une réalisation supérieure sur la terre, l'autre une fuite hors de toute manifestation terrestre et même hors de l'univers tout entier, un retour à ce qui n'est pas manifesté.

On peut donc dire que la vie psychique, c'est la vie immortelle, le temps sans fin, l'espace sans limite, le changement perpétuellement progressif, la continuité ininterrompue dans l'univers en formes. Tandis que la conscience spirituelle, c'est Vivre l'infini et l'éternité, c'est être projeté hors de toute création, hors du temps et de l'espace. Pour devenir conscient de son être psychique et vivre une vie psychique, il faut abolir en soi tout égoïsme. Mais pour vivre vraiment la vie spirituelle, on ne doit plus avoir d'ego.

Ici encore, dans l'éducation spirituelle, le but que l'on se propose sera, dans la formulation mentale, revêtu de noms divers, suivant le milieu dans lequel on a été formé, le chemin que l'on a parcouru et les affinités de son tempérament. Ceux qui ont une tendance religieuse l'appelleront Dieu et leur effort spirituel consistera à vouloir s'identifier au Dieu transcendant, au-dessus de toute forme, par opposition au Dieu immanent qui habite en chaque forme. D'autres l'appelleront l'Absolu ou l'origine suprême, d'autres le Nirvana, d'autres la seule Réalité, considérant le monde comme une illusion irréelle; d'autres l'unique Vérité, traitant toute manifestation de mensonge. En chacune de ces expressions, il y a un élément correct, mais toutes sont incomplètes, n'exprimant qu'un aspect de ce qui est. Pourtant là aussi, la formulation mentale n'a pas beaucoup d'importance, et une fois les étapes intermédiaires franchies, l'expérience est identique. Dans tous les cas, le don total de soi est le point de départ le plus efficace, la méthode la plus prompte. D'ailleurs il n'est pas de joie plus parfaite que celle du don total de soi à ce qui est au sommet de sa conception : pour certains ce sera la notion de Dieu, pour d'autres celle de la Perfection. Si ce don est fait avec persistance et ardeur, un moment vient où l'on dépasse le concept pour aboutir à une expérience qui échappe à toute description mais qui, presque toujours, est identique dans ses effets. À mesure aussi que le don de soi sera plus parfait et plus intégral, il s'accompagnera de l'aspiration à une identification, une fusion totale avec Ce à quoi on s'est donné, et peu à peu cette aspiration aura raison de toutes les différences, de toutes les résistances, surtout si à l'aspiration vient s'ajouter un amour intense et spontané, car alors rien ne peut plus s'opposer à son élan victorieux.

Il y a une différence essentielle entre cette identification et celle avec l'être psychique. Cette dernière peut être rendue de plus en plus durable et dans certains cas elle devient permanente et ne quitte plus jamais celui qui l'a réalisée, quelles que soient ses activités extérieures. C'est-à-dire qu'elle n'est plus seulement obtenue en méditation et en concentration, mais que ses effets se font sentir à tous les moments de l'existence, pendant le sommeil aussi bien que pendant la veille.

Tout au contraire, la libération de toute forme et l'identification avec ce qui est au-delà de la forme, ne peut pas durer d'une façon absolue, car elle amènerait automatiquement la dissolution de la forme matérielle. Certaines traditions disent que cette dissolution se produit inévitablement dans les vingt jours qui suivent l'identification totale. Pourtant il n'en est pas nécessairement ainsi, et même quand l'expérience n'est que momentanée, elle produit dans la conscience des résultats qui ne s'effacent point et ont des répercussions sur tous les états intérieurs et extérieurs de l'être. De plus, une fois que l'identification a été obtenue, elle est renouvelable à volonté, pourvu qu'on sache se remettre dans des conditions identiques.

Cette immersion dans le sans-forme est la suprême libération recherchée par ceux qui veulent échapper à une existence qui n'a plus d'attrait pour eux. Qu'ils ne soient pas satisfaits du monde dans sa forme actuelle n'a rien de surprenant. Mais une libération qui laisse le monde tel qu'il est et qui n'affecte en rien les conditions de la vie dont souffrent les autres, ne peut contenter ceux qui se refusent à jouir d'un bienfait dont ils sont les seuls détenteurs, ou presque, et qui rêvent d'un monde plus digne des splendeurs qui se cachent derrière son apparent désordre et ses misères généralisées. Ils rêvent de faire profiter les autres des merveilles qu'ils ont découvertes dans leur exploration intérieure. Et le moyen de le faire est à leur portée maintenant qu'ils ont atteint le sommet de l'ascension.

De par-delà les frontières de la forme, une force nouvelle peut être évoquée, une puissance de conscience qui ne s'est pas encore exprimée et qui, par son apparition, pourra changer le cours des choses et faire naître un monde nouveau. Car la vraie solution au problème de la souffrance, de l'ignorance et de la mort, n'est pas une fuite individuelle hors des misères terrestres par l'annihilation dans le non-manifeste, ni une problématique fuite collective hors de la souffrance universelle, par un retour intégral et définitif de la création à son créateur, guérissant ainsi l'univers par son abolition, mais une transformation, une transfiguration totale de la matière, amenée par la continuation logique de la marche ascendante de la nature dans son progrès vers la perfection, la création d'un type nouveau qui sera à l'homme ce que l'homme est à l'animal et qui manifestera sur terre une force nouvelle, une conscience nouvelle, un pouvoir nouveau. Alors commencera ainsi une nouvelle éducation qui peut être appelée l'éducation supramentale et qui, par son action toute-puissante, agira non seulement sur la conscience des êtres individuels, mais sur la substance dont ils sont façonnés et sur le milieu dans lequel ils vivent.

À l'encontre des éducations dont nous avons parlé précédemment, qui progressent de bas en haut par un mouvement ascendant des diverses parties de l'être, l'éducation supramentale progressera de haut en bas dans une influence se propageant d'états d'être en états d'être pour atteindre finalement le physique. La transformation de ce dernier ne prendra place de façon visible que lorsque les états d'être intérieurs seront déjà considérablement transformés. Il est donc tout à fait déraisonnable de vouloir se rendre compte de la présence supramentale par les apparences physiques. Car celles-ci seront les dernières à être changées et la force supramentale peut être à l'oeuvre dans un individu longtemps avant que quelque chose ne devienne perceptible dans sa vie corporelle.

Pour résumer, on peut dire que l'éducation supramentale aura pour effet, non plus une formation progressive de la nature humaine et un croissant développement de ses facultés latentes, mais une transformation de la nature elle-même, une transfiguration de l'être dans sa totalité, une ascension nouvelle de l'espèce au-delà et au-dessus de l'homme vers le surhomme, pour aboutir à l'apparition d'une race divine sur la terre.

Bulletin, février 1952

  • Identifiez-vous pour poster des commentaires
  • Magyar
  • English
Français

Prévision

 Prévoir le destin ! Combien s'y sont essayés, que de systèmes ont été élaborés, que de sciences divinatoires ont été créées, se sont développées, puis ont péri sous l'accusation de charlatanisme ou de superstition. Et pourquoi le destin est-il toujours si imprévisible, pourquoi lorsqu'il est démontré que tout est inéluctablement déterminé, on ne peut réussir à connaître de façon certaine ce déterminisme ?

Ici encore la solution se trouve dans le yoga. Et par la discipline yoguique on peut non seulement prévoir le destin, mais le modifier, le changer presque totalement. Tout d'abord le yoga nous enseigne que nous ne sommes pas un être unique, une entité simple, qui nécessairement n'aurait qu'un unique destin, simple et logique. Mais on est obligé de constater que le destin de la plupart des hommes est complexe, d'une complexité qui va parfois jusqu'à l'incohérence. N'est-ce point cette complexité même qui crée l'impression d'inattendu, d'indéterminé et par suite d'imprévisible ?

Pour résoudre le problème, il faut d'abord savoir que tout être vivant, et plus spécialement l'être humain, est fait de la combinaison de plusieurs entités qui se groupent, s'interpénétrent, parfois s'organisent et se complètent, parfois s'opposent et se contredisent. Chacun de ces êtres ou états d'être appartient à son monde propre et porte en lui-même son propre destin, son propre déterminisme. Et c'est la combinaison, parfois très hétéroclite, de tous ces déterminismes qui produit le destin de l'individu. Mais comme l'organisation et la relation de toutes ces entités peuvent être changées par une discipline personnelle et par l'effort de la volonté, comme ces divers déterminismes agissent l'un sur l'autre de façon différente suivant la concentration de la conscience, leur combinaison est presque toujours variable et par suite imprévisible.

Page – 85

Par exemple, le destin physique ou matériel d'un être provient de ses antécédents paternels et maternels, des conditions et des circonstances physiques dans lesquelles il est né ; on devrait pouvoir prévoir quels seront les événements de sa vie physique, son état de santé et l'approximative durée de son corps. Mais alors entre en jeu la formation de son être vital (l'être des désirs, des passions, mais aussi de l'énergie impulsive et de la volonté active) qui apporte avec lui son propre destin ; ce destin influe sur le destin physique et peut complètement le changer et souvent même l'altérer. Par exemple, un homme qui est né avec un très bon équilibre physique et devrait vivre en très bonne santé, si son vital le pousse à des excès de tous genres, à de mauvaises habitudes, même à des vices, peut ainsi détruire en partie son bon destin physique et perdre l'harmonie de santé et de force qu'il aurait eue sans cette malencontreuse intervention. Ceci n'est qu'un exemple. Mais le problème est beaucoup plus complexe puisque, aux destins physique et vital, viennent s'ajouter le destin mental, le destin psychique et bien d'autres encore.

En fait, plus un être est haut dans l'échelle humaine, plus son être est complexe, plus ses destins sont multiples et, par suite, plus sa destinée semble imprévisible. Ce n'est cependant qu'une apparence. Et la connaissance de ces divers états d'être et des mondes intérieurs qui y correspondent donne en même temps la capacité de discerner les destins divers, leur interpénétration et leur action combinée ou dominante. Les destins supérieurs sont de toute évidence les plus proches de la vérité centrale de l'univers, et s'il leur est permis d'intervenir, leur action est nécessairement bienfaisante. L'art de vivre consisterait donc à se maintenir dans son état de conscience le meilleur et à permettre ainsi à son destin le meilleur de dominer les autres dans la vie et l'action. On peut dire sans crainte de se tromper : soyez toujours au sommet de votre conscience et toujours c'est le meilleur qui vous adviendra. Mais cela est un maximum qui n'est pas facile à atteindre.

Page – 86

Au cas où cette condition idéale ne peut être réalisée, l'individu peut, tout au moins, lorsqu'il est confronté par un danger ou une situation critique, faire appel à son destin le meilleur par l'aspiration, la prière, l'abandon confiant à la volonté divine. Alors, dans la mesure de la sincérité de l'appel, ce destin supérieur intervient de façon favorable dans le destin ordinaire de l'être et change le cours des événements en ce qui le concerne personnellement. Ce sont les événements de ce genre qui apparaissent à la conscience extérieure comme des miracles, des interventions divines.

Bulletin, février 1950

  • Identifiez-vous pour poster des commentaires
  • Magyar
  • English
Français

Un rêve

 Il devrait y avoir quelque part sur la terre un lieu dont aucune nation n'aurait le droit de dire : "Il est à moi" ; où tout homme de bonne volonté ayant une aspiration sincère pourrait vivre librement comme un citoyen du monde et n'obéir qu'à une seule autorité, celle de la suprême vérité ; un lieu de paix, de concorde, d'harmonie, où tous les instincts guerriers de l'homme seraient utilisés exclusivement pour vaincre les causes de ses souffrances et de ses misères, pour surmonter ses faiblesses et ses ignorances, pour triompher de ses limitations et de ses incapacités ; un lieu où les besoins de l'esprit et le souci du progrès primeraient la satisfaction des désirs et des passions, la recherche des plaisirs et de la jouissance matérielle. Dans cet endroit, les enfants pourraient croître et se développer intégralement sans perdre le contact avec leur âme; l'instruction serait donnée, non en vue de passer des examens ou d'obtenir des certificats et des postes, mais pour enrichir les facultés existantes et en faire naître de nouvelles. Dans ce lieu, les titres et les situations seraient remplacés par des occasions de servir et d'organiser ; il y serait pourvu aux besoins du corps également pour tous, et la supériorité intellectuelle, morale et spirituelle se traduirait dans l'organisation générale, non par une augmentation des plaisirs et des pouvoirs de la vie, mais par un accroissement des devoirs et des responsabilités. La beauté sous toutes ses formes artistiques, peinture, sculpture, musique, littérature, serait accessible à tous également  —  la faculté de participer aux joies qu'elle donne étant limitée uniquement par la capacité de chacun et non par la position sociale ou financière. Car dans ce lieu idéal, l'argent ne serait plus le souverain seigneur ; la valeur individuelle aurait une importance très supérieure à celle des richesses matérielles et de la position sociale. Le travail n'y serait pas le moyen de gagner sa vie,

Page – 101

mais le moyen de s'exprimer et de développer ses capacités et ses possibilités, tout en rendant service à l'ensemble du groupe qui, de son côté, pourvoirait aux besoins de l'existence et au cadre d'action de chacun. En résumé, ce serait un endroit où les relations entre êtres humains, qui sont d'ordinaire presque exclusivement basées sur la concurrence et la lutte, seraient remplacées par des relations d'émulation pour bien faire, de collaboration et de réelle fraternité.

La terre n'est pas prête pour réaliser un semblable idéal, parce que l'humanité ne possède pas encore la connaissance suffisante pour le comprendre et l'adopter, ni la force consciente indispensable à son exécution ; et c'est pourquoi je l'appelle un rêve.

Pourtant, ce rêve est en voie de devenir une réalité ; et c'est à cela que nous nous efforçons à l'Ashram de Sri Aurobindo, sur une toute petite échelle, à la mesure de nos moyens réduits. La réalisation est certes loin d'être parfaite, mais elle est progressive ; et petit à petit, nous nous avançons vers notre but qui, nous l'espérons, pourra un jour être présenté au monde comme un moyen pratique et efficace de sortir du chaos actuel, pour naître à une vie nouvelle plus harmonieuse et plus vraie.

Bulletin, août 1954

  • Identifiez-vous pour poster des commentaires
  • Magyar
  • English
Français

Soulager l'humanité

 Pour celui qui veut réaliser le yoga intégral, le soulagement de l'humanité ne peut pas être un but en lui-même, ce n'est qu'une conséquence et un résultat. Et si justement tous les efforts pour apporter une amélioration aux conditions humaines ont en définitive lamentablement échoué, malgré toute l'ardeur des enthousiasmes et des dévouements qu'ils ont tout d'abord suscités, c'est parce que la transformation des conditions de la vie humaine ne peut être obtenue que par une autre transformation préliminaire, celle de la conscience des hommes ou tout au moins d'un petit nombre de sujets exceptionnels qui seraient capables de construire les bases d'une transformation plus générale.

Mais sur ce sujet nous reviendrons plus tard ; il fera l'objet de notre conclusion. Je veux vous parler tout d'abord de deux exemples frappants choisis parmi les adeptes de la vraie philanthropie.

Aux deux extrêmes de la pensée et de l'action, deux êtres d'élite, deux des plus belles âmes humaines s'exprimant dans un cœur sensible et compatissant, reçurent le même choc psychique au contact de la misère des hommes. Tous deux consacrèrent leur vie entière à trouver un remède aux souffrances de leurs congénères et crurent l'avoir trouvé. Mais comme leurs deux solutions, qu'on peut qualifier de contraires, étaient, chacune dans son domaine propre, incomplètes et partielles, elles échouèrent, et les souffrances de l'humanité n'en furent point soulagées.

L'un en Orient, le Prince Siddhârtha, connu plus tard comme le Bouddha, l'autre en Occident, Monsieur Vincent, que l'on devait appeler après sa mort Saint Vincent de Paul, se tenaient, pour ainsi dire, chacun à un pôle de la conscience humaine, et leurs méthodes d'aide étaient diamétralement opposées. Pourtant tous les deux croyaient au salut par l'esprit, par cet absolu inconnaissable à la pensée, que l'un appelait Dieu et l'autre le Nirvana.

Vincent de Paul avait une foi ardente et prêchait à ses ouailles qu'il fallait sauver son âme ; mais au contact de la misère humaine, bien vite il s'aperçut que pour trouver son âme il faut avoir le temps de la chercher ; et ceux qui peinent du matin au soir, et souvent du soir au matin, pour gagner une maigre pitance à peine suffisante pour les garder en vie, quand ont-ils vraiment le temps de penser à leur âme ? Alors, dans la simplicité de son cœur charitable, il en conclut que si les pauvres avaient au moins le strict nécessaire assuré par ceux qui ont plus qu'il ne leur faut, ces malheureux auraient le loisir de vivre une vie meilleure. Il crut à la vertu et à l'efficacité des œuvres sociales, de la charité active et matérielle ; il crut qu'on pouvait guérir le mal en multipliant les guérisons individuelles, en soulageant un plus grand nombre, un très grand nombre d'individus. Mais ceci n'est qu'un palliatif, ce n'est pas une guérison. Pourtant le dévouement, l'abnégation et le courage dont Vincent de Paul a fait preuve dans l'accomplissement de son œuvre étaient si exceptionnellement complets et généreux qu'ils ont fait de lui une des plus belles, des plus émouvantes figures de l'histoire de l'humanité. En fin de compte, cependant, son effort semble avoir multiplié plutôt que diminué le nombre des indigents et des incapables. Certainement le résultat le plus positif de son apostolat est d'avoir créé dans la mentalité d'une certaine catégorie de la classe fortunée un sens de charité appréciable ; et à cause de cela l'oeuvre a été vraiment plus utile à ceux qui ont fait la charité qu'à ceux qui ont été l'objet de cette charité.

Tout à l'autre bout de la conscience, se trouve le Bouddha avec sa pure et sublime compassion. Pour lui, les douleurs résultant de la vie ne pouvaient être abolies que par l'abolition de la vie ; car la vie et le monde sont la conséquence du désir d'être, le fruit de l'ignorance; abolissez le désir, supprimez l'ignorance, et le monde disparaîtra, entraînant avec lui la souffrance et la misère. Dans un grand effort d'aspiration spirituelle et de concentration silencieuse, il élabora sa discipline, une des disciplines les plus hautes et les plus efficaces qui aient jamais été données aux hommes assoiffés de libération.

Des millions ont cru à sa doctrine, quoique le nombre des individus capables de la mettre en pratique ait été minime ; mais la condition terrestre est restée pratiquement la même et il " n'y a pas eu de diminution appréciable dans la masse des souffrances humaines.

Cependant les hommes ont canonisé le premier et déifié le second, dans leur tentative de donner une expression à leur gratitude et à leur admiration. Mais bien peu nombreux sont ceux qui ont essayé sincèrement de mettre en pratique la leçon et l'exemple qui leur étaient donnés, quoique cela soit vraiment la seule manière efficace de prouver sa reconnaissance. Pourtant, même si cela avait été fait, les conditions de la vie humaine n'auraient pas été améliorées de façon très sensible. Car, soulager n'est pas guérir, et échapper n'est pas conquérir. En effet, soulager les maux physiques, la solution proposée par Vincent de Paul, ne peut en aucune façon suffire à guérir l'humanité de sa misère et de sa souffrance ; car toutes les souffrances humaines ne proviennent pas du dénuement physique et ne peuvent pas être guéries par des moyens matériels  —  loin de là ; le bien-être du corps n'apporte pas forcément la paix et la joie ; et la pauvreté n'est pas nécessairement une cause de misère, comme le prouve la pauvreté volontaire des ascètes de tout pays et de toute époque qui ont trouvé dans leur dénuement la source et la condition d'une paix et d'un bonheur parfaits. Tandis que, tout au contraire, la jouissance des biens de ce monde, de tout ce que les richesses matérielles peuvent donner de confort, d'agrément et de satisfactions extérieurs, est impuissante à empêcher celui qui possède ces choses, d'être atteint par la douleur et la tristesse.

L'autre solution, celle du Bouddha, la fuite, ne peut pas non plus apporter un remède pratique au problème. Car même en admettant qu'un très grand nombre d'individus soient capables de pratiquer la discipline et d'obtenir la libération finale, cela ne pourrait en aucune manière abolir la souffrance de la terre et en guérir les autres, tous les autres qui sont encore incapables de suivre le chemin menant au Nirvana.

En fait, le vrai bonheur est celui qu'on peut éprouver en toutes circonstances quelles qu'elles soient parce qu'il provient de régions que les conditions extérieures ne peuvent affecter. Mais ce bonheur-là n'est accessible qu'à un très petit nombre d'individus, et la majorité de l'espèce humaine est encore soumise aux conditions terrestres. Nous pouvons donc dire que, d'une part, un changement dans la conscience humaine s'impose comme indispensable ; et que, d'autre part, sans la transformation intégrale de l'atmosphère terrestre, les conditions de la vie humaine ne peuvent être efficacement changées. Dans les deux cas, le remède est le même : une conscience nouvelle doit se manifester à la fois sur la terre et dans l'homme. Seule l'apparition d'une force, d'une lumière, d'une puissance nouvelles, accompagnant la descente dans ce monde de la conscience supramentale peut faire surgir l'homme hors des angoisses, des douleurs et des misères dans lesquelles il est plongé. Car seule la conscience supramentale apportant à la terre un équilibre supérieur et une lumière plus pure et plus vraie, peut accomplir le grand miracle de la transformation.

C'est vers cette manifestation nouvelle que la Nature s'efforce. Mais ses chemins sont tortueux et sa marche est incertaine, pleine d'arrêts et de reculs, au point qu'il est difficile de percevoir son vrai dessein ; il devient cependant de plus en plus clair qu'elle veut faire surgir de l'espèce humaine une espèce nouvelle, une race supramentale qui sera à l'homme ce que l'homme est à l'animal. Mais l'avènement de cette transformation, cette création d'une espèce nouvelle que la Nature prendrait des siècles de tâtonnements et de tentatives à produire, peut être effectué par la volonté intelligente de l'homme, non seulement en beaucoup moins de temps, mais aussi avec beaucoup moins de gaspillages et de déchets. 

C'est ici que le yoga intégral prend sa vraie place et son utilité. Car le yoga est destiné à surmonter, par l'intensité de sa concentration et de son effort, les délais que le temps impose à toute transformation radicale, à toute création nouvelle.

Le yoga intégral n'est pas une fuite hors du monde physique, l'abandonnant à son sort irrévocablement ; ce n'est pas non plus une acceptation de la vie matérielle telle qu'elle est, sans espoir de changement décisif, et du monde comme étant l'expression définitif de la Volonté Divine.

Le yoga intégral a pour but de franchir dans la conscience tous les échelons menant depuis la conscience mentale ordinaire jusqu'à une conscience supramentale et divine ; et lorsque l'ascension est achevée, de retourner vers le monde matériel pour y infuser la conscience et la force supramentales acquises, afin de transformer peu à peu cette terre en un monde supramental et divin.

Le yoga intégral s'adresse plus particulièrement à ceux qui ont réalisé en eux-mêmes tout ce que l'homme peut réaliser, et cependant ne sont pas satisfaits, car ils veulent de la vie autre chose que ce qu'elle peut leur donner. Ceux qui sont assoiffés d'inconnu et qui aspirent à la perfection, ceux qui se posent des questions angoissantes et n'y ont pas trouvé de réponses définitives, ceux-là sont mûrs pour le yoga intégral.

Car il y a une série de questions essentielles que ceux qui s'intéressent au sort de l'humanité et ne se contentent pas des formules courantes, se posent nécessairement. Elles peuvent se formuler à peu près comme suit:

Pourquoi naître si c'est pour mourir ?
Pourquoi vivre si c'est pour souffrir ?
Pourquoi aimer si c'est pour être séparés ?
Pourquoi penser si c'est pour se tromper ?
Pourquoi agir si c'est pour faire des fautes ?

La seule réponse acceptable est que les choses ne sont pas ce qu'elles devraient être et que ces démentis non seulement ne sont pas inévitables, mais qu'ils sont réparables et disparaîtront un jour. Car le monde n'est pas irrémédiablement ce qu'il est. La terre est dans une période de transition, longue certes pour la durée de la conscience humaine si brève, mais infinitésimale pour la conscience éternelle ; et cette période prendra fin avec l'apparition de la conscience supramentale. Alors les contradictions seront remplacées par des harmonies et les oppositions par des synthèses.

Cette nouvelle création, cette apparition d'une race surhumaine a été déjà l'objet de bien des spéculations et de beaucoup de controverses. L'imagination humaine se plaît à faire des portraits plus ou moins flatteurs de ce que sera le surhomme. Mais seul le semblable connaît le semblable, et c'est une prise de conscience de la nature divine dans son essence qui pourra permettre la conception de ce que cette nature divine sera dans la manifestation. Cependant ceux qui ont réalisé cette conscience en eux-mêmes sont généralement plus anxieux de devenir le surhomme que de faire sa description.

Pourtant il peut être utile de dire ce que ce surhomme ne sera sûrement pas, afin d'écarter du chemin certaines incompréhensions. Par exemple, j'ai lu quelque part que la race surhumaine serait essentiellement cruelle et insensible ; étant elle-même au-dessus de la souffrance, elle n'attachera aucune importance à la souffrance des autres et la prendra pour un signe de leur imperfection et de leur infériorité. Sans doute, ceux qui pensent ainsi, jugent des relations entre surhomme et homme d'après la manière dont se conduit l'homme à l'égard de ses frères inférieurs, les animaux. Mais cette façon d'agir, loin d'être la preuve d'une supériorité, est un signe certain d'inconscience et de stupidité. Nous en voyons d'ailleurs la preuve dans le fait que l'homme, dès qu'il s'élève à un niveau un peu supérieur, commence à éprouver de la compassion pour les bêtes et s'efforce d'améliorer leur sort. Cependant il y a un élément de vérité dans la conception d'un surhomme insensible ; c'est qu'une race supérieure n'éprouvera pas le genre de pitié égoïste, faible et sentimentale que les hommes appellent charité. Cette pitié, plus nuisible qu'efficace, sera remplacée par une compassion éclairée et forte, dont le seul but sera de porter vraiment remède à la souffrance et non de la perpétuer.

D'autre part, cette conception décrit assez bien ce que serait le règne sur terre d'une race d'êtres du monde vital qui sont immortels dans leur nature et beaucoup plus puissants que l'homme dans leurs capacités, mais qui, dans leur volonté, sont incurablement antidivins, et qui semblent avoir pour mission dans l'univers de retarder la réalisation divine jusqu'à ce que les outils de cette réalisation, les hommes, soient assez purs, forts et parfaits pour avoir raison de tous les obstacles. Et peut-être ne serait-ce point inutile de mettre la pauvre terre, déjà trop affligée, en garde contre la possibilité de cette domination néfaste.

En attendant que le surhomme puisse en personne prouver à l'homme ce qu'est sa vraie nature, il serait peut-être sage pour tout être de bonne volonté de devenir conscient de ce qu'il peut concevoir de plus beau, de plus noble, de plus vrai, de plus pur, de plus lumineux et de meilleur, et d'aspirer à ce que cette conception se réalise en lui-même pour le plus grand bien du monde et des autres.

Bulletin, novembre 1954

  • Identifiez-vous pour poster des commentaires
  • Magyar
  • English
Français

Le Problème de la Femme

Je voudrais vous parler du problème de la femme ; un problème aussi vieux que l'humanité dans son apparence, mais infiniment plus vieux dans sa source. Car si on veut trouver la loi qui le régit et le résout, il faut remonter jusqu'à l'origine de l'univers, par-delà même la création.

Certaines traditions parmi les plus anciennes, peut-être même les plus anciennes, ont donné comme cause à la création de l'univers, la volonté d'un Suprême Absolu de se manifester dans une objectivation de lui-même ; et le premier acte de cette objectivation aurait été l'émanation de la Conscience créatrice. Or, ces anciennes traditions parlent d'habitude de l'Absolu au masculin et de la Conscience au féminin, faisant ainsi de ce geste primordial, l'origine de la différenciation entre l'homme et la femme, et, du même coup, donnant une sorte de priorité au masculin sur le féminin ; en effet, quoiqu'ils soient un, identiques et coexistants avant la manifestation, le masculin a pris la décision première, et a émané le féminin pour exécuter cette décision ; ce qui revient à dire que s'il n'y a pas de création sans le féminin, il n'y a pas, non plus, de manifestation féminine sans une décision préalable du masculin.

On pourrait certes se demander si cette explication n'est pas un peu trop humaine. Mais, à dire vrai, toute explication que les hommes peuvent donner, tout au moins dans sa formulation, sera toujours et forcément humaine. Car, dans leur ascension spirituelle vers l'Inconnaissable et l'Impensable, certains individus exceptionnels ont pu dépasser la nature humaine et s'identifier à l'objet de leur recherche, dans une expérience sublime et en quelque sorte informulable. Mais lorsqu'ils ont voulu faire bénéficier les autres de leur découverte, ils ont dû la formuler et, pour être compréhensible, leur formule devait nécessairement être humaine et symbolique.

On pourrait aussi se demander si ce sont ces expériences et leur révélation qui sont responsables du sens de supériorité que l'homme a presque toujours vis-à-vis de la femme, ou si, au contraire, c'est ce sens de supériorité, si généralement répandu, qui est responsable de la formule donnée aux expériences...

En tout cas, le fait demeure, indiscutable : l'homme se sent supérieur et veut dominer, la femme se sent opprimée et se révolte, ouvertement ou secrètement; et l'éternelle querelle entre sexes se perpétue d'âge en âge, identique dans son essence, innombrable dans ses formes et ses nuances.

Il est bien entendu que l'homme jette tout le blâme sur la femme et que, de même, la femme jette tout le blâme sur l'homme ; en vérité le blâme doit être également distribué sur tous deux et aucun ne peut se targuer d'être supérieur à l'autre. D'ailleurs, tant que ne sera pas éliminée cette notion de supériorité et d'infériorité, rien ni personne ne pourra mettre fin au malentendu qui divise l'espèce humaine en deux camps opposés, et le problème ne sera pas résolu.

Tant de choses ont été dites et écrites sur ce problème, il a été abordé par tant d'angles différents, qu'un volume ne suffirait pas à faire l'exposé de tous ses aspects. En général, les théories sont excellentes, ou, en tout cas, ont toutes leurs vertus, mais la pratique s'est avérée moins heureuse, et je ne sais pas si, sur le plan de la réalisation, nous sommes beaucoup plus avancés qu'à l'âge de pierre. Car dans leurs relations réciproques, l'homme et la femme sont à la fois, et l'un pour l'autre, des maîtres assez despotiques et des esclaves un peu pitoyables.

Oui, des esclaves, car tant qu'on a des désirs, des préférences et des attachements, on est l'esclave de ces choses, ainsi que de ceux dont on dépend pour leur satisfaction.

Ainsi la femme est l'esclave de l'homme à cause de l'attraction qu'elle éprouve pour le mâle et sa force, à cause du désir d'un "chez-soi" et de la sécurité qu'il procure, enfin à cause de l'attachement à la maternité ; de son côté, l'homme aussi est l'esclave de la femme, par suite de son esprit de possession, sa soif de pouvoir et de domination, à cause du désir de la relation sexuelle, et à cause de l'attachement aux petits conforts et aux facilités de la vie conjugale.

C'est pourquoi aucune loi ne peut libérer les femmes à moins qu'elles ne se libèrent elles-mêmes ; et de même, les hommes aussi, en dépit de toutes leurs habitudes de domination ne pourront cesser d'être des esclaves que lorsqu'ils se seront libérés de tout esclavage intérieur.

Et cet état de lutte sourde, souvent inavouée, toujours présente dans le subconscient, même dans les cas les meilleurs, semble inévitable, à moins que les êtres humains ne s'élèvent au-dessus de leur conscience ordinaire, pour s'identifier à la conscience parfaite, pour s'unifier à la Suprême Réalité. Car, dès qu'on atteint cette conscience supérieure on s'aperçoit que la différence entre homme et femme se réduit à une différence purement corporelle.

En effet, il se peut que sur terre il y ait eu à l'origine un type masculin et un type féminin purs, ayant chacun leurs caractères spéciaux et nettement différenciés ; mais par la suite des temps, les mélanges inévitables, les hérédités, tous les fils ressemblant à leur mère, toutes les filles ressemblant à leur père, les progrès sociaux, les occupations similaires, tout cela a rendu impossible, de nos jours, la découverte d'un de ces types purs : tous les hommes sont féminins sous bien des aspects, toutes les femmes sont, par beaucoup de traits, masculines, surtout dans les sociétés modernes. Mais malheureusement, à cause de l'apparence physique, l'habitude de la querelle se perpétue, aggravée même, peut-être, par un esprit de concurrence.

À leurs meilleurs moments, tous deux, l'homme et la femme, peuvent oublier leur différence de sexe, mais à la moindre provocation cela réapparaît, la femme se sent femme, l'homme se sait homme et la querelle renaît indéfiniment, sous une forme ou une autre, ouverte ou voilée, et peut-être d'autant plus aiguë qu'elle est moins avouée. Et on se demande s'il n'en sera pas ainsi jusqu'au jour où il n'y aura plus d'hommes et de femmes, mais des âmes vivantes exprimant leur origine identique dans des corps asexués.

Car on rêve d'un monde où, enfin, toutes ces oppositions disparaîtront et où pourra vivre et prospérer un être qui sera la synthèse harmonieuse de tout ce que l'espèce humaine a produit de meilleur, identifiant dans une conscience et une action uniques, la conception et l'exécution, la vision et la création.

En attendant cette heureuse et radicale solution du problème, sur ce point, comme sur bien d'autres, l'Inde est le pays des contrastes violents et contradictoires, qui peuvent, cependant, se résoudre par une synthèse très vaste et compréhensive.

En effet, n'est-ce point dans l'Inde que l'on trouve la plus intense adoration, la plus complète vénération pour la Mère Suprême, créatrice de l'univers, triomphatrice de tous les ennemis, mère de tous les dieux et de tous les mondes, dispensatrice de tous les bienfaits.

Et n'est-ce point aussi dans l'Inde qu'on trouve la condamnation la plus radicale, le mépris le plus profond du principe féminin, Prakriti, Maya, l'illusion corruptrice, cause de toutes les chutes et de toutes les misères, la Nature qui trompe et souille et entraîne loin du Divin.

Toute la vie de l'Inde est imprégnée de cette contradiction ; elle en souffre dans sa pensée et dans son cœur. Des divinités féminines sont partout dressées sur ses autels ; c'est de leur Mère Dourgâ que les enfants de l'Inde attendent le salut et la libération ; et pourtant l'un d'entre eux n'a-t-il pas dit que l'Avatar ne s'incarnerait jamais dans un corps de femme, parce qu'aucun hindou bien pensant ne le reconnaîtrait ! Heureusement que le Divin n'est pas affecté par un esprit aussi étroitement sectaire et qu'il n'est pas mû par des considérations aussi mesquines ; et lorsqu'il lui plaît de se manifester dans un corps terrestre, il se soucie fort peu d'être ou de ne pas être reconnu par les hommes. D'ailleurs, à travers toutes ses incarnations, il paraît avoir toujours préféré aux érudits, les enfants et les cœurs simples.

Dans tous les cas, en attendant que la manifestation d'une conception et d'une conscience nouvelles contraigne la Nature à créer une espèce nouvelle qui, n'ayant plus besoin de se soumettre à la nécessité de la procréation animale, ne serait plus obligée de se scinder en deux sexes complémentaires, le mieux que l'on puisse faire pour le progrès de l'espèce humaine actuelle, est de traiter les deux sexes sur un pied de parfaite égalité, de leur donner une éducation et une instruction identiques, et de leur apprendre à trouver, dans un contact constant avec une Réalité Divine qui est au-dessus de toute différenciation sexuelle, la source de toutes les possibilités et de toutes les harmonies.

Et peut-être que l'Inde, terre des contrastes, sera aussi celle des réalisations nouvelles, comme elle fut le berceau de leur conception.

Bulletin, avril 1955

  • Identifiez-vous pour poster des commentaires
  • Magyar
  • English
Français

URL source:https://mother.supramental.hu/fr/education/premiere-partie